Griffe de prêt-à-porter fait main que les influenceuses s’arrachent, MaisonCléo a, à l’inverse des marques plus traditionnelles, vu ses ventes exploser pendant le confinement.
Marie Dewet, une jeune Calaisienne, a créé en 2018 sa marque “MaisonCléo” avec sa mère pour couturière. Pas d’entrepôt, pas de manufacture, juste deux femmes qui dessinent et confectionnent les vêtements à la pièce et qui les vendent via un e-shop. D’abord lancée sur Instagram, la marque à l’esprit vintage, qui collabore désormais avec le site de vente en ligne Net-a-porter, cartonne. Et encore plus avec le confinement: depuis mi-mars, chaque nouvelle pièce s’écoule en à peine trois minutes. Pourquoi? Parce que son business model est l’essence même du renouveau de la mode, que certaines grandes maisons peinent à atteindre. Interview.
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Peux-tu nous raconter en quelques mots l’histoire de MaisonCléo?
Tout à commencé en 2015. Pour être tout à fait honnête, je n’avais jamais eu l’idée de créer une marque, mais j’ai eu une grosse prise de conscience juste après mes stages et mes études de mode. Je me suis rendu compte à quel point il y avait du gâchis de tissus, pour des marges beaucoup trop importantes chez les grandes marques. J’étais à un tournant de ma vie, et j’ai pris la décision de consommer mieux: du bien fait, des belles matières, des vêtements qui ne faisaient de mal ni à celles et ceux qui les fabriquent, ni à l’environnement. Mais à l’époque, je ne trouvais aucune marque correspondant à ce que je voulais -ou alors c’était trop cher. Donc j’ai demandé à ma mère, couturière, de me faire mes vêtements. Au début, c’étaient juste des petits débardeurs en soie, puis on s’est prises au jeu, et j’ai lancé un Instagram “Cléo FR” (du surnom de ma mère, “Cléopatre”) pour montrer ce qu’on pouvait faire. Les gens ont commencé à me suivre et me demander si on envisageait de les vendre. En mars 2016, on a vendu quelques pièces et, petit à petit, on est passées de 5 à 10 commandes, puis à 15, etc. Et puis il y a Leandra Medine, du blog Man Repeller, qui nous a acheté une pièce et qui en a parlé sur Instagram. Et là, ça a été fulgurant.
Le terme qui revient souvent pour décrire MaisonCléo, c’est “Insta-couture”…
J’adore ce terme! Ça vient de Leandra Médine justement, qui à l’époque avait fait un article sur son blog intitulé “J’ai acheté une chemise sur Instagram”. C’était quelque chose de fou parce qu’avant, on achetait pas sur Instagram. Et le mot “couture” est très important pour moi aussi: nous faisons des pièces uniques, sur-mesure, chaque détail est pensé… Un peu comme en haute-couture. Et c’est aussi le retour de la fabrication à la commande, qui était répandue avant mais qu’on a perdu avec la fast-fashion.
L’article de Leandra Medine sur le blog Man Repeller
Justement, les commandes, parlons-en: comment ça s’est passé pendant le confinement?
Je dois avouer que j’ai eu un petit coup de stress au début: j’ai quitté mon CDI chez Vestiaire Collective la semaine du confinement. Comme j’ai démissionné, je n’ai pas droit au chômage. Ça faisait un an que j’y pensais, j’adorais mon job mais je n’arrivais plus à concilier ça et MaisonCléo. Au moment où je saute enfin le pas, une pandémie nous tombe dessus! Mais finalement, mes peurs se sont envolées dès le premier drop que l’on a fait: les gens pouvaient être devant leur ordinateur à 18h30 [Ndlr: heure de mise en vente des pièces chaque mercredi sur l’e-shop Maison Cléo], et en deux minutes, on était sold out! On a recommencé les livraisons après le confinement car cela nous paraissait important de ne pas mettre en danger des livreur·se·s quand on cherche globalement à avoir une approche de la mode responsable.
