Elle a remporté le Prix Renaudot Poche pour Les Méduses ont-elles sommeil?, portrait d’inspiration autobiographique d’une jeune provinciale venue à Paris pour “devenir quelqu’un” et qui finit addict à la coke et à la MDMA. L’écrivaine Louisiane C. Dor, 25 ans, raconte l’histoire de ce premier roman hors norme, qui avant d’être repéré par Gallimard, fut un succès de l’autoédition en ligne.
Les Méduses ont-elles sommeil? est-il né d’une volonté de témoigner sur les dangers de la cocaïne et de la MDMA, ou un point de départ et un sujet comme un autre pour se lancer en littérature?
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La dimension “prévention” était bien présente mais ma démarche était avant tout littéraire. J’écrivais déjà sur pas mal de sujets et celui-ci s’est imposé parce qu’il me concernait directement. Mais même si la matière était autobiographique, j’ai introduit de nombreux éléments de fiction et beaucoup travaillé sur le style, le rythme, la poésie. Je n’avais pas envie de me retrouver avec l’étiquette “ex-toxico” collée à vie sur le front et cantonnée, au moment de la promo, à des émissions sensationnalistes ou à des programmes médicaux sur les dangers de la drogue. D’ailleurs, même si j’ai vécu cette histoire dans les grandes lignes, je ne me sens plus concernée par le sujet et il n’en est plus question dans ce que j’écris aujourd’hui (Ndlr: Louisiane C. Dor publiera en mars 2018 Ceci est mon cœur, un recueil de nouvelles sur la passion amoureuse aux éditions Robert Laffont).
Des Confessions d’un mangeur d’opium de Thomas de Quincey à Toxique de Françoise Sagan, ton livre rappelle la grande tradition des romans traitant de la drogue, de ses effets ou de son manque. Certains t-ont-ils directement inspirée?
Je n’ai pas lu ceux que l’on considère comme “les classiques” du genre mais j’ai puisé dans quelques incontournables comme Moi, Christiane F. 13 ans, droguée, prostituée et L’Herbe bleue qui, contrairement à ce qu’on croit encore, n’est pas un témoignage mais bel et bien un roman (Ndlr: lancé comme le journal intime anonyme d’une jeune droguée, il s’agit en réalité de l’œuvre d’une psychologue américaine nommée Beatrice Sparks). Je suis également une grande fan de Frédéric Beigbeder qui a aussi pas mal écrit sur ce thème (Ndlr: Vacances dans le coma, Nouvelles sous ecstasy). Plus généralement, mes influences se situent du côté des auteurs américains qui privilégient le style et la forme, d’Edgar Allan Poe à J.D. Salinger. La plupart du temps, je me fiche d’ailleurs du sujet d’un livre. Seule la manière d’écrire m’intéresse, les atmosphère aussi. J’ai toujours trouvé du réconfort dans les récits sarcastiques, sombres, dramatiques. Du côté des auteurs de langue française, j’adore Camille Laurens et la québécoise Nelly Arcan (Ndlr: elle s’est suicidée en 2009 à l’âge de 36 ans). Dans un registre plus gai et plus grand public, j’aime aussi beaucoup Anna Gavalda dont la plume est particulièrement ingénieuse.
Comment définirais-tu ton propre style? Et quelle ambition littéraire nourrissais-tu pour ce premier roman?
J’écris comme je parle. Et je me relis systématiquement à voix haute pour vérifier le naturel de cette tonalité familière. Dans le même temps, je recherche aussi une certaine forme de poésie. Je fais même parfois des rimes sans le faire exprès. Il faut qu’une sorte de musique se dégage de mes phrases. Mais ce qui me tient le plus à cœur, c’est la simplicité. Moi même, en tant que lectrice, je n’aime pas tomber sur un mot que je ne comprends pas. M’arrêter pour en chercher la définition coupe et gâche ma lecture. Je travaille aussi beaucoup sur les ambiances, les sons, les odeurs, davantage que sur les descriptions de décors que je trouve souvent peu efficaces. Mon objectif est de faire ressentir plus que de faire voir.
“Se droguer pour les jeunes, c’est une manière d’exister plus fort, de vivre plus intensément. Cela relève un peu de la même logique que les selfies et les réseaux sociaux. Il faut prouver qu’on existe et surtout, qu’on existe mieux et plus fort que les autres.”
