Whit Stillman, le réalisateur américain de Damsels in Distress, a pris toutes ses qualités, les a mixées avec celles de Jane Austen et y a ajouté Chloë Sévigny en costume d’époque. Le résultat, Love & Friendship, est une belle comédie intemporelle sur le poids des conventions sociales.
De Mr Darcy/Colin Firth qui sort de l’eau la chemise trempée dans l’adaptation culte d’Orgueil et Préjugés diffusée en 1995 sur la BBC, à Emma Thompson qui déprime dans Raisons et sentiments, les romans de Jane Austen ont donné naissance à des dizaines d’adaptations. Et les œuvres de l’auteure britannique ne sont pas les plus simples à transposer sur grand écran.
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Mais Whit Stillman, lui, est féru de Jane Austen depuis toujours et ne se laisse pas impressionner par les adaptations plus ou moins ratées de ses prédécesseurs. On peut sentir la filiation entre les héroïnes mi-mélancoliques mi-idéalistes qui traversent ses films (The Last Days of Disco, Damsels in Distress) et l’intelligence vive des protagonistes austeniennes. Dans son premier film, Metropolitan, le personnage masculin s’étonnait d’ailleurs de voir une jeune fille croisée en soirée défendre Mansfield Park et l’œuvre de Jane Austen comme si sa vie en dépendait. “Pourtant, tous ses romans semblent ridicules quand on les lit de notre perspective moderne”, lui disait-il. Avant de se voir répondre “Tu ne t’es jamais dit que notre monde vu par Jane Austen semblerait encore pire?”. L’ironie de mettre ces dialogues dans la bouche des New-Yorkais huppés de Metropolitan, vivant eux-mêmes dans un autre temps, n’échappait bien sûr pas au réalisateur américain.
Pour son duo principal, Whit Stillman a choisi de réunir Kate Beckinsale et Chloë Sevigny.
De cette admiration sans borne pour l’une des auteures les plus célèbres de l’histoire de la littérature est né Love & Friendship, une comédie enlevée, adaptée du petit roman méconnu Lady Susan. Voici comment Stillman a pimpé Jane Austen.
En trouvant le duo d’actrices idéal
Lady Susan raconte l’histoire d’une femme récemment endeuillée qui tente de refaire sa vie librement tout en gardant les privilèges de son rang. Elle aime séduire et brille par son intelligence machiavélique, qu’elle utilise pour manipuler tous ceux qui l’entourent: sa fille, ses amants, son beau-frère… Tous sauf son amie Alicia Johnson, à qui elle confie ses dernières aventures lors d’entrevues secrètes. Pour son duo principal, Whit Stillman a choisi de réunir Kate Beckinsale et Chloë Sevigny, stars de l’un de ses premiers films, The Last Days of Disco. Il prend un plaisir communicatif à filmer les deux actrices se lancer des bons mots en costume d’époque. Et la présence de la reine du cinéma indé Chloë Sevigny, dont le personnage est, contrairement au roman d’origine, américain, apporte une malicieuse touche anachronique.
En ridiculisant les personnages masculins
Stillman pousse le désir de liberté des héroïnes austeniennes à son paroxysme. Lady Susan est d’autant plus intéressante aux yeux du réalisateur, qu’elle n’a plus l’innocence naïve de la jeune Elizabeth Bennet d’Orgueil et Préjugés et qu’elle a appris à tirer toutes les ficelles sociales à son avantage. Dans Love & Friendship, les personnages masculins sont tous soit complètement ridicule (l’hilarant Tom Bennet), extrêmement naïf (le jeune Reginald de Courcy), ou carrément silencieux (Lord Manwaring), symboles d’une masculinité old school vouée à disparaître. Chloë Sevigny/Alicia Johnson se désole elle-même de son propre mari “trop vieux pour être manipulé et trop jeune pour mourir”.
Whit Stillman a insufflé à la trame narrative un sens du burlesque et de l’absurde.
En se jouant des codes sociaux
Stillman apporte à Austen plus de farce et une vraie volonté de jouer avec les codes sociaux les plus stricts, un thème qui traverse d’ailleurs tous ses films. Comment vivre dans un système imposé et faire un pas de côté pour sortir des clous? Il apporte ce sens de la rébellion tranquille à Austen, tout en gardant les grands codes de ses romans (le mariage, une certaine chasteté…). Dans Damsels in Distress, il montrait comment on peut sortir de la dépression en sentant un savon dans un motel miteux. Avec Love & Friendship, il montre comment on peut s’inventer sa propre petite liberté dans la société british la plus codifiée qui soit.
© Blinder Films – Chic Films – Revolver Amsterdam – ARTE France Cinema
En ciselant les dialogues
L’intérêt du réalisateur pour Lady Susan est d’abord venu de son format épistolaire, qui lui laissait carte blanche pour écrire les dialogues. Il a insufflé à la trame narrative un sens du burlesque et de l’absurde, et quelques gimmicks visuels (des cartons pour présenter les personnages) qui révèlent l’humour trop souvent délaissé de Jane Austen. Il a aussi développé le personnage secondaire du prétendant Tom Bennet, qui s’extasie sur des petits pois et devient le roi du comique de répétition. Avec Love & Friendship, les détracteurs de Jane Austen, qui la trouvent démodée en 2016, pourraient bien enfin la réhabiliter.
Pauline Le Gall
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