Pour nous aider à faire le tri dans l’afflux massif d’informations, Lonia et Sacha Posternak ont lancé L’Important puis L’Importante, qui sélectionne chaque jour les articles à ne pas manquer concernant les femmes.
S’il y a parfois des fratries insoupçonnables, ce n’est pas du tout le cas des sœurs Posternak, qui, en plus de partager le même sourire franc, ne cachent pas qu’elles aiment travailler ensemble depuis bientôt cinq ans. Ce n’est pas au sein de leur entreprise de médias, qui abrite L’important et désormais L’importante, que vous entendrez de sombres histoires de coups de poignards dans le dos et autres rivalités familiales. Ici, on est heureuse de bosser en famille, et ça se sent. Lonia Posternak, 34 ans, est l’aînée du duo à tout point de vue. C’est elle qui s’est lancée la première dans l’aventure entrepreneuriale en créant en 2013 le site L’Important, qui relaie chaque jour via les réseaux sociaux une centaine d’infos jugées importantes, afin de faire le tri dans le flot incessant de news qui caractérise notre époque. À l’époque, Lonia Posternak monte le projet sans sa sœur mais avec leur père. Toujours en famille, donc. “Nos deux parents sont entrepreneurs, ça a donc été très naturel de faire ça ensemble, se rappelle-t-elle. Avec mon père, on avait quelques appréhensions, mais on s’est toujours dit que si ça ne fonctionnait pas, on arrêterait.”
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Peur infondée, le site se développe assez rapidement. Suffisamment pour alimenter les conversations familiales et donner envie à la benjamine Sacha, 31 ans, de rejoindre l’équipe. Son prénom masculin lui a joué un tour une fois, à une époque où elle n’avait pas encore placé son engagement féministe au cœur de son quotidien. “Je suis arrivée à un entretien pour un stage, et en face de moi, la femme qui recrutait m’a dit clairement qu’elle était déçue car elle s’attendait à un garçon, sourit-elle. Elle a été très directe et m’a dit qu’elle n’aimait pas travailler avec des femmes, qu’elle jugeait susceptibles et irritables. Merci les clichés.” Sacha Posternak commence alors tout juste une carrière dans la finance, loin de l’univers de la communication et la publicité dans lesquels évoluent sa sœur et son père, et elle commence à découvrir les inégalités de genre dont elle a été jusqu’alors préservée, comme le reste de sa famille. “Il n’y a que des femmes chez nous, que ce soit notre grande sœur, nos cousines, nos tantes, on a grandi quasiment sans hommes, explique-t-elle. Arriver dans le monde du travail, qui plus est dans le milieu plutôt macho de la finance, ça a été une vraie claque.” Une prise de conscience dont elle parle énormément avec sa sœur Lonia, à une époque où la vague pré-#MeToo est en train de monter et où les infos concernant les droits des femmes sont de plus en plus nombreuses dans le feed de L’Important. Sacha Posternak se décide et rejoint l’équipe, avec en tête l’idée de créer un fil d’infos entièrement consacré aux femmes. La jeune génération accro à son écran s’intéresse de plus en plus à ces thématiques et le séisme #MeToo est en train de faire bouger les lignes.
“Le monde a changé, aujourd’hui, on sent qu’on a une communauté de femmes derrière nous.”
Au printemps 2018, le site de L’Importante est lancé et se consacre exclusivement à l’actu féministe. “Le monde a changé, aujourd’hui, on sent qu’on a une communauté derrière nous et surtout, il y a énormément de choses qui ne nous paraissent plus normales en tant que femmes”, s’enthousiasment les sœurs Posternak à l’évocation de la vague féministe qui déferle sur le monde ces dernières années. C’est logiquement en toute sororité que la rédaction de Cheek Magazine a donné la parole à celle de L’Importante. Interview.
Vous vous souvenez du jour où vous avez lancé L’Importante?
Sacha Posternak: Oui et non. En fait, les infos sur les femmes étaient devenues très présentes sur L’Important, donc on s’est dit, c’est maintenant. Au moment de lancer ce deuxième site, le premier était déjà bien installé, on avait déjà une communauté et une équipe autour de nous, et on a pu y aller sereinement.
Lonia Posternak: Même pour le premier site, j’étais entourée de mon père qui avait déjà monté plusieurs boîtes donc je n’ai jamais trop flippé. Avec Sacha, on a un côté très raisonnable dans notre façon d’entreprendre, c’est notre père qui nous a enseigné ça. On prend le temps de tout sécuriser et on se lance quand on est prêtes. C’est vrai qu’on prend peu de risques finalement, mais c’est comme ça qu’on aime travailler.
Quel accès à l’information voulez-vous offrir à la génération Twitter?
L.P.: On s’adresse à une audience qui s’informe via les réseaux sociaux uniquement. Or, sur ces plateformes, n’importe qui est émetteur d’infos et elles défilent très rapidement. Ce que propose L’Important et maintenant L’Importante, c’est de faire une sélection d’articles pertinents non pas via un algorithme, mais à travers la lecture humaine, celle de notre équipe. Cela permet de recréer une hiérarchie de l’information et que le selfie d’une Californienne ne se retrouve pas au même niveau que 6000 morts en Syrie. En plus, on peut assurer un suivi des informations qu’on sélectionne: on a été parmi les premières à parler du White Wednesday (Ndlr: une mobilisation contre le port du voile en Iran), et on continue à publier à ce sujet.
S.P.: On voit bien que les jeunes ne lisent plus du tout la presse sur les supports traditionnels et attendent qu’on leur serve les infos, classées et triées. C’est ce qu’on fait, et aujourd’hui, il nous semble primordial de mettre un coup de projecteur particulier sur la vie des femmes dans le monde.
