Alors que l’on commémore cette année les 75 ans de la Rafle du Vel D’hiv, Stéphanie Trouillard et Khalida Hatchy ont reconstitué la vie de Louise Pikovsky grâce à des lettres retrouvées dans un lycée à Paris.
Au départ, il y a une dizaine de lettres jaunies retrouvées dans une armoire du lycée parisien Jean de la Fontaine par Christine Lerch, professeure de mathématiques. Elles sont accompagnées d’une photo, de quelques prix, d’une Bible et de ce mot: “Nous sommes tous arrêtés. Je vous laisse les livres qui ne sont pas à moi et aussi quelques lettres que je voudrais retrouver si je reviens un jour.” Les lettres sont signées Louise Pikovsky et elles ont été déposées à sa professeure Mademoiselle Malingrey par la jeune fille de 16 ans le jour de son arrestation en janvier 1944. Comme ses mots en témoignent, l’adolescente juive pressent qu’elle ne rentrera pas et veut laisser une trace à sa prof dont elle est proche. Ce sont précisément ces mots qui, près de 70 ans plus tard, sautent au visage de Christine Lerch, lorsqu’elle les retrouve au fond d’une armoire en 2010.
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Une enquête minutieuse
Au moment de partir à la retraite l’année dernière, elle se confie sur sa trouvaille auprès de Khalida Hatchy, la documentaliste du lycée. Émue par ces quelques vestiges d’une vie trop tôt interrompue, cette dernière décide d’entamer des recherches sur Louise Pikovsky et propose à la journaliste Stéphanie Trouillard, passionnée par la Seconde guerre mondiale, de l’aider dans cette enquête, qui donnera lieu à un excellent webdoc mis en ligne par France 24.
Les deux trentenaires partent de la photo de classe déposée avec les lettres et légendée des noms des élèves pour retrouver la trace de Louise Pikovsky. Une première camarade, désormais octogénaire, les mettra sur la piste d’une autre, toujours résidente de la région parisienne. “Ça a été une première étape marquante, raconte Stéphanie Trouillard, c’était incroyable de se retrouver face à celle qui avait été sa voisine de classe, et qui se souvenait d’une élève brillante et intellectuelle.” Le témoignage de la vieille dame -qui confie avoir été hantée par le souvenir de cette copine jamais revenue en cours- confirme à Khalida Hatchy et Stéphanie Trouillard l’impression laissée par les lettres: Louise Pikovsky n’avait pas la maturité de son âge. “Quand je les ai lues, j’ai eu peine à croire que c’étaient les mots d’une adolescente”, se souvient Stéphanie Trouillard.
Retrouvailles
Parallèlement à leur travail de terrain à Paris, le tandem se penche sur les archives du mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, qui recense des informations sur toutes les victimes de la Shoah. Les témoignages qui y sont déposés leur permettent de nouer contact avec de cousines de Louise Pikovsky installées en Israël. Une rencontre est organisée dans le quartier ultra-orthodoxe où elles vivent. Un moment fort pour tout le monde. Si les cousines voient ressurgir le souvenir douloureux de leur famille perdue dans les camps, les Françaises découvrent, elles, le monde si particulier des haredim, à mille lieues de la vie parisienne que menaient Louise Pikovsky et sa famille.
Khalida Hatchy et Stéphanie Trouillard lors de leur voyage à Jérusalem sur les traces de Louise Pikovsky, DR
Petit à petit, le portrait de la jeune fille se dessine: son père, qui a fui les pogroms d’Ukraine au début du XXème siècle, a été naturalisé français après avoir épousé sa mère, une Française petite-fille du grand rabbin de Colmar. Arrêté pendant la rafle du Vel d’Hiv, dont on célébrait dimanche le 75ème anniversaire, il est miraculeusement libéré de Drancy.
Mais l’année suivante, alors que le gouvernement de Vichy a dénaturalisé tous les juifs étrangers, il sera à nouveau arrêté avec sa femme et ses quatre enfants: aucun d’entre eux ne reviendra d’Auschwitz. “On a rencontré une rescapée, déportée dans le même convoi avec toute sa famille, qui nous a raconté comment jusqu’à la chambre à gaz, personne n’a cru à cette fin tragique, lâche Stéphanie Trouillard, se rappelant d’un témoignage éprouvant au cours de cette enquête pas comme les autres. En exhumant ces lettres et en reconstituant la courte vie de Louise Pikovsky, on lui permet de revenir de déportation malgré tout.”
Gâchis
La journaliste reconnaît avoir souvent imaginé ce qu’aurait pu devenir la brillante élève, première de sa classe dans toutes les matières, comme en témoignent les tableaux de prix retrouvés à La Fontaine. “Alors qu’on vient de perdre Simone Veil, je ne peux pas m’empêcher de me dire que Louise Pikovsky aurait elle aussi pu avoir un destin extraordinaire si elle était revenue. Quel gâchis! Aurait-elle été scientifique ou se serait-elle dirigée vers les lettres? Sa relation si proche avec sa prof de latin-grec l’aurait peut-être aiguillée dans cette direction.” Cette fameuse Mademoiselle Malingrey avait d’ailleurs proposé d’héberger la jeune fille pour la protéger d’une arrestation. Et c’est sans doute cette même prof qui, à l’occasion des 50 ans du lycée célébrés en 1988, avait choisi d’exposer les lettres, laissant le trésor enfoui au fond d’une armoire jusqu’à maintenant. “Cette histoire est une histoire de femmes, souligne Stéphanie Trouillard. Il y a d’abord cette amitié entre une élève et une prof, puis une autre prof qui se confie à une documentaliste, qui mène l’enquête avec une journaliste, et qui retrouvent la trace de toutes ces amies et cousines.”
Les lettres de Louise Pikovsky sont accessibles au Mémorial de la Shoah à Paris, DR
Après le webdoc, mis en ligne en mars dernier, France 24 a tourné un reportage vidéo, et les deux auteures continuent leurs recherches ayant permis d’établir la liste des autres jeunes filles déportées à La Fontaine. Une plaque sera posée à l’entrée du lycée l’hiver prochain, en présence des élèves actuels, qui ont activement participé au projet, se confrontant au passé et à la dureté de l’histoire qui a frappé des gens de leur âge.
De son côté, Stéphanie Trouillard ira bientôt donner une conférence en Ukraine, un pays où l’extermination des juifs a été massive et dont le travail de mémoire est loin d’être achevé. “Je n’ai aucun lien avec la communauté juive, et je suis frappée de voir à quel point on imagine parfois que cette histoire n’appartient qu’à elle. Mais c’est notre histoire à tous, et celle de Louise est une histoire française avant tout, il est important qu’on s’y intéresse.” La jeune femme sourit en rappelant que cette enquête est celle d’une Bretonne et d’une Française d’origine algérienne sur une autre Française juive, preuve de l’universalité de ce destin, à une époque où les débats sur l’identité et la migration sont vigoureux. “Des Louise Pikovsky, il y en a sûrement plein d’autres, soupire-t-elle, et notre travail collectif est de ne pas les oublier.” Pour être sûres que le destin brisé de l’adolescente reste dans les mémoires, Stéphanie Trouillard et Khalida Hatchy ont fait don de tous les documents au Mémorial de la Shoah à Paris. L’histoire de la courte vie de Louise Pikovsky est désormais accessible à tous.
Myriam Levain
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