À 27 ans, Lolita Sene signe un premier récit autobiographique, C., la face noire de la blanche, dans lequel elle raconte sa dépendance à la cocaïne et sa volonté d’en sortir. Portrait d’une jeune femme qui fût en proie à une addiction cruellement ancrée dans l’air du temps.
Si l’on était sans pitié, on penserait immédiatement que, de la cocaïne, elle a gardé les stigmates des faux-semblants, qu’elle a certes réussi à se débarrasser de sa dépendance mais pas de sa carapace dorée. Pour savoir ce que pense réellement Lolita Sene –prononcez “saine”-, il faut se lever de bonne heure et cet après-midi-là, dans le café où on la rencontre, il est déjà trop tard. Si, au contraire, on était indulgent, on penserait qu’elle est timide et que ses nombreuses manières, de sa façon de dire “hum” à chaque début de phrase à ses clignements de paupières, ne sont que les manifestations de son manque d’assurance. Sans doute n’est-ce ni l’un ni l’autre. Peut-être que Lolita Sene est tout simplement impénétrable. Peut-être qu’elle n’aime pas qu’on la cerne. Ça n’arrange pas les affaires du journaliste chargé de réaliser son portrait. Qu’à cela ne tienne, contentons-nous des faits.
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À 27 ans, Lolita Sene vient tout juste de publier un premier livre intitulé C., la face noire de la blanche. Elle écrit beaucoup -le deuxième est en route et le troisième déjà dans sa tête- mais elle n’a pas beaucoup d’imagination, c’est elle-même qui le dit: “Je n’arrive pas à écrire sur autre chose que ce que j’ai vécu.” Ce premier opus est donc une autofiction dans laquelle elle relate sa dépendance à la cocaïne et la façon dont elle réussit à s’en détacher avec, pour seule alliée, sa volonté. C’est aussi, même si elle ne le sait pas, la photographie d’une génération et d’une époque férocement liées à cette drogue qui matche parfaitement avec l’injonction à la performance flottant dans l’air des années 2000.
Cet après-midi-là, il fait beau, ils boivent du vin entre potes et quelqu’un met la coke sur la table.
Née à Montpellier d’un père médecin et d’une mère secrétaire médicale, Lolita Sene y a vécu ses six premières années avant de déménager à Limoges et de revenir dans la région quatre ans plus tard, cette fois-ci à Nîmes. C’est une fille du Sud au teint pâle et à l’accent absent. Petite, l’aînée de la famille -elle a un frère de 23 ans, étudiant en médecine- est “une enfant assez posée”, qui aime le patinage et la danse classique, une “bonne élève” qui décroche un Bac S et se passionne pour les maths, la bio et la physique. Cette “ambitieuse” intègre ensuite une prépa avec, en ligne de mire, le concours d’entrée à Louis Lumière. Pas de chance, elle se plante et décide de se frotter au monde du travail. Elle envoie quelques CV dans des agences de pub et décroche ainsi un stage rémunéré de trois mois. Elle a vingt ans et découvre Paris, l’ennui et l’inintérêt du milieu professionnel quand on est en bas de l’échelle et que personne ne se préoccupe de vous. Elle claque la porte avant la fin, Lolita Sene est comme ça, impatiente et débrouillarde. Rapidement, elle trouve un autre stage dans le milieu de la musique -“Je faisais le lien entre les labels et la presse”- avant de rejoindre une agence d’évènementiel, en stage d’abord puis en CDD.
“Je ne peux pas vivre sans papier d’Arménie, j’aime cette odeur. Ce briquet, lui, vient d’une brocante à Nîmes, je l’ai acheté 10 balles.”
© Capucine Bailly pour Cheek Magazine
À 15 ans, Lolita Sene sort, fume et boit comme toutes les lycéennes sages de son âge, c’est-à-dire pas beaucoup. Le plaisir de la transgression est moins fort que celui de vouloir réussir à tout prix: “Je préférais tenir les études”, précise-t-elle. Après le bac, le rythme s’accélère mais “rien de grave”. À l’époque, celle qui sort à peine de l’adolescence porte des jeans 501, déteste les Buffalo, et vit en colocation avec des amis alors que ses parents sont partis s’installer à la Réunion durant une année. C’est l’année 2006, elle a 19 ans. Cet après-midi-là, il fait beau, ils boivent du vin entre potes et quelqu’un met la coke sur la table. Métaphoriquement parlant puis, un coup de fil plus tard, littéralement. Depuis longtemps, la jeune femme a envie d’essayer, elle n’a “pas peur”: “J’avais l’impression que ça allait me faire accéder à un milieu, si j’avais dit non, je me serais sentie faible, et puis j’ai toujours eu cette envie d’avancer plus vite que la musique.” Les premiers effets lui plaisent: la chaleur dans ses bras, sa gencive anesthésiée et ce “goût de gomme”, dont elle devient “friande”. Puis aussi, évidemment, ce sentiment si agréable d’être “électrique, belle”. Lolita Sene rejoint les 1,5 million de personnes qui ont déjà expérimenté la C. en France.