Y a-t-il un tweet ou un article qui vous a particulièrement marquées?
L.P.: Au début, j’étais parfois très stressée au moment d’appuyer sur “publier”, et avec le temps, la pression a diminué. Je sais maintenant que les personnes qui nous lisent peuvent nous faire des retours quand elles ne sont pas d’accord, c’est la magie des réseaux sociaux. C’est d’ailleurs intéressant de constater que L’Importante se développe davantage sur Instagram que L’Important, et que la communauté y est assez bienveillante. Je crois que ce réseau social est un espace de sensibilisation aux thématiques féministes, ce qui explique qu’on y reçoive un écho particulièrement positif.
S.P.: J’aime beaucoup les interactions qu’on a avec notre communauté, et je sais maintenant que ça peut réellement faire évoluer ma perception des choses. Par exemple, on a eu une remarque au sujet d’un article parlant des “protections hygiéniques”, qui nous faisait remarquer que ce mot n’était pas pertinent car ils sous-entendait que les règles étaient sales. Depuis, on a suivi les conseils de cette lectrice et on utilise systématiquement le terme de “protections périodiques”.
Travailler en famille, ça vous apporte quoi?
L.P.: C’est une évidence. Et d’ailleurs, c’est l’origine du projet L’Importante, on a commencé à y réfléchir en 2014, à une époque où on se voyait tout le temps, on échangeait sur tous les sujets et particulièrement sur les droits des femmes. Bosser avec ta sœur t’apporte une confiance impossible à trouver chez quelqu’un d’autre. Il faut dire qu’on a vu nos parents travailler ensemble, moi j’ai commencé avec mon père, c’est culturel dans notre famille.
“Le vrai défi pour nous, c’est de ne pas parler de notre boulot quand on se voit en famille.”
S.P.: On a des caractères hyper complémentaires et on fonctionne très bien toutes les deux. Bien sûr, on peut se chamailler, mais ça dure cinq minutes en général. Je connais Lonia par cœur, je sais tout de sa vie, donc si elle est de mauvaise humeur, je sais exactement pourquoi et j’attends que ça passe. Le vrai défi pour nous, c’est de ne pas parler de notre boulot quand on se voit en famille ou qu’on brunche avec nos mecs. Honnêtement, on n’y arrive pas très bien, mais heureusement, ils sont les premiers à nous soutenir, à nous faire des retours et à tester toutes les nouveautés qu’on met en place.
Est-ce que vous avez connu quelques moments de solitude de jeunes femmes entrepreneures?
L.P.: On a connu des moments de solitude d’entrepreneures, mais pas tellement de femmes. Le fait de travailler en famille, de nous lancer une fois qu’on avait les fonds, nous a maintenues dans une sorte de bulle qui nous a épargné les difficultés que peuvent connaître les femmes entrepreneures dans ce monde encore très masculin. Par contre, il y a des moments difficiles, où l’on est épuisées, on travaille tout le temps, le soir et le week-end, et où une déception, un projet qui n’aboutit pas, peut énormément affecter le moral. je me souviens d’un soir d’hiver où il neigeait, on est sorties du bureau à 22 heures, on luttait pour ne pas glisser et on galérait. Si je n’avais pas eu Sacha à mes côtés, je me serais mise à pleurer. Là, j’ai rigolé.
S.P.: On est entrepreneures et en plus dans le secteur de l’info, donc c’est très difficile pour nous de lâcher nos téléphones. Quand, parfois, on n’en peut plus, on sait qu’on peut se reposer sur l’autre le temps d’une journée ou d’un week-end, et c’est une force.
“Ce combat ne se gagnera pas sans les hommes.”
Pourquoi pensez-vous que les femmes ont besoin d’avoir des médias qui leur sont dédiés?
S.P.: Dans nos sociétés encore inégalitaires, si tu ne donnes pas un grand coup, les choses ne changent pas. #MeToo a été un grand coup, et il faut que ce mouvement continue et soit porté par des voix féminines comme les nôtres ou les vôtres. Depuis que je travaille sur L’Importante, je me rends compte que ma propre vision évolue constamment, notamment dans mon rapport avec moi-même. Par exemple, à force de poster des images body positive et de relayer ce discours, je suis plus bienveillante avec moi-même et j’en suis très heureuse.
L.P.: Ce combat ne se gagnera pas sans les hommes, qui sont de plus en plus nombreux à nous lire. On sent que certains d’entre eux ont envie de mieux comprendre ce que leur copine ou leurs amies vivent. Je pense au harcèlement dans les transports, dont ils ont pris conscience ces dernières années à travers les témoignages et les articles. Notre média leur est aussi adressé.
Comment imaginez-vous l’avenir de la presse, qui traverse une phase de transformation historique?
S.P.: Quand je vois le phénomène autour des podcasts, je me dis que tout est possible. Ce format est ancien et il est revenu au goût du jour des années plus tard en s’adaptant à une nouvelle demande un peu “zapping” qui permet de faire plusieurs choses en même temps qu’on écoute un programme. Je me dis que la même chose pourrait se produire pour le papier, qu’il pourrait faire un come-back si les magazines font un effort d’inclusion pour coller aux attentes de la jeune génération qui ne s’y reconnaît plus.
L.P.: Ce qui est sûr, c’est qu’on aura toujours besoin d’infos et de médias pour les diffuser. Le vrai défi, c’est de se renouveler, d’essayer de s’affranchir des réseaux sociaux pour exister. Pour ça, il ne faut pas arrêter de tester plein de choses et surtout, il faut savoir en permanence se remettre en question.
Propos recueillis par Myriam Levain
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