Avant qu’il ne soit publié chez Gallimard, tu as d’abord sorti ton livre sur la plateforme d’autoédition d’Amazon (Kindle Direct Publishing). Est-ce que, comme beaucoup de jeunes auteur·e·s, tu te méfiais des éditeurs traditionnels?
J’ai commencé à écrire sans penser à la publication. Quand j’ai terminé, j’ai tout de suite pensé à l’autoédition car j’ai toujours aimé faire les choses entièrement par moi-même et ce que proposait Amazon me semblait simple et rapide. Ensuite, j’ai eu de la chance. Trois mois après sa mise en ligne, le livre s’était déjà écoulé à près de 4000 exemplaires et j’ai également fait partie des dix finalistes du prix Amazon de l’autoédition. Enfin, j’ai publié mon livre à un moment où les journalistes s’intéressaient beaucoup aux drogues et à leur usage chez les jeunes. Paris Match puis d’autres médias m’ont interviewée sur le sujet, ce qui a donné un coup de projecteur à mon roman. C’est aussi l’époque où Lolita Sene, qui est une amie, a sorti C, la face noire de la blanche sur la banalisation de la cocaïne. C’est elle qui a signalé mon texte à un éditeur de chez Gallimard. Ce dernier a proposé de le publier à condition de retravailler la version originale qui ne lui paraissait pas suffisamment aboutie. Cela m’a permis d’affiner mon style, de développer ou au contraire de resserrer certains passages. Même si l’autoédition est une opportunité, cela ne remplace pas le travail que peut faire un véritable éditeur.
Ce roman met en scène Hélène, une jeune provinciale de 18 ans venue à Paris pour devenir mannequin et comédienne et, qui, emportée dans le tourbillon des nuits de la capitale, devient accro à la coke et à la MDMA. Contrairement à d’autres livres qui font de l’addiction la conséquence d’un mal-être, ce n’est pas le cas d’Hélène qui semble aller bien…
Hélène -et c’est ce qui m’est arrivé aussi-, essaye la cocaïne, puis la MDMA par hasard. Cela lui plaît, elle recommence chaque week-end puis davantage en fonction de ses sorties. En fait, je voulais montrer que les jeunes pouvaient tomber dedans par un simple effet de mode, sans forcément aller mal. C’est pourquoi je me suis concentrée sur la consommation en milieu festif, lors de soirées pendant lesquelles on se sent souvent heureux. Et puis, il y a cette volonté propre aux ados de toujours vouloir essayer ce qui est interdit, cette fascination pour ce qui est hors-la-loi. Ils se fichent des règles, de la police et rien ne leur sert de leçon. Moi même, à 18 ans, si je m’étais fait arrêter avec de la drogue et si j’avais passé quelques heures au poste, j’en serais certainement sortie en m’en vantant, et surtout en ayant quelque chose d’extraordinaire à raconter à mes potes. Se droguer pour les jeunes, c’est une manière d’exister plus fort, de vivre plus intensément. Cela relève un peu de la même logique que les selfies et les réseaux sociaux. Il faut prouver qu’on existe et surtout, qu’on existe mieux et plus fort que les autres.
En décrivant Hélène sniffer sans hésiter sa première ligne de cocaïne, tu bats aussi en brèche l’idée selon laquelle on commence toujours par les drogues douces pour finir par les dures…
Pour ma part, j’avais déjà fumé des joints et pris des cuites avant de m’installer à Paris mais cela était resté exceptionnel et ne m’a pas donné envie d’aller plus loin. Mais surtout qu’il s’agisse de l’herbe, de la coke ou de la MDMA, qu’il y ait un cheminement ou non, les jeunes n’ont pas vraiment l’impression de se droguer. Dans l’imaginaire, le drogué, c’est l’héroïnomane qui se pique dans les toilettes. L’usage festif s’est tellement banalisé que l’on se dit que ça fait partie de la soirée, c’est tout.
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Cette consommation de plus en plus courante viendrait aussi selon toi d’un sentiment d’ennui…
C’est un peu ce que j’ai vécu. J’habitais à la campagne dans une petite ville de la Creuse où il ne se passait pas grand-chose. Tout me paraissait plat, morne, je suis donc partie “me souiller” à la capitale. (Rires.) Sérieusement, je suis venue à Paris pour être modèle et comédienne. Au début, ça a pas mal marché. J’ai fait une campagne pour les magasins Printemps et j’ai même tourné dans un clip de Beyoncé mais en fait, ça ne me plaisait pas tant que ça. Je cherchais avant tout une forme de reconnaissance car j’aimais plus le résultat que de poser ou de jouer. C’est ainsi que rapidement, les sorties, les fêtes et la drogue ont pris le dessus sur les castings et le travail.