Vous vendez désormais environ 30 pièces par semaine. Avez-vous envie de vous développer davantage au vu de la demande de plus en plus importante?
On se pose la question depuis quelques mois. Même si c’est un bonheur de voir nos pièces partir en deux minutes, c’est aussi très frustrant. Chaque jour, je reçois des centaines de messages de clientes me disant qu’elles n’arrivent pas à mettre la main sur la blouse qu’elles convoitent depuis des mois. Si on veut, à notre échelle, changer la mode, on va forcément devoir augmenter un peu notre production. Nous travaillons déjà deux fois par an avec deux couturières pour nos collections Net-a-porter. Pourquoi pas les avoir toute l’année avec nous…? Quoi qu’il arrive, nous resterons sur une fabrication à la main. C’est génial de mettre en avant ce savoir-faire particulier dans le Nord et encore plus à Calais, cité de la dentelle, où il y a une vraie histoire avec le textile. J’aimerais également inviter des designers peu connus pour mettre en avant leur talent. Ou même des personnes qui ne se revendiquent pas spécialement du milieu, comme cette grand-mère avec laquelle nous avons travaillé l’été dernier sur des tops en maille.
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Rançon du succès, vous êtes régulièrement copiées par la fast fashion. Comment luttez-vous contre ça?
Au début, ça m’affectait beaucoup. Aujourd’hui, j’essaie de passer au-dessus. Nos clientes ne sont pas dupes: elles savent très bien que si elles achètent la copie d’un de nos modèles sur AliExpress à cinq euros, ce sera du polyester de très mauvaise qualité et cousu dans des conditions déplorables. Si elles viennent vers nous, c’est aussi parce qu’elles veulent changer leur rapport à la consommation de vêtements. Au début de MaisonCléo, nous avions des commentaires du type “c’est inadmissible de vendre un simple haut 70 euros”, alors qu’on était bien en dessous de ce que ça nous coûtait. Aujourd’hui, nous avons moins de scrupules à vendre au prix juste, c’est-à-dire celui qui paie la qualité du tissu et de l’ouvrage. Par exemple, ce matin, j’ai trouvé un super tissu qui m’a coûté 139 euros pour trois mètres… Nous faisons en sorte d’être très transparentes dans toutes les étapes de fabrication pour montrer qu’un vêtement, ce n’est pas gratuit et qu’il faut davantage se méfier quand un chemisier est vendu 10 euros. Et avec les années, les clientes sont de moins en moins réticentes à mettre le prix pour avoir accès à du fait-main.
Quelle est la recette du succès de MaisonCléo?
Si j’en crois les retours de nos clientes, nous avons une image très authentique qui leur plaît. D’ailleurs, elles commencent leurs messages par “Hey Marie”, comme si j’étais leur copine, c’est génial! Je pense qu’elles se sentent proches de la marque parce que je fais en sorte de montrer tout le processus et que je réponds au maximum aux sollicitations. Peut-être aussi que le fait de ne pas être Parisiennes joue en notre faveur… (Rires)
Serions-nous en train de tourner la page de la fast fashion?
J’observe une tendance globale qui va dans ce sens et je trouve ça génial! Ce matin, j’ai eu la fondatrice de la marque vintage Imparfaite au téléphone et elle me racontait qu’elle aussi avait eu beaucoup de commandes pendant le confinement. On reçoit énormément de messages de personnes disant qu’elles ont réfléchi à leur façon de consommer pendant cette période, c’est très encourageant. Il y a aussi un retour à la couture, au fait maison, qui est en train d’émerger. Une fois que la prise de conscience est engagée chez les consommateur·rice·s, c’est aux marques et grandes maisons d’être moteur du changement: si l’on se passe de la fast fashion -et c’est souhaitable- il faut aussi penser à toutes ces personnes que cette industrie rémunère, dans les usines des pays spécialisés, comme au Bangladesh ou en Inde. Nous ne pouvons pas les laisser derrière nous, après en avoir profité pendant aussi longtemps.
Propos recueillis par Noémie Leclercq
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