Adolescence, amitié, histoires de famille et voyage au bout du monde, tels sont les thèmes qu’explorent nos cinq jeunes auteures coup de cœur qui signent cet hiver leurs premiers romans. Des livres à dévorer au chaud sous son plaid.
1. Ariane, de Myriam Leroy (Éditions Don Quichotte)
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Ça raconte quoi: Au milieu des années 90 à Nivelles en Belgique, une jeune fille issue d’un milieu modeste est inscrite par ses parents, soucieux d’intégrer leurs enfants à l’élite de la ville, dans un collège réservé aux enfants de bonne famille. Boutonneuse, binoclarde, mal habillée, elle va pourtant se lier d’amitié avec Ariane, une beauté brune qui a tous les élèves à ses pieds. En quelques mois, sous l’influence de sa nouvelle amie et à force de maquillage, de nouvelle coiffure et de vêtements à la mode, la narratrice devient une de ces filles que pourtant elle méprisait: superficielle, méchante mais enfin “populaire” et surtout désirable aux yeux des garçons. Mais Ariane est manipulatrice et surtout très changeante. La jeune prolétaire est vite remplacée dans le cœur de la belle par une autre amie puis renvoyée de son établissement pour des méfaits qu’elles ont pourtant commis ensemble.
Le chagrin et la colère seront proportionnels à l’intensité de cette amitié aussi passionnée que toxique. Deux décennies plus tard, la vie a suivi son cours et la narratrice apprend un jour qu’Ariane, dont elle n’avait plus de nouvelles, s’est suicidée à l’âge de 20 ans. L’occasion de revenir sur cette amitié extrême et sur ses conséquences mais aussi de dresser le portrait de la dernière génération de jeunes qui n’aura pas connu internet. D’une plume sèche et cynique, Myriam Leroy, journaliste belge de 34 ans, signe un premier roman glaçant sur l’adolescence, période de sentiments absolus, d’apprentissage souvent violent des rapports humains et de découverte maladroite de la sexualité.
Pourquoi on le recommande: parce qu’on a toutes été cette adolescente mal dans sa peau qui rêve d’être populaire ou tout simplement acceptée. Parce qu’on a presque toutes eu au collège ou au lycée une Ariane qu’on a aimée “à la vie, à la mort”.
2. Fugitive parce que reine, de Violaine Huisman (Gallimard)
Ça raconte quoi: L’amour inconditionnel d’une fille pour sa mère. Un adjectif qui prend tout son sens quand la mère en question s’avère aussi flamboyante que défaillante. Violaine Huisman, 38 ans, dresse ainsi le portrait captivant d’une mère dépressive, accro aux médocs, alcoolique, mariée quatre fois, bisexuelle non-assumée, envers laquelle la narratrice et sa sœur aînée font preuve d’une tendresse sans limites. Car celle qui les a mises au monde est aussi une femme charismatique, belle, ambitieuse qui, malgré les vicissitudes de la vie, fait preuve d’un goût de vivre féroce.
Dans ce premier roman très maîtrisé et construit en deux temps, la déclaration d’amour au lyrisme mélancolique laisse place au récit, plus objectif et factuel, de la vie de cette mère peu conventionnelle, baby-boomeuse à l’existence chaotique. Née d’un viol, élevée par une mère jeune et perdue, son enfance fut marquée par les maladies infantiles et sa jeunesse nimbée de secrets et de mensonges. Devenue professeure de danse réputée, puis écrivaine, elle fera de l’ambition sa planche de salut, ne baissant “jamais les bras” et employant “les grands moyens” pour tenter de donner à son existence et à la vie de ses filles, issues d’un mariage avec un grand bourgeois, un semblant de direction.
Pourquoi on le recommande: Parce que l’amour fille-mère, souvent aussi fusionnel que conflictuel, est un sujet éternel. Et surtout parce que ce portrait cru mais bienveillant, montre que pour aimer vraiment nos mères -et pardonner leurs erreurs-, il faut se souvenir qu’elles ont aussi été des filles puis des femmes traînant leurs propres fêlures, blessures et insuffisances.
3. Dans l’eau je suis chez moi, d’Aliona Gloukhova (Verticales)
Ça raconte quoi: Le chagrin d’une jeune femme dont le père a disparu à bord de son voilier au large de la Turquie en 1995 alors qu’elle était âgée de 11 ans. Devenue adulte, elle se lance sur ses traces, interrogeant proches et amis, pour tenter d’en finir avec un deuil impossible et dompter l’absence de ce père dont le corps n’a jamais été retrouvé. Entre réalité et fantasmes -et s’il était encore vivant?- l’auteure, née en Biélorussie en 1984, redonne, au fil des documents exhumés, journaux intimes, photos et des témoignages recueillis, vie à un homme au caractère atypique, scientifique travaillant pour un laboratoire d’État, baroudeur et souffrant de sévères épisodes alcooliques mais très attaché à ses enfants.