“Les gens croient que, pour être accro, il faut en prendre tous les jours.”
La première fois est passée, il y en aura une deuxième, une troisième et comme la drogue est mal faite, plus on en prend, moins elle fait d’effets donc… plus on en prend. Au climax de son addiction, Lolita Sene consomme jusqu’à trois grammes par semaine et elle ne laissera personne dire qu’elle n’était pas dépendante. “Les gens croient que, pour être accro, il faut en prendre tous les jours. Je ne suis pas d’accord, je pense que, lorsqu’on boit un verre et qu’on en a envie ou alors qu’on ne parle que de ça, ça suffit pour dire qu’on est accro”. Une nuit, elle sniffe de la kétamine en pensant qu’il s’agit de cocaïne. Trou noir, une journée à s’en remettre, cette frayeur la calme jusqu’à la prochaine fois. Un autre soir, après plusieurs rails, elle perd la vue durant quelques secondes. Elle voit ça comme un second avertissement. Lolita Sene veut arrêter. Elle tente sa chance auprès des Narcotiques Anonymes. “J’ai cru qu’on allait m’aider, on m’a dit ‘bienvenue, il y a douze étapes et il va te falloir du temps pour les valider’, ça peut être très décourageant”, lâche-t-elle.
“C’est la référence en synonymes, je n’utilise jamais de dictionnaires sur Internet, toujours celui-ci.”
© Capucine Bailly pour Cheek Magazine
Elle annonce alors à qui veut l’entendre qu’elle va arrêter, comme si sa parole pouvait constituer une barrière qu’elle ne pourrait plus jamais franchir, mais elle replonge. Lolita Sene pèse maintenant 46 kilos, ses ongles sont cassants et ses dents striées de noir. Il faut que ça s’arrête. Elle part dans le Sud, s’isoler quelques temps chez ses parents qui ne se doutent de rien. C’est l’été 2013. De retour à Paris, un autre combat commence: il faut pouvoir résister car la blanche est partout dès qu’elle sort. Elle a dû changer ses habitudes: “Il y a des gens que je ne vois plus, d’autres qui sont encore de très bons amis mais que je n’ai pas vus pendant plusieurs mois. Et aujourd’hui, c’est la coke que je ne vois plus.”
Le nom est bien trouvé: “Au revoir Coco”. C’est joli, c’est délicat, ça ressemble à Lolita Sene.
En octobre 2013, Lolita Sene lance un blog intitulé Moi, Juliette F.: “Au début, j’avais deux visites par jour et puis au fur et à mesure, de plus en plus de gens sont venus lire ce que j’écrivais.” L’un de ses articles intitulé “10 conseils pour arrêter la coke” a beaucoup tourné sur les réseaux sociaux : “J’ai reçu des centaines de mails et plein de commentaires.” Aujourd’hui, celle qui croit en Dieu a pour projet de monter une association de soutien pour les accros à la cocaïne “et autres drogues festives”. Le nom est bien trouvé: “Au revoir Coco”. C’est joli, c’est délicat, ça ressemble à Lolita Sene. Avec le peu de recul qu’elle a –elle a arrêté depuis moins de deux ans-, cette vingtenaire sait pourtant déjà ce que la cocaïne lui a pris: “Je serais arrivée bien plus loin si je n’en avais pas consommé, j’ai eu des opportunités que j’ai laissées passer. Dans les moments de descente, on est vraiment au ralenti. Même avec modération, la cocaïne nous grille les neurones mais c’est tellement banalisé qu’on a oublié.”
© Capucine Bailly pour Cheek Magazine
La cocaïne est la drogue de cette décennie, -et aussi la plus consommée en France après le cannabis-, elle ne pouvait pas mieux tomber dans cette société où il faut être performant, assouvissant au passage notre fort besoin de représentation sociale. “Il y a un fantasme nourri par la mode notamment, il faut être mince, avoir de l’assurance, être belle”, énumère-t-elle. La coke, discrète, favorise l’illusion d’y parvenir et bénéficie d’une image paillettes: “Quand tu dis que tu en prends, tu n’es pas pris pour un drogué.” Aujourd’hui, cette spécialiste du vin -elle tient un blog sur le sujet– a accepté l’idée qu’arrêter la C., “c’est apprendre qu’on est seul dans la vie et ce n’est pas grave”. C’est peut-être pour ça que celle qui est en couple depuis sept mois maintenant n’a plus peur de ses sentiments. Avant, avec la cocaïne, elle pensait “qu’être triste, ça n’était pas permis”. Maintenant, elle accepte de l’être, mais comme la vie est bien faite, Lolita Sene est désormais “heureuse”.
Julia Tissier
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