À 43 ans, cette écrivaine amérindienne a publié cinq romans dont le dernier en date, Pilleurs de rêves, sera bientôt disponible en France. Rencontre.
Cherie Dimaline nous confesse son émotion de s’être réveillée à Carthagène, en Colombie, où elle a été invitée pour le Hay Festival. Derrière cet emballement, on devine bien sûr des blessures, dont la plus forte est sans aucun doute celle de son peuple, pratiquement anéanti. S’asseoir et discuter avec Cherie Dimaline a quelque chose d’un peu mystique: “Je suis vivante et je le célèbre chaque jour car c’est un miracle.” Mais aussi d’un peu punk: “Ces tatouages sont là car je ne veux pas passer inaperçue, me taire ou devoir être une ‘lady’. Cette attitude, c’était celle de ma mère. Pas la mienne.” Mais reprenons depuis le début. Cherie Dimaline est canadienne et descendante, du côté de sa mère justement, des Indiens Red River. Elle grandit dans une famille mixte. Ses tantes font partie des gardiennes des contes et légendes de sa communauté et sa grand-mère parle le métchif. Dans l’histoire familiale, il y a bien sûr le génocide généré par la colonisation de l’Amérique, les déplacements et les usurpations de territoires, mais aussi les cérémonies et cette relation à la terre et au spirituel: “J’ai quand même la chance de vivre là où l’on peut entendre l’écho des générations qui m’ont précédée”, s’enorgueillit-elle.
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“En réfléchissant à l’idée d’apocalypse, je me suis dit que mon peuple l’avait déjà vécue.”
Depuis deux ans, Cherie Dimaline ne vit que de sa plume. Son dernier roman, Pilleurs de rêves -qui sortira le 9 avril aux Éditions du Boréal- est son cinquième opus. Ce roman dystopique est au départ une commande de la part d’un éditeur amérindien qui lui propose une collaboration pour sa collection jeunes adultes: “J’avoue que j’ai hésité avant de me lancer, d’autant que la dystopie ne fait pas partie de mes registres traditionnels, ni même le public jeune adulte. Pourtant, en réfléchissant à l’idée d’apocalypse, je me suis dit que mon peuple l’avait déjà vécue. Nous avons connu un génocide et certains d’entre nous y ont survécu. Il me suffisait de me replonger dans cette histoire, en me projetant légèrement vers le futur.” Son roman est un véritable succès au Canada, couronné de nombreux prix, et elle travaille en ce moment à son adaptation en série télé. Tout cela sans pour autant lâcher la plume puisqu’elle a entre-temps signé avec la maison d’édition Penguin Random House pour quatre nouveaux ouvrages.
Si tous les textes de Cherie Dimaline sont inspirés par ses origines et son histoire familiale, son engagement politique pour la cause de son peuple anime chacun de ses projets: “Il y a cinq ans des amis m’ont proposé de monter avec eux une revue en ligne pour les Amérindiens. Au Canada, mis à part le 21 juin (Ndlr: National Indigenous Peoples Day), nous sommes complètement sous-représentés et ce, dans tous les domaines.” Depuis 2013, Muskrat Magazine promeut l’art et la culture amérindiens, mettant à l’honneur ses journalistes, ses photographes et ses histoires: “C’est bien que nous soyons enfin les protagonistes d’histoires, mais c’est encore mieux d’en être aussi les auteur·rice·s.”
“En écoutant Cherie Dimaline, on pense à Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola-Estès.”
En écoutant Cherie Dimaline, et en l’imaginant sur la terre de ses ancêtres, on pense à Femmes qui courent avec les loups de Clarissa Pinkola-Estès. Elle ne l’a pas lu. Mais, lorsque je lui parle de cet ouvrage qui décrit l’instinct féminin à travers des contes populaires du monde entier, elle me rapporte ce que lui a un jour raconté un “ancien” du peuple inuit: “Tu sais pourquoi les choses vont mal au Canada? Ce n’est pas parce que nous avons été envahis par des guerriers. Les bateaux qui sont arrivés étaient en réalité pleins d’enfants. Sur leurs terres originelles, ces enfants avaient oublié leurs histoires ancestrales. Or ce sont ces histoires qui portent avec elles nos responsabilités et les leçons qui les accompagnent. Ce sont les femmes qui en sont les détentrices. Mais les nations européennes ont confisqué le pouvoir de leurs femmes, les ont réduites au silence et les ont fait passer après les hommes et l’église. Quand une civilisation agit de la sorte, elle crée des enfants qui tentent de survivre dans un monde sans interdit.” Cherie Dimaline, comme ses tantes et sa grand-mère, a sans aucun doute hérité du don de conteuse.
Margot Loizillon, à Carthagène (Colombie)
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