Si ce premier roman écrit en français est conduit avec la rigueur d’une enquête journalistique, le style est poétique et imagé, conférant au texte une dimension souvent onirique. Cette ode à un disparu est aussi l’occasion d’une immersion dans la Biélorussie des années 90, alors en pleine “glasnost”, puisque l’enfance de la narratrice se déroule à Minsk après l’effondrement du bloc soviétique, une période politique et économique difficile durant laquelle nombreux furent ceux qui perdirent leurs repères. À commencer par le père d’Aliona Gloukhova, dont le voilier semblait être le seul refuge dans un monde en cours d’effondrement.
Pourquoi on le recommande: Dans l’eau je suis chez moi est une superbe lettre d’amour à un père auquel on n’a pas pu dire au revoir. Et surtout parce qu’un père reste toujours le premier homme de la vie d’une femme.
4. Tristan, de Clarence Boulay (Éditions Sabine Wespieser)
Ça raconte quoi: Ida, une jeune illustratrice, embarque à bord d’un langoustier direction Tristan da Cunha, île d’un archipel de l’Atlantique Sud, “confetti aux confins du monde”. Elle laisse derrière elle une existence dans laquelle elle ne se reconnaît plus, ainsi qu’un compagnon. Logée chez l’habitant, elle s’intègre rapidement à la vie locale aidant notamment aux tâches agricoles. À travers ses lettres et ses réflexions, on comprend qu’elle cherche de nouveaux repères et surtout à revenir à l’essentiel dans cette vie aux antipodes, où “c’est le vent qui décide”, loin des réflexes des urbains habitués à “tout planifier”. Un jour, après le naufrage d’un cargo sur une île voisine, elle se porte volontaire pour secourir les centaines de manchots mazoutés après la catastrophe. Sur les lieux, elle tombe amoureuse de Saul, natif de l’archipel, et passe avec lui quinze jours hors du temps.
Ce premier roman de Clarence Boulay, 33 ans, s’inspire de la propre expérience de l’auteure, plasticienne et scénographe, qui a effectué plusieurs séjours dans des espaces insulaires et a notamment passé huit mois à Tristan da Cunha. Histoire d’amour autant que roman d’initiation et carnet de voyage, Tristan est le récit d’une métamorphose racontée d’une plume aussi brute et sauvage que les lieux et les sentiments évoqués.
Pourquoi on le recommande: On a tous parfois envie d’ouvrir une page vierge dans nos vies, tout recommencer loin de tout, découvrir qui on est débarrassés des normes et des règles de la vie urbaine. Tristan raconte justement le genre de voyage qui vous change à jamais.
5. Passé inaperçu, de Gabrielle Schaff (Seuil)
Ça raconte quoi: La proximité de deux histoires de famille que tout semble pourtant opposer. Une cinéaste débutante prépare un film consacré aux Chibanis, ces retraités maghrébins venus travailler dans la France prospère des années 60 et plus particulièrement en Lorraine, avant qu’elle ne soit frappée par la désindustrialisation. Elle devait travailler sur ce projet avec son ami Fahd, originaire comme elle de cette région. Mais ce dernier disparaît sans laisser de traces. En essayant de le retrouver, elle va découvrir l’histoire banalement douloureuse d’une famille d’immigrés comme il y en a tant dans cet Est de la France aux allures de cimetière sidérurgique. De retour en Lorraine, la narratrice va aussi se replonger dans sa propre histoire familiale, tout aussi douloureuse: celle de ses grands parents et grands oncles incorporés de force dans l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale.
Toute l’originalité de ce premier roman de Gabrielle Schaff, née à Nancy en 1982, réside dans la manière dont elle raconte et relie deux réalités méconnues de l’histoire du XXème siècle. Car de nombreux Lorrains, qui ont changé trois fois de nationalité au gré des guerres entre la France et l’Allemagne, sont, comme les Chibanis, des déracinés qui, quoiqu’ils fassent, font partie d’une “France différente qui ne porte pas de nom”. Mené sans temps mort, dans un style au cordeau, Passé inaperçu est un passionnant roman sur les correspondances inattendues de l’Histoire.
Pourquoi on le recommande: À l’heure des réseaux sociaux qui offrent un sentiment de présent perpétuel, ce récit témoigne de l’importance de l’histoire familiale, de sa connaissance et de son acceptation pour comprendre qui on est.
Virginia Bart
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