L’exposition Lusted Men présente une collection de photos érotiques masculines, anonymes et contemporaines. Preuve que la nudité émoustillante n’est pas réservée aux modèles féminins.
La courbe d’une hanche, le galbe d’un fessier, le téton qui frétille, les vergetures saillantes: autant d’attributs traditionnellement associés aux femmes dans l’art qui sont, cette fois, accolés au masculin dans l’exposition photographique Lusted Men. Ce collectif fondé en 2019 a lancé un appel aux contributions érotiques masculines: 230 personnes, artistes chevronné·e·s ou amateur·ice·s ont répondu à l’appel la première année et chaque photographe présente un cliché dans l’exposition parisienne qui se tient en ce mois de janvier. Les images, projetées sur le mur grâce à un diaporama, montrent baigneurs alanguis, biroutes turgescentes, tenues dépoitraillées, amants lascifs, étreintes nocturnes, portraits d’alcôve ou encore chastes silhouettes.
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“Les hommes ont du mal à se mettre en scène aujourd’hui. La nudité devient pour eux source de fragilité.”
Abstraites, pornographiques ou parodiques, les photos sont classées par affinité, du selfie dans les toilettes au clin d’oeil à l’histoire de l’art, en passant par la sous-culture BDSM. Cette profusion visuelle donne un aperçu des canons esthétiques en vigueur en 2020: “Ce qu’on voit de la masculinité est extrêmement large, il y a une diversité de corps ainsi que des tendances représentatives d’une certaine culture visuelle. Les gens ont aussi envoyé des photos où ils se sentent beaux”, expliquent les commissaires d’exposition Salomé Burstein, Laura Lafon, Margaux Oren et Marion Chevalier, fondatrices du collectif avec Lucie Brugier, Morgane Tocco et Flora Beibt. Cerise sur le gâteau: “On a fait une minute de silence après le vernissage pour tous les gens excités qui avaient envie de se masturber”.
Muses masculines
Le modèle féminin s’est peu à peu substitué à la place occupée jadis par le nu masculin dans l’histoire de l’art, de l’Antiquité à la Renaissance: les représentations esthétiques associent désormais plutôt la disponibilité du corps féminin à l’exhibition corporelle. Jusque dans les pratiques intimes (lingerie, strip-tease…) qui encouragent fortement les femmes à se considérer comme objets de désir. “Les filles déploient des efforts pour créer de l’érotisme”, confirme Marie Rouge, l’une des photographes de l’exposition. Les commissaires de Lusted Men préfèrent quant à elles parler de “sujets érotiques”. “Les hommes ont du mal à se mettre en scène aujourd’hui. La nudité devient pour eux source de fragilité. Cela révèle un manque d’ouverture, une inquiétude et une virilité défaillante et gênante”, confirme Maxime Anthony, photographe parisien de 26 ans qui venait de réaliser sa première commande de nu masculin lorsqu’il a eu connaissance du projet Lusted Men -sa contribution est un pudique fragment de torse en noir et blanc.
© Maxime Antony
Lusted Men entend questionner ce double-standard dans l’érotisation en incluant dans son projet les hommes hétérosexuels, puisque la corporéité masculine a surtout été abondamment scrutée et sublimée par la photo queer, de Pierre & Gilles à Robert Mapplethorpe en passant par Hervé Guibert. Pour les commissaires, “Le but est aussi de toucher la catégorie des hommes hétéros. La pratique photographique peut aider à prendre conscience de son propre corps, à l’aimer mieux, s’autoriser à le désirer. C’est une invitation au jeu qui a pimenté la vie de pas mal de gens.” Un quart des contributeur·ice·s n’avait d’ailleurs jamais pratiqué la photo érotique avant de collaborer au projet.
Archives de la “dick pic”
L’odieuse “dick pic”, ou photo pénienne balancée sans somation par smartphone, vient logiquement compléter ce tableau de l’érotisme masculin. “On a reçu assez peu de dick pics, remarquent les commissaires. On en a parlé entre nous: est-ce forcément un spam reçu sans consentement ou peut-elle être un vrai cadeau? On peut en effet la détourner, en faire une œuvre d’art…nous en avons reçue une photographiée dans de la Chantilly. Une visiteuse de l’exposition nous a dit qu’elle conservait un stock de dick pics et qu’elle en envoyait en échange dès qu’elle en recevait une!”. Pour Flora Beibt, “la photo peut avoir la fonction d’une monnaie d’échange dans un jeu de séduction ou entre partenaires sexuels”. Signe d’une résistance à cette déconstruction masculine ou d’une persistance de certaines normes corporelles, Lusted Men a reçu peu d’images de pénis flaccides ou de petite taille.
“L’érotisme, ce n’est pas que du muscle et du poil.”
Female gaze
Le projet questionne également la place des masculinités dites hégémoniques et subalternes ainsi que les contours de l’érotisme. “Certains modèles détournent les codes de la féminité avec des talons, des drapés ou des accessoires de pin-up”, remarque Salomé Burstein. Or, les stéréotypes visuels diffusés par la culture ou la publicité proposent souvent une définition très restrictive de la virilité. “L’érotisme, ce n’est pas que du muscle et du poil”, souligne la photographe Marie Rouge. “Dans les pubs de mecs pour des boxers, on voit des types bodybuildés, en train de rire ou de prendre leur petit déjeuner.” Marie Rouge a ainsi pris spontanément en photo son ex-conjoint sous la douche. Selon elle, “l’érotisme peut être une attitude, une intimité partagée. C’est une douceur souvent refusée à la représentation des hommes noirs, souvent exotisés, dans une image assez bestiale et raciste.”
© Marie Rouge
Face à un “male gaze” (regard masculin) omnipotent, l’exercice d’un “female gaze” (regard féminin) érotise volontiers le corps masculin. Ainsi, Yasmine Hatimi, photographe basée à Casablanca, ambitionne de porter un nouveau regard sur les masculinités afin de révéler une jeunesse marocaine plus contrastée, plus nuancée. “Je vis dans un pays où il y a beaucoup de pudeur donc la première étape, pour moi, est de déconstruire le mythe de la virilité: d’ailleurs la plupart de mes modèles ont refusé d’être torse nu.”
© Yasmine Hatimi
De son côté, Louka Perdrizet, jeune photographe trans installé à Bruxelles a pris son tout premier “nude” pour Lusted Men, un selfie post-opératoire. Il détaille: “C’était un rêve. Avant, c’était compliqué de me représenter érotiquement. Maintenant, je me réapproprie mon corps qui n’a plus de seins. Je me sens bien parce que j’ai le droit de faire ce genre de chose en étant un homme trans, on me laisse cette place. Ça a été une délivrance. Aujourd’hui, j’envoie des nudes à ma meuf et je me dis ‘ça passe’.”
© Louka Perderizet
Clémentine Gallot
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