La saison des talons qui s’enfoncent dans l’herbe, des pièces montées qui collent aux dents et des discours embarrassants est arrivée. L’an dernier, 228 000 couples se sont dit oui. Mais comment se passer la bague au doigt en étant féministes convaincu·e·s alors que le mariage véhicule toujours certaines symboliques patriarcales et genrées?
“C’est moi qui l’ai demandé en mariage”, raconte en souriant Anna, 28 ans, qui, dans trois mois, épousera Pierre, dans le New Jersey aux États-Unis. Cette Franco-américaine a posé “la question la plus importante de sa vie” à son compagnon il y a un an. Un geste qui, autour d’elle, en a surpris plus d’un·e. Si dans les esprits, une femme peut tout à fait demander son compagnon en mariage, en pratique, c’est souvent l’homme qui pose un genou à terre. “J’en avais envie et je ne voyais pas pourquoi je devais attendre qu’il se décide à me poser la question alors que j’étais sûre de moi”, explique Anna. Et d’ajouter: “Le pire aurait été qu’il demande ma main à mon père. Je trouve cette tradition révoltante. Si je dois me marier, je dois être la seule à dire oui, ou non. Personne n’a à ‘approuver’ quoi que ce soit.” Impatiente à l’idée de s’unir à son compagnon, Anna, “féministe jusqu’au bout des ongles”, a tout de suite annoncé la couleur: “Je garde mon nom. Ce n’est pas parce que je suis persuadée d’aimer Pierre toute ma vie que je n’existe qu’à travers lui, explique-t-elle. Perdre mon nom me donnerait la sensation d’être une pièce rapportée dans la famille de mon mari, de devenir son prolongement.” Comme elle, de plus en plus de femmes tiennent à garder leur nom de naissance, pour raisons professionnelles, administratives ou par simple souci d’égalité. À noter que, depuis 1997, les femmes peuvent d’ailleurs transmettre leur matronyme à leurs enfants.
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Une institution sexiste
Si aujourd’hui les femmes peuvent garder leur nom de jeune fille et n’ont plus besoin de l’autorisation de leur mari pour travailler ou ouvrir un compte bancaire, comme ce fut le cas jusqu’en 1965, Florence Maillochon, sociologue et directrice de recherche au CNRS, autrice de La passion du mariage, souligne que les codes sexistes sont toujours bien ancrés dans le rituel marital: “Les cérémonies de mariage sont fondées sur la mise en scène de la différence des sexes au niveau visuel –la robe de mariée surpasse en coût et en ampleur le costume du marié, les habits des invitées sont souvent plus spectaculaires que ceux des invités… La mariée est placée au centre de la fête et des regards, appréciée en fonction de ses qualités esthétiques, et non pas individuelles, comme un objet sexuel et non pas une personne.” Un cérémoniel stéréotypé qui explique peut-être le désamour des jeunes face à cette institution. En effet, l’âge moyen des mariés ne cesse de reculer. En 2017, selon l’Insee, il était de 38,1 ans chez les hommes, contre 32,9 ans en 1997. Quant aux femmes, elles convolent aujourd’hui à 35,6 ans contre 30,3 ans il y a vingt ans.
“Il y a une très nette remise en cause du mariage chez les jeunes, confirme Florence Maillochon, en revanche, ceux qui choisissent de se marier ont souvent une position ambivalente par rapport aux rituels. Dans leur discours, il y a une volonté très affirmée de bousculer les codes, de faire un mariage personnalisé, ‘qui leur ressemble’.” Si pour de nombreux couples en résulte une course à l’originalité dans le choix du thème, du lieu ou du dress code, pour d’autres, comme Anna et Pierre, bien décidés à honorer leurs convictions à quelques mois de leur mariage, il s’agit surtout de passer en revue les moindres détails de la cérémonie pour traquer les symboliques sexistes: “En Amérique, le mariage est encore plus codifié qu’en France, les cérémonies sont millimétrées et il y a tout un protocole à respecter à la lettre”, explique Anna qui, en lieu et place des traditionnelles demoiselles d’honneur, aura “des potes d’honneur”. “J’ai deux meilleures amies et un meilleur ami, détaille-t-elle, il aurait été ridicule que, sous prétexte qu’il est un homme, il ne puisse pas être à mes côtés en ce jour si important pour moi.”
