Chaque mois, Claude, éditrice, pose une épineuse question littéraire. Et y répond avec piquant.
Dans le monde insolite de l’édition, rien ne se déroule jamais comme ailleurs, pas même le calendrier. Alors que les listes de Noël s’écrivent en décembre (novembre pour les plus capricieux), les auteurs, eux, sont sommés d’achever leurs romans dès maintenant; si les fournitures s’achètent en septembre, la trousse de rentrée des éditeurs est bouclée depuis juin, et si certains étaient encore en vacances fin août, dans les librairies et les rues germanopratines, la sonnerie des classes avait déjà résonné.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Bonne nouvelle, cette année, parmi les 607 nouveaux romans à paraître, et les premiers déjà sortis, adieu l’autofiction et le nombrilisme, et bonjour les voyages imaginaires. Cette année, la mode est la faction (Ndlr: prononcez à l’anglo-saxonne), ce doux mélange de réel et de fiction qui permet à nos auteurs de ressusciter les morts illustres pour les faire danser avec eux. Je vous le disais bien, dans le fabuleux monde de la fiction, rien ne se passe jamais comme prévu et, pour la rentrée, on repart en vacances. Mais où?
Au Mexique, pour crier Viva avec Patrick Deville (Seuil)
Deux ans après le très remarqué Peste & Choléra (Prix Femina 2012), Deville nous emmène cette fois au Mexique, sur les traces de Malcolm Lowry, qui se noie dans les mots, l’alcool et la folie pour écrire Au-dessous du volcan, et sur celles de Trotski, venu au Mexique poursuivre, loin des procès de Moscou, sa lutte et sa mission. Les deux hommes ne partagent pas seulement un pays, ils poursuivent une même chimère: l’Absolu. De la littérature pour l’un, de la révolution pour l’autre.
Ricanant, il les trimballe sous le soleil de plomb du Mexique, de Mexico à Oaxaca pour faire tourner, avec nos têtes, la grande roue de l’Histoire. Sous la plume, toujours aussi belle, juste et tranchante de Deville, s’enroulent ainsi autour de ces deux destins les figures folles d’autres rêveurs d’absolus; Frida Kahlo, Diego Rivera et Tina Modotti bien sûr, ces révolutionnaires armés de pinceaux et de mots, mais aussi Antonin Artaud, un André Breton tourné en ridicule, et tous ceux que l’idéal a fait courir là-bas. Un roman fort, acéré, où la volonté de ces hommes pousse sur une terre aride.
Au cœur du cinéma français des années 60-70 avec Quiconque exerce ce métier stupide mérite tout ce qui lui arrive de Christophe Donner (Grasset)
Le 31 décembre 1966, dans un immense appartement rempli de drogues, d’alcool, de filles et de fric, attablé à une table de poker, Jean-Pierre Rassam, fils d’un riche Libanais au charisme égal à sa fortune, rencontre Claude Berri, dernier né des réalisateurs français qui vient de remporter un Oscar. Rassam lui propose de jouer sa statuette contre sa sœur, Anne-Marie, que Berri dévisage. Il accepte, et perd cette manche. La première d’une longue série. Bientôt, il gagnera la cadette et l’épousera. Rassam lui volera en échange son complice de cinéma et beau-frère orageux: Maurice Pialat. Le trio infernal est formé, la partie peut commencer.
Unis par les liens sacrés du mariage et de la pellicule, les trois frères ennemis vont se livrer une bataille sans trêve au cœur du cinéma français. Au milieu des excès, des succès, des bouleversements historiques et du tourbillon de leurs égos brillants, rien ne les arrêtera. Pas plus Mai 68 secouant la Croisette cannoise que l’invasion de Prague par les chars soviétiques (où Rassam et Berri se rendent au volant de la Mercedes de Truffaut pour aller sauver les enfants de Milos Forman), pas plus l’amour que la violence. Rien, si ce n’est la mort. Magistralement mené, haletant et captivant, ce livre est un tourbillon. Jetez-vous y!
Dans la tête de Frederika Amalia Finkelstein, à la recherche de L’Oubli (Gallimard)
Rentrée oblige, il convient de vous présenter la petite nouvelle de la famille Gallimard, Frederika Amalia Finkelstein, qui signe ici un premier texte singulier. Moins roman que récit introspectif, on y suit la narratrice, Alma, la vingtaine, Parisienne nourrie au Coca, aux jeux vidéo, à Daft Punk, Lolita et Bach, le temps d’une nuit, dériver dans la capitale à la recherche d’un impossible oubli. Son souhait? Oublier, la Shoah et ses 6 millions de juifs morts, son grand-père, qui n’est pas mort dans les camps, mais aussi le néant de cette vie qui s’ouvre, l’incertitude du monde et la solitude, en un mot: le réel.
Alors progressivement, mâchant les faits, les chiffres, l’Histoire et ses souvenirs comme une viande saignante, elle les dissout dans le flux incessant de ses réflexions pour les noyer dans l’océan glacé de son imaginaire. Fine, grave mais jamais larmoyante, mystérieuse et envoûtante, elle nous encorde à sa tête et nous fait gravir ses pensées, parfois juvéniles et gratuitement provoc’, il est vrai, mais souvent, aussi, profondes, surprenantes et brillantes. Sa voix est nette, unique, son souffle lourd, et si le sujet et la forme de ce premier roman clament encore sa jeunesse, son ton comme sa plume lui promettent une place loin de l’oubli. À suivre.
En face, chez Pierre Demarty (Flammarion)
Partir en face? Drôle d’idée, aussi drôle que celle qui pique Jean Nochez, marié, père de famille, homme sans histoires, du moins pour le moment, qui décide un beau jour de quitter foyer et pantoufles pour aller s’installer dans un appartement vide et anonyme, en face de chez lui. “Pour les aurores boréales, merci bien, on repasserait”, me direz-vous, comme le narrateur, mais non, précisément, c’est bien ici que ça se passe.
Parce que l’aventure, dans ce premier roman, se vit avec et par la langue, l’esprit, l’imagination loufoques, subtils et entraînants de Pierre Demarty, éditeur et traducteur nourri aux biberons d’Antoine Blondin, Jean Echenoz et autres maîtres de l’ironie et du style. On s’y élance comme sur un trampoline de mots où chaque phrase est un rebondissement de l’esprit, on rit, on s’attache et on déguste. Vivement le second!
{"type":"Banniere-Basse"}