Dans ton livre, la cocaïne et la MDMA sont décrites comme des produits de consommation qu’il faut s’offrir au même titre qu’un sac ou qu’une veste de créateur…
Prendre ces drogues est en effet un signe de distinction qui renvoie aux stars, au luxe, à la mode. Comme Hélène, j’avais l’impression d’avoir une vie hors du commun, d’être supérieure aux autres quand je consommais. C’est tout juste si je ne sortais pas des toilettes en me frottant le nez fièrement pour qu’on comprenne bien que je venais de prendre une ligne. La coke et la MDMA sont des drogues qui donnent un sentiment de surpuissance et j’étais d’ailleurs tellement contente de moi que quand je revenais dans la Creuse, j’avais toujours dans l’idée de faire essayer aux autres, de leur faire découvrir cette vie qu’il fallait vivre.
Tu pointes aussi les séries et le cinéma qui, selon toi, font l’apologie constante des drogues.
La drogue n’a jamais autant été mise en scène à la télévision et au cinéma, qui en ont fait quelque chose de cool. Évidemment, cela répond au désir des spectateurs qui aiment regarder des trucs trash et décadents. Combien de séries et de films montrent systématiquement des types en train de sniffer des lignes de coke, y compris quand c’est complètement inutile au niveau du scénario? Sans être pour la censure, les réalisateurs et producteurs devraient réfléchir davantage à ce qu’ils montrent.
“C’est quand j’ai pensé à moi petite, à mes plaisirs et à mes rêves d’enfant que j’ai réalisé à quel point je me faisais du mal.”
La drogue est le sujet de ton livre, mais il y en a un autre en arrière plan, c’est Paris. Synonyme d’ambition, elle va devenir la ville du désastre et de tous les excès. Après ta parenthèse chimique, tu as vécu deux ans au Brésil et tu résides désormais dans le sud. Quel regard portes-tu aujourd’hui sur la capitale?
Quand j’ai quitté Paris en 2014, j’étais traumatisée par la ville et sa vie nocturne. Le changement a été radical. Je suis partie sur un autre continent, et j’ai vécu en pleine nature sur une plage. Mais même là-bas, je ne supportais plus l’ambiance du soir, cela me rappelait les nuits blanches, les afters…Vue de loin, Paris m’apparaissait comme une ville superficielle, décadente. Depuis quelques mois, et surtout depuis mon retour en France, j’ai évolué. Je la vois de nouveau comme un lieu plein de possibilités et je n’exclus pas d’y revivre un jour.
Ce qui sauve Hélène dans le roman, et qui t’a sauvée aussi, c’est le rapport à l’enfance. Quand elle pense à ses parents, plutôt aimants, à l’innocence de ses jeunes années, elle prend conscience de l’abîme qu’est devenu sa vie. Plus que la loi, ce sont ses bons souvenirs et sa famille qui s’imposent comme la seule vraie barrière morale.
C’est quand j’ai pensé à moi petite, à mes plaisirs et à mes rêves d’enfant que j’ai réalisé à quel point je me faisais du mal. Je me dégoutais tout autant que cette vie glauque, répétitive et dans laquelle les relations ne tiennent que par la drogue. Je me suis alors dit que ma mère ne m’avait pas mise au monde et éduquée pour que je finisse comme ça, dans la déchéance et l’autodestruction. Et puis j’étais encore très jeune. À 18 ans, on croit être adulte et en fait, on est encore un enfant.
Quel genre de vie mènes-tu aujourd’hui?
Les deux années que j’ai passées au Brésil, où on a un vrai aperçu de la misère, m’ont mis une vraie claque et m’ont fait prendre du recul. Aujourd’hui, je vis à la campagne près de Cannes. Je mène une existence tranquille et saine. Je mange vegan et je fais du sport. Et surtout l’ennui ne me fait plus peur car avec l’écriture, j’ai vraiment trouvé ma voie.
Propos recueillis par Virginia Bart
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