Près de trente-cinq ans après la parution de La Servante écarlate, l’autrice canadienne Margaret Atwood publie Les Testaments (ed. Robert Laffont, traduit de l’anglais par Michèle Albaret-Maatsch), une suite qui explore la chute de la République de Galaad. Un appel à faire tomber le système établi.
Il aura fallu 35 ans à Margaret Atwood pour retourner au cœur de la République de Galaad et imaginer, avec Les Testaments, la suite de La Servante écarlate. Trois décennies pendant lesquelles son roman dystopique, qui imagine une république religieuse totalitaire asservissant les femmes, est devenu le symbole des luttes féministes les plus actuelles. Publié en 1985, le roman a connu une seconde jeunesse en 2017 avec son adaptation diffusée sur Hulu. Les trois saisons se concentrent sur la trajectoire d’Offred (interprétée par Elisabeth Moss), une servante dont le seul rôle est de porter l’enfant du chef de famille et qui se rebelle contre la tyrannie religieuse réduisant les femmes en esclavage.
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L’impact culturel de La Servante écarlate a largement dépassé le cadre du petit écran puisque sa diffusion a notamment coïncidé avec la première année de la présidence de Donald Trump et la marche des femmes à Washington. Les personnages masculins tyranniques et les servantes réduites au silence sont devenues un symbole de la mise en danger des droits des femmes. On a vu fleurir lors de manifestations féministes, des États-Unis à l’Argentine, des femmes portant la tenue des servantes: une longue cape rouge et un bonnet blanc sur les cheveux. Sur leurs panneaux, on pouvait lire çà et là “Make Margaret Atwood fiction again” (détournement du “Make America Great Again” de Donald Trump) ou la célèbre phrase mystérieusement gravée dans le placard de Offred “Nolite te bastardes Carborundorum” (“Ne laisse pas les salauds t’écraser”). La dystopie est devenue, dans une société où les droits des femmes reculent dangereusement, un avertissement saisissant, une prophétie sombre et inquiétante.
“Les citoyen·ne·s de nombreux pays, y compris ceux des États-Unis, subissent aujourd’hui des tensions bien plus fortes qu’il y a trois décennies.”
Les saisons 2 et 3 de The Handmaid’s Tale se sont vu reprocher de verser dans le “torture porn” en montrant des scènes de violences gratuites. Comment décrire un univers patriarcal et cruel tout en gardant un souffle féministe? Margaret Atwood semble s’être posé la question en écrivant Les Testaments, qui se déroule une quinzaine d’années après La Servante écarlate. Dans les remerciements du livre, elle explique avoir pris un long moment pour réfléchir aux nombreuses questions que ses lecteur·trice·s posaient sur l’univers qu’elle avait imaginé en 1984. “Trente-cinq ans laissent largement le temps de réfléchir aux réponses possibles, lesquelles ont évolué à mesure que la société elle-même évoluait et que les hypothèses devenaient réalité, explique-t-elle. Les citoyen·ne·s de nombreux pays, y compris ceux des États-Unis, subissent aujourd’hui des tensions bien plus fortes qu’il y a trois décennies.” Comment, dès lors, écrire la suite d’un roman qui semble s’être déporté dans le monde réel? Comment évoquer des violences qui aujourd’hui nous semblent si peu fictives? En imaginant une trajectoire possible et victorieuse des luttes féministes. Si le premier tome était une dystopie, le second est un manuel de survie. Une réflexion sur les différentes manières de se rebeller contre le système lorsqu’il est établi, que l’on soit l’un des pions de la société patriarcale ou une observatrice extérieure. Chacune peut apporter sa pierre à l’édifice. A chaque page, Atwood semble consciente de l’impact profond du monde qu’elle a créé et du poids de sa voix d’écrivaine. Elle sait que beaucoup ont l’impression qu’elle a annoncé le pire. Maintenant, place à l’espoir.
Apprendre du passé
Dans Les Testaments, l’autrice s’intéresse à trois personnages différents, qui ont trois perspectives bien à elles sur le régime totalitaire. Il y a Tante Lydia (Ann Dowd dans la série), l’une des figures établies de la république, qui forme avec dureté les jeunes filles et dont Atwood creuse l’ambigüité morale en explorant la manière dont elle a elle-même été brisée par Galaad. Il y a Agnès, une jeune fille idéaliste qui refuse obstinément de se marier et qui décide de rejoindre les Tantes. Et enfin Daisy, une adolescente vivant au Canada qui va infiltrer Galaad. Les destins de ces trois femmes se croisent dans le dernier quart du roman, particulièrement haletant. Atwood explore la manière dont les générations peuvent travailler ensemble pour réparer les erreurs du passé. Elle n’est jamais aussi passionnante que lorsqu’elle décortique les choix des femmes qui travaillent pour la république de Galaad. “Comment pouvait-on être pour Galaad? Sutout si on était une femme?”, demande l’un des personnages du roman. Tout simplement en essayant de sauver sa peau et en s’enivrant du parfum entêtant du pouvoir.
“L’histoire ne se répète pas. Il n’empêche qu’elle rime.”
La société a changé depuis 1984 et l’autrice explore des thématiques comme le silence autour des violences sexuelles, la sororité et les dangers de l’influence des discours fascistes sur la jeune génération. “L’histoire ne se répète pas, écrit-elle. Il n’empêche qu’elle rime.” Plus que jamais, cette mise en garde résonne. L’une des clés, pour le personnage d’Agnès, sera de s’instruire. De comprendre sa place dans l’histoire, de ne plus s’effacer mais de s’affirmer. De plonger dans les archives. Tout comme La Servante écarlate, qui se terminait sur un extrait du “treizième colloque sur les études galaadiennes”, Les Testaments se clôt sur un appel à ne pas effacer les souffrances des femmes de l’histoire. A apprendre du passé, à s’organiser en fonction et à faire tomber le système de l’intérieur grâce au pouvoir de l’information. Le succès outre-Manche et outre-Atlantique est déjà fulgurant, et les droits des Testaments ont été achetés par Hulu et la MGM. Espérons que sa diffusion coïncide avec une page plus réjouissante de l’histoire américaine et internationale.
Pauline Le Gall
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