L’autrice “sexperte” Maïa Mazaurette publie deux livres en janvier, dont un essai qui propose de repenser entièrement nos rapports sexuels hétéros. Interview.
Qui s’intéresse un tant soit peu à la sexualité connaît Maïa Mazaurette, doublement pionnière puisqu’elle a commencé à écrire sur le sexe et sur le féminisme à la fin des années 2000, à un moment où, soyons honnêtes, aucun des deux sujets n’intéressait grand monde. C’était avant #MeToo, avant les discussions enflammées sur le genre, avant celles sur le consentement, avant celles sur les masculinités. C’était avant. Aujourd’hui, alors que nous entrons dans une nouvelle décennie, la révolution du plaisir est bien entamée, et elle a commencé par celle du plaisir féminin, un sombre inconnu de nos chambres à coucher, tant les rapports sexuels ont été façonnés par le patriarcat.
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“La pénétration, c’est le MacDo du sexe.”
Et la bonne nouvelle selon Maïa Mazaurette, c’est que la révolution amorcée ces dernières années ne devrait pas profiter qu’aux femmes, puisque tout est à refaire pour tout le monde. C’est ce qu’elle expose dans son livre Sortir du Trou. Lever la tête, écrit en deux parties complémentaires et dont la première, consacrée à déconstruire notre vision du sexe féminin uniquement vu comme un trou, date d’avant #MeToo. “Quand c’est arrivé, j’avais écrit la partie critique, Sortir du Trou, explique-t-elle, et je me suis dit qu’il fallait que je propose des pistes de réflexion et des solutions puisque le monde était en train de changer”. Lever la tête est donc un traité de sexualité qui nous encourage à déconstruire notre script du coït, trop souvent résumé à faire entrer un pénis dans un vagin. Un anachronisme à l’heure où la contraception a permis de dissocier le plaisir de la procréation, et un vestige du patriarcat que Maïa Mazaurette prend plaisir à déconstruire au quotidien via ses chroniques (rassemblées dans Le sexe selon Maïa), et dans son essai. Maïa Mazaurette est convaincante quand elle dit qu’il faut en finir avec l’opposition sexualité vanille versus sexualité pimentée. Et encore plus quand elle nous assure qu’on peut n’avoir qu’un·e partenaire et ne jamais s’ennuyer au lit. Interview.
Le plaisir féminin est-il le grand perdant de la sexualité hétéro?
Oui, indéniablement. Mais, moi, par exemple, je ne suis pas perdante, parce que je suis hétéro sans avoir une sexualité d’hétéro. Je m’en suis éloignée parce que je m’ennuyais. Le problème, c’est qu’on a fait de la pénétration du pénis dans le vagin la base du coït, parce que, pour un homme hétéro, c’est le meilleur rapport temps/orgasme. C’est paradoxal quand on sait que la seule vraie utilité de la pénétration, c’est de procréer. Je trouve que c’est une paresse et une vision médiocre de la sexualité.
Pourquoi?
La pénétration, c’est le MacDo du sexe, et on force les femmes à y aller toute leur vie même si elles n’aiment pas ça. Les hommes se convainquent qu’ils aiment ça en changeant de MacDo pour aller au Quick, quand ils reçoivent une fellation par exemple. Mais ils oublient qu’ils mangent le même cheeseburger toute leur vie.
Selon toi, il faudrait donc en finir avec la pénétration?
Il faudrait élargir le spectre. Si on se prive de penser que le sexe féminin est extérieur, on prive les femmes d’au moins 50% de leur plaisir, et encore je suis sympa. Les hommes aussi sont perdants dans ce schéma “pénis-vagin”, car on considère qu’ils sont censés tout faire. En fin de compte, tout le monde perd!
“Les femmes sont encore trop souvent piégées dans une vision amoureuse de la sexualité.”
Que faire pour avoir de meilleurs orgasmes?
L’étude de Archives of Sexual Behavior a montré que les femmes lesbiennes avaient des orgasmes dans 86% de leurs rapports contre 65% chez les femmes hétéros. C’est notamment parce que leur sexualité stimule à la fois le clitoris, le vagin et la bouche. Si on réaligne tout le corps, qu’on réconcilie le dedans et le dehors, forcément, c’est mieux. C’est valable pour les hommes, si on se mettait à considérer leur corps dans leur entier au lieu de les voir uniquement comme des pénis, on pourrait leur offrir des orgasmes plus longs, en stimulant la prostate par exemple, ou en pratiquant l’edging (Ndlr: l’edging consiste à retenir son orgasme plusieurs fois pour en obtenir un plus puissant). En les envisageant dans leur globalité, on les réconcilierait surtout avec leur dignité d’hommes.
Comment sortir de notre vision caricaturale du coït?
C’est difficile car on a été élevé·e·s dans l’idée que le bon sexe, c’est vaginal, et que les corps vont se parler, que les deux partenaires vont jouir ensemble. Maintenant, on commence à savoir que ça ne se passe pas comme ça, mais le problème, c’est que les femmes sont encore trop souvent piégées dans une vision amoureuse de la sexualité. Quant aux hommes, ils sont enfermés dans une vision “masculine” qui valorise la performance.
Les femmes doivent-elles davantage dire ce qui leur procure du plaisir et ce qui ne leur en procure pas?
Oui, il faut qu’elles prennent conscience de l’intérêt qu’elles ont à faire évoluer leurs pratiques sexuelles. La passivité qui est à tort associée à la réceptivité sexuelle et à la vision caricaturale du sexe féminin comme un trou, peut tout de même leur apporter certains bénéfices qu’elles ne souhaitent pas perdre. C’est vrai que quand tu n’es pas en charge de faire jouir un mec ni de te faire jouir toi-même, c’est déresponsabilisant. Alors que si tu décides de devenir compétente dans le domaine, tu peux te planter, ou faire mal. Quand tu deviens actrice, tu es également jugée, et je comprends que ça puisse faire peur.
“La redéfinition des masculinités sera le grand chantier des années 2020.”
Quels sont selon toi les chantiers qui attendent les millennials à l’aube de cette nouvelle décennie?
En ce qui me concerne, je veux poursuivre mon travail sur l’érotisation du corps des hommes. Il ne faut pas reprocher aux femmes de manquer de désir si elles sont les seules à faire des efforts pour susciter le désir chez l’autre. De façon plus générale, je crois que la redéfinition des masculinités sera le grand chantier des années 2020. En cinq ans, on a tout fichu à plat en interrogeant à la fois le genre, l’hétérosexualité, l’humain contre la machine, la privatisation de la rencontre, le consentement… Maintenant, on est prêt·e·s à tout recommencer.
Propos recueillis par Myriam Levain
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