Dans son documentaire “Inner Wars”, la réalisatrice ukrainienne a suivi des femmes soldats. Elle nous parle de la situation sur place.
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Masha Kondakova est la réalisatrice ukrainienne d’Inner Wars, un documentaire où elle donne à voir le quotidien de trois femmes soldats en Ukraine. Elles sont des milliers à avoir rejoint les rangs de l’armée depuis le début de la guerre en 2014, qui a fait 14 000 mort·es. Masha Kondakova vit entre Kiev et Paris, où, sombre hasard, elle projetait ce jeudi soir son documentaire au cinéma Silencio des Prés. Il avait été remarqué lors du festival d’Arte Kino en décembre dernier. Elle confie les heures d’angoisses qu’elle vit depuis le début des bombardements dans la capitale ukrainienne, Kiev, et les principales villes du pays.
Pourquoi avoir réalisé ce documentaire?
Ce qui m’intéressait surtout, c’était de donner un visage aux femmes qui ont pris les armes (Ndlr: lors du déclenchement de la guerre dans le Donbass, en 2014). Je voulais montrer leurs émotions, donner à voir ce qu’elles vivaient en tant qu’êtres humains. Dans ce film, la guerre est un décor terrifiant. Je voulais dénoncer le poids du patriarcat qui pèse sur leurs épaules, jusque dans la guerre.
Combien de temps les avez-vous suivies?
J’ai suivi leur parcours de 2016 à 2019. J’ai dû mettre en pause le tournage après avoir été évacuée vers Paris car j’ai moi-même été blessée lors de combats en 2017. Je suivais alors Lena, surnommée “la sorcière”, commandante d’une brigade de mortiers sur la ligne de front. On présente souvent les femmes dans la guerre comme des choses fragiles, ce qui est faux.
Quelle est votre sentiment face au déclenchement de bombardements de plusieurs villes en Ukraine?
Je suis terrifiée. Je n’arrive pas à y croire. Tout s’est passé très vite. Personne ne s’attendait à ce qu’il y ait des bombardements et à ce que le pays soit encerclé. Jamais on n’avait imaginé que les troupes russes visent la capitale. Cela a surpris tout le monde.
Comment réagissent les Ukrainien·nes?
Les Ukrainien·nes se préparent à combattre, à affronter les balles. Je suis terrifiée car la guerre, je l’ai vue de très près. Elle n’a pas de pitié. Je n’ai pas réalisé ce que c’était avant d’arriver sur la ligne de front. Aujourd’hui, je sais ce que c’est. Je sais ce que c’est d’approcher la mort.
Avez-vous des proches sur place?
Mes parents, ma sœur, ma famille, tous mes amis sont à Kiev. Je suis accrochée à mon téléphone depuis six heures ce matin avec mes proches sur place. J’ai transféré de l’argent à ma famille pour qu’il·elles puissent faire des provisions: eau (Ndlr : l’eau n’est pas potable en Ukraine), aliments, biens de première nécessité, médicaments. Bien sûr, tout le monde est inquiet, mes proches ne peuvent pas quitter Kiev. Les routes sont bloquées. Beaucoup de voitures sont parties dans la nuit ou à l’aube après les premiers bombardements et les sirènes d’alerte. Il y a eu des coupures Internet dans certains endroits de la capitale ce matin, ce qui ne faisait qu’augmenter l’inquiétude. Ce soir, des hélicoptères survolent la capitale.
Comment les Ukrainien·nes vivent-ils/elles ce moment?
On garde le moral, on tâche d’être vigilant·es, on se fait des blagues. J’ai transféré à mes proches la carte des sous-sols de la ville où s’abriter en cas de bombardements. Ma marraine de 65 ans m’a répondu: “Masha, ne t’inquiète pas! Dans ma cave, j’ai des litres d’alcool que j’ai fait moi-même. Au cas où il faille que je me cache, j’ai des tonnes de liqueur à la cerise, à la prune. On aura de quoi m’occuper!” Une de mes amies productrices m’a dit quant à elle: “ j’ai envie de dire aux Russes: mes ami·e·s, sortez! N’ayez pas peur d’aller manifester sur la Place Rouge, toute votre armée est chez nous! Personne ne viendra vous arrêter, toute votre force est chez nous! ” C’est triste, mais c’est drôle. On en a besoin en ce moment.
Avez-vous reçu des nouvelles des trois femmes de votre documentaire? Où sont-elles? Que font-elles?
Je n’ai pas réussi à joindre Lera, elle travaille en tant que journaliste sur place donc elle est très occupée en ce moment, tout va très vite. Ira, elle, n’est plus sur la ligne de front. Elle a perdu ses deux jambes durant la guerre après avoir marché sur une mine. La région en est infestée depuis huit ans. Lena est toujours dans les tranchées dans le Donbass, du côté de Donetsk. Il y a quelques heures, elle m’envoyait des photos de tanks brûlés, de gens morts, elle me racontait la panique sur place. Tout va mal là-bas. Mes contacts de l’armée sur place me disent que les chars russes ont pour objectif Marioupol (Ndlr: au sud-est du pays, près de la mer Azov) cette nuit. Je ne sais pas comment on va parvenir à une désescalade. Il faut à tout prix arrêter l’armée russe, agir et négocier au plus vite afin d’éviter un bain de sang. Parce que les Ukrainien·nes vont tout faire pour se défendre.
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