Cette fausse candide à la Guillaume Meurice est une reine du happening sur YouTube. Elle s’incruste partout, surtout là où il ne faut pas, des rassemblements frontistes à la Fashion week, et amuse ses 180 000 fans Facebook d’un Hexagone dont il vaut mieux rire. Portrait.
Longue rose bleue au sommet de la scène et drapeaux tricolores pointés vers le ciel, voilà pour le cadre -un meeting FN des plus tradis. Mais sur l’estrade destinée à accueillir Marine Le Pen, une intruse s’incruste. L’air déboussolé, la jeune femme porte chignon court et petites lunettes arrondies, un micro dans la poche. Sans prévenir, elle brandit un insolent majeur aux partisans qu’elle a auparavant interrogés. Puis déguerpit au son du Boulbi de Booba et sous les huées de l’audience. Provoc’ suicidaire? Blague potache? Performance artistique? Un peu de tout cela, peut-être. La recette de Marie, l’intruse en question, c’est de brouiller les pistes. Ça fait déjà un an et demi que la vidéaste enchaîne les happenings sur sa chaîne YouTube Marie s’infiltre, sautillant de la comédie pure à la dérision bobo façon Quotidien.
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Des meetings FN à Nuit Debout
Démasquée, Marie Benoliel a les cheveux détachés, les yeux noisette, le sourire ultra bright, la voix distinguée -amusée, elle reconnaît être “une petite bourge du seizième”. À entendre la jeune femme de 26 ans, elle serait “un peu folle”. Dur ne pas la croire quand on la voit promener sa caméra de meeting en manif. Au moment de l’affaire Fillon, elle prend le contrepied du bashing global et clame “Libérez Pénélope!”. Face aux indignés du rassemblement anti-Loi Travail, elle apparaît en PDG au petit veston cintré et s’insurge contre cette “lutte des classes”. Madame Sans-Gêne aux quatre coins de Paname, elle se grime en Marie-Antoinette pomponnée pour saluer les révoltés de Nuit Debout. Qu’elle parte à la recherche de mélenchonistes à Neuilly-sur-Seine ou titille les sarkozystes en oripeaux de caillera, son micro-trottoir faussement naïf évoque l’investigation humoristique d’un Guillaume Meurice. À chiffonner les écolos, elle réjouit la fachosphère. Puis provoque son ire dès le canular suivant et se voit étiquetée islamo-gauchiste à vie. Tant mieux, Marie aspire à parler à tout le monde. Le regard dans le vide, inquiet ou complice, elle laisse ses intervenants déballer leurs convictions, à nous de faire le tri. Quelques mois avant la victoire de Donald Trump, elle s’était invitée à une réunion de républicains gays. Après le drame de Charlottesville, on l’aurait bien imaginée tutoyer (de loin) les suprémacistes blancs.
“Tout cela, c’est un jeu de rôle, j’incarne un personnage, ce n’est pas du journalisme car ça n’informe pas: je viens juste dévoiler les travers de notre société”, nous explique-t-elle entre deux gorgées de café allongé. Et parfois les pires, comme lorsque l’usurpatrice s’infiltre au procès d’Henry de Lesquen, l’antisémite notoire. Aux logorrhées haineuses de l’ultra-droitier, elle répond par un sulfureux booty shake. Qu’elle fréquente macronistes, militants anti-avortement ou vanités bourgeoises, cette enfant du Cours Florent se sert toujours de son corps comme d’une arme de dérision massive, remué pour mieux irriter les réacs et enrichir le réel d’un peu d’inattendu comique.
“À l’extérieur, je suis douce, mais à l’intérieur, je suis une grosse dingo provocatrice!”
Au risque d’échauffer la prose libidineuse des spectateurs les moins inspirés, Marie assume cette sensualité libre. “Ma formation théâtrale m’a appris que le corps est le premier instrument de pouvoir sur l’autre: la façon de captiver son regard et de te placer dans la lumière permet de le dominer”, nous raconte-t-elle. Pour preuve, sa vidéo sur les violences faites aux femmes, où elle feint de décocher des droites aux passants alentours, gants blancs aux poings, boxant au passage cette croyance en “l’immuable culpabilité de la femme, tantôt créature provocante, sorcière, hystérique, perverse”.
Qu’elle scandalise fillonistes ou communistes, la vagabonde est toujours à deux doigts du fiasco. “Jamais un mec ne pourrait faire ce que je fais, nous assure-t-elle. À l’extérieur, je suis douce, mais à l’intérieur, je suis une grosse dingo provocatrice! Être une femme me permet tout -d’attirer l’attention, d’être écoutée, de pas me faire casser la gueule…”. Ce narcissisme décomplexé, elle s’en sert pour mettre les egos au tapis, qu’ils s’exposent à la FIAC ou défilent à la Fashion week.
Portrait d’une France morose
Loin des galas de mode, la démarche de Marie ne se comprend qu’au visionnage de Blue Monday, où elle fait causette avec les passagers (fatigués) du métro parisien. Antidote à une détresse dans l’air du temps, la farce devient thérapeutique. “La France va mal! Quand je vois à quel point les gens souffrent, ça me donne envie de créer une ONG”, nous décoche-t-elle avant d’insister sur l’importance de “pénétrer au plus près l’intimité des gens, toucher à l’émotionnel en leur offrant la parole, afin de raviver une forme d’énergie commune”. Un discours digne d’une présidente, le fruit de ses années Sciences Po sans doute, passées à ingérer les éléments rhétoriques du langage politique. À l’époque, Marie voulait “devenir la Ségolène Royal qui réussirait!”. Mais fanfaronner n’a fait qu’exacerber son esprit citoyen. Dans son dernier sketch, elle s’invite à Pôle emploi et pitche à une employée hilare l’intérêt d’une start-up “qui associerait la mode et le monde de la ferme”. Surtout, elle ravale son rire et prend le pouls d’une France en état de morosité avancée. “C’est la jungle là-dedans, c’est pas la vie”, lui confie un chômeur. C’est dans le souci de capter cet Hexagone sans filtre que Marie s’infiltre. Nul doute que les prochaines révoltes de rue lui donneront du grain à moudre.
Clément Arbrun
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