Des rituels infantilisants
Autre tradition dynamitée: l’escorte de la mariée par son père. Traditionnellement, la mariée est accompagnée jusqu’à l’autel ou au bureau du maire par son père qui, symboliquement, la “remet” à son futur mari. Un rituel infantilisant, qu’Anna et son compagnon ont décidé d’ignorer, préférant une entrée en duo: “Je m’entends très bien avec mon père, on s’adore, mais cette idée qu’il me lègue à mon mari me donne des sueurs froides, confie la future mariée. Et puis, au-delà de la symbolique, ce n’est pas simplement mon jour, c’est notre jour, à nous deux. Je ne vois pas pourquoi je devrais être au centre de tous les regards, arriver comme le clou du spectacle alors que Pierre est relégué au second plan. On se marie ensemble donc on arrive ensemble.”
“La symbolique du virginal est complètement tombée aux oubliettes. Le blanc reste par habitude, mais il ne représente plus la pureté.”
Une initiative novatrice qui peut choquer les couples demeurant attachés aux normes du mariage: “Les personnes qui se marient ne sont pas (en moyenne) les plus innovantes en termes de remise en cause des rapports sociaux de genre, affirme Florence Maillochon. Les études sociologiques montrent qu’ils ont souvent des valeurs plus différentialistes que les pacsés et une proximité plus grande avec la religion par exemple. Globalement, les mariages s’établissent dans des milieux plus traditionalistes que les Pacs.” Ce qui explique pourquoi le vote du Mariage pour tous en 2013, ouvrant l’union aux couples de même sexe, habituellement cantonnés au Pacs, a entraîné une vague de “dégenrification” des cérémonies, comme en témoigne Gwénaëlle Sommier, wedding planneuse pour l’agence Mission Mariage: “Les mariages homosexuels ne sont généralement pas aussi codifiés que les autres puisque le couple même s’oppose à l’imagerie conservatrice du mariage”, indique-t-elle. Et de préciser que les marié·e·s sont aujourd’hui de plus en plus nombreux·ses à twister la tradition pour une approche plus égalitaire du mariage: “Les arrivées en couple sont plus fréquentes, et on a moins tendance à séparer les femmes des hommes, les cortèges sont de plus en plus mixtes. Lors d’une récente cérémonie, c’est le meilleur ami de la mariée qui a tenu son bouquet pendant la cérémonie, se souvient-elle, il y a quelques années la vision d’un homme en costume, planté derrière la mariée, un bouquet à la main, aurait fait glousser.”
Du côté des robes, si le blanc est toujours majoritaire, de plus en plus de femmes osent le rose, le rouge, le noir… “La symbolique du virginal est complètement tombée aux oubliettes. Le blanc reste par habitude, mais il ne représente plus la pureté, confie Gwénaëlle Sommier. Les mariées sont également moins classiques au niveau des coupes, avec des robes mi-longues, voire courtes. L’image de la traîne interminable et du voile n’est plus vraiment d’actualité.” De plus en plus de femmes choisissent d’ailleurs un costume type smocking, blanc ou pas, pour convoler. Mais le vrai changement est, d’après la wedding planneuse, dans l’engagement des futurs maris: “Les hommes s’impliquent de plus en plus dans l’organisation de leur mariage. Il m’est arrivé plusieurs fois de ne traiter qu’avec le futur mari pour choisir le lieu de réception, la décoration, l’ambiance… Les rôles se rééquilibrent vraiment.” Une bonne nouvelle qui permettra peut-être d’en finir avec ce mythe de la bridezilla -contraction de ‘bride’ (Ndlr: ‘mariée’ en français) et de Godzilla-, cette future épouse tellement stressée par les détails de l’organisation de son grand jour qu’elle se transforme en monstrueuse hystérique. Une vision caricaturée et sexiste que les comédies US véhiculent à l’envi, à l’instar de 27 robes ou Meilleures ennemies.
Les hommes s’impliquent
Cette nouvelle répartition des rôles est, selon Florence Maillochon, un réel bouleversement tant la planification des noces est supposée être le pré carré de ces dames: “L‘organisation du mariage, et la majeure partie de sa charge mentale, est portée par les femmes; la mariée en premier lieu, sa mère, sa belle-mère et d’éventuelles autres femmes de la famille et de l’entourage. Bien que la préparation du mariage relève davantage du travail de chef d’entreprise ou de chef opérateur que de la cuisinière ou de la femme au foyer, il reste pensé comme un travail domestique qui relèverait des activités féminines.”
