Ella Aflalo, candidate de “Top chef” en 2018, est désormais aux fourneaux de Yima, temple de la cuisine levantine en plein cœur du quartier de Noailles à Marseille.
Assise au comptoir de sa cuisine, Ella Aflalo élabore consciencieusement la carte de la semaine. A 25 ans, elle a l’air de savoir où elle va; il faut dire qu’elle n’en est pas à son coup d’essai avec Yima, l’adresse qu’elle a ouverte l’année dernière. Après avoir fait ses classes dans le célèbre Institut Paul Bocuse à Lyon, elle a également travaillé pour de prestigieux établissements comme feu l’Instant d’or (Paris) ou la Résidence de la Pinède (Saint-Tropez). En cette journée d’hiver, il est 15h30, le service doit être fini depuis maintenant une bonne heure, pourtant, à la table qui fait face au comptoir, une famille termine un généreux plat de couscous: “Les gens ont tendance à s’attarder, tant mieux, ça veut dire qu’ils se sentent bien et c’est que ce je souhaite”, dit-elle en souriant.
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“Entre femmes, on s’apporte toutes quelque chose et on se comprend très vite.”
Yima est un mot hybride, contraction de “yema” et “ima” qui signifient “maman” respectivement en arabe et en hébreu. La cheffe se confie sur cette maman qui lui a justement “donné le goût de manger”, ce qui l’a inévitablement conduite vers les fourneaux. La cuisine de Ella est généreuse comme une grande tablée d’un jour de Shabbat ou d’un ftour qui sonne la fin d’une journée de Ramadan. Elle explique vouloir proposer “une cuisine familiale où tout le monde se sert dans les plats des uns et des autres”. Et elle est accompagnée dans cette tâche par ses acolytes qui viennent du Maroc ou encore de la Turquie. Une diversité qui, sans être clamée haut et fort, se ressent et se goûte. Tous les ingrédients qu’elle utilise le disent. Les épices viennent d’Israël, la crêpe à mille trous du dimanche est du Maroc et les moules marinières de Marseille. Une joyeuse cacophonie culinaire dont elle nous parle en toute simplicité. Interview.
Comment est né ton restaurant Yima?
Yima est né d’une association entre trois frères, Gilles, Olivier, Alexis, tous les trois marseillais juifs, Georges, qui vient de Kabylie et moi-même. On est une bande d’amis qui aimons la nourriture. À l’époque, je travaillais chez Jogging, un concept-store situé rue Paradis à Marseille et j’avais déjà envie de faire de la cuisine levantine et israélienne avec des inspirations qui viennent du Maghreb et du Moyen-Orient.
À Marseille, Noailles est un quartier populaire qui est particulièrement touché par la problématique de l’habitat indigne. Pourquoi l’avoir choisi pour l’implantation de ton restaurant?
Le quartier de Noailles est en adéquation totale avec ma cuisine. C’est un endroit cosmopolite, mélangé, avec un côté oriental très présent comme dans ma cuisine. Noailles reflète parfaitement mon projet.
Tu cuisines uniquement avec des femmes issues du pourtour méditerranéen. Pourquoi avoir fait ce choix de recrutement?
Mon restaurant s’appelle Yima ce qui veut dire “maman”. C’est un peu une ode aux femmes. Les cuisines sont majoritairement fréquentées par des hommes même si les lignes ont commencé à bouger ces dernières années. Néanmoins, je pense que les femmes créent une harmonie qu’on ne retrouve pas ailleurs. On s’apporte toutes quelque chose et on se comprend très vite. On n’a pas les mêmes âges ou origines mais quelque chose de plus nous fort nous rassemble.
Voir cette publication sur InstagramQui veut se régaler avec la cuisine orientale des femmes de Yima ? Levez la main ✋🏼
Tu dirais de ta cuisine qu’elle est israélienne, levantine, méditerranéenne, ou orientale?
Un gros mix de tout cela! C’est compliqué de la décrire avec seulement un seul de ces qualificatifs. Je dirais que c’est une cuisine d’inspiration moyen-orientale même si parfois il y a des dérogations. Par exemple, avec la carte qui arrive, on a décidé de faire une aile de raie à la grenobloise qui est une spécialité française, mais j’y apporterai une touche orientale grâce aux épices et à la cuisson. Je dirais avant tout que c’est une cuisine colorée.
Tu mêles dans ton travail traditions arabo-maghrébines et israélienne. Est-ce une manière de faire dialoguer des identités souvent présentées comme antagonistes?
Je n’ai pas envie de politiser mon travail. C’est assez délicat, peut-être que je suis un peu naïve, mais avec la cuisine on peut montrer qu’on a une culture commune. La cuisine rassemble et unit les gens. C’est un souhait pour moi qu’on arrive tous à se comprendre et se respecter. Dans le quartier, tout le monde sait que je suis juive et ça ne pose aucun souci. Autour d’un bon plat on peut tout oublier et profiter du moment.
“C’est absolument incroyable tout ce qu’il est possible de faire avec les légumes.”
Quel est l’ingrédient que tu préfères travailler?
Les légumes. Ma cuisine est très végétale, c’est absolument incroyable tout ce qu’il est possible de faire avec les légumes. Dans le travail de la viande et du poisson, il existe une certaine limite, alors qu’avec les légumes, le champ des possibles est infini. J’ai également envie de respecter notre planète et les légumes me le permettent.
Quelle est la différence entre la culture culinaire en France et en Israël?
En Israël, du petit boui-boui au restaurant gastronomique, la nourriture est toujours bonne. Les assaisonnements et les modes de cuisson sont très travaillés ce qui permet de rendre exquis des produits très simples. Leur cuisine est très créative.
Comment faire progresser le nombre de femmes cheffes?
C’est difficile de trouver des solutions à ce problème. Il faut valoriser notre métier et en montrer la beauté, faire évoluer les conditions de travail en cuisine qui peuvent être parfois difficiles pour les femmes dans ce milieu d’hommes. Mais surtout, il est nécessaire que la société se rende compte qu’une femme puisse faire aussi bien qu’un homme.
Propos recueillis par Wassila Belhacine
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