Pourtant, lorsque Marc et Clara se sont mariés il y a deux ans, c’est monsieur qui a géré l’organisation de l’événement. “On a toujours tendance à penser que seule la mariée va se concentrer sur l’élaboration du grand jour, que le futur mari n’a pas envie ou autre chose à faire, s’étonne ce comptable de 35 ans, mais je tenais absolument à m’investir, ça me faisait plaisir de peaufiner tous les petits détails qui allaient rendre cette journée parfaite. Clara, elle, n’avait aucune envie de se prendre la tête des heures sur le menu ou le plan de table.” Pour que leur mariage et son organisation restent un bon souvenir pour l’un comme pour l’autre, c’est donc Marc qui s’est attelé, ravi, au choix des chaises et des tentes à installer dans le jardin de la ferme bourguignonne de ses grands-parents, ou à la composition des bouquets. Une décision qu’il ne regrette pas: “Je me suis beaucoup amusé et Clara n’a pas eu à faire semblant de s’intéresser. Je ne vois pas pourquoi, sous prétexte qu’elle est née avec un utérus, elle devrait se passionner pour les pivoines et la couleur des faire-part…”
“Beaucoup de mariés sont maintenant anti-princes et -princesses, d’ailleurs les châteaux n’ont plus trop la cote.”
“Les mariés brisent de plus en plus les codes”, confirme William Lambelet, photographe de mariage, élu photographe de l’année 2018 par la Wedding PhotoJournalist Association. Oubliez les traditionnelles photographies des deux époux devant un arbre avec quelques cygnes en arrière plan: pour ce professionnel, les photos posées sont proscrites. Il photographie la journée façon documentaire, sur le vif. Résultat: des clichés dynamiques, drôles, émouvants et surtout vivants. Un besoin de renouveler le genre que ce photographe ressent également chez ses clients: “Le mariage est une belle institution mais, sur la forme et dans la symbolique, elle est un peu poussiéreuse. Les couples sont nombreux à la réinventer, la désacraliser. Aujourd’hui, avec les cérémonies laïques, on peut imaginer des mariages plus en accord avec les goûts, les passions ou les valeurs, du couple, on invente un nouveau cérémonial qui se détache du protocole habituel pour personnaliser le mariage au maximum.” À l’arrivée, des noces plus modernes, loin de l’imagerie meringue/carrosse d’autrefois. “Beaucoup de mariés sont maintenant anti-princes et -princesses, confie William Lambelet, d’ailleurs les châteaux n’ont plus trop la cote.”
Inventer de nouvelles traditions
Cette esthétique conte de fées, longtemps vendue à tour de bras par la presse féminine, Maeve, qui se dit romantique mais féministe avant tout, y est allergique. “J’ai toujours eu envie de me marier, se souvient cette puéricultrice de 34 ans, mais en grandissant et en développant ma conscience féministe, le ‘rêve de princesse’ a évolué en une cérémonie plus égalitaire, moins genrée.” Comme nos deux autres mariées féministes, Maeve a gardé son nom. Pour son enterrement de vie de jeune fille, elle a refusé le pack spa-cocktails-strip-teaser entre filles proposé par l’une de ses cousines, pour organiser à la place une grande fête réunissant ses ami·e·s, tous sexes confondus.
Elle a également dit non à la sacro-sainte bague de fiançailles: “La bague de fiançailles a toujours eu pour but de signifier qu’une femme était prise, non disponible pour les autres hommes, explique-t-elle, pour moi c’est un symbole encore très puissant du patriarcat car seule la femme porte une bague de fiançailles, ce n’est pas comme les alliances qui lient les deux époux. Yann est mon mari, il le restera pour la vie, je l’espère, mais je ne lui appartiens pas. Dire oui à un homme, pour un mariage ou pour autre chose, ce n’est pas lui céder le contrôle sur notre vie ou notre corps. Je n’avais aucune envie d’avoir à mon doigt le rappel physique d’un sexisme que je combats tous les jours. En plus, ça coûte une blinde ces conneries.”
Audrey Renault
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