Du 18 au 21 mai, Toulouse accueille la 1ère édition de « L’histoire à venir », nouvelle manifestation annuelle visant à remettre l’histoire – en tant que discipline scientifique – au cœur du débat démocratique. Au programme : 65 événements proposés à travers une quinzaine de lieux différents.
Durant quatre jours, de dix heures du matin à minuit, des historiens, chercheurs, philosophes, écrivains, artistes vont venir à la rencontre du public pour partager leurs idées et connaissances sous de multiples formes : conférences, ateliers interactifs, labos, discussions autour d’un livre et autres impromptus (spectacles, performances, forums, visites, jeux de piste…).
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Une pizzeria alternative
L’ensemble des événements est disséminé à travers une quinzaine de lieux de la ville rose, du Théâtre Garonne à la librairie Ombres Blanches en passant par la Cinémathèque, l’Université Toulouse Capitole, la Médiathèque Cabanis, le Quai des Savoirs et des lieux plus inattendus tels que la Maison des Chômeurs et la Pizzeria Belfort – une pizzeria alternative, où l’on peut aussi savourer des mets culturels, notamment musicaux.
Ce projet d’envergure est piloté par un comité organisateur quadricéphale composé de : Claire Judde de Larivière, Maître de conférences en histoire à l’Université Toulouse-Jean Jaurès, Charles-Henri Lavielle, directeur des éditions Anacharsis, Jacky Ohayon, directeur du Théâtre Garonne, et Christian Thorel, directeur d’Ombres Blanches. Claire Judde de Larivière et Charles-Henri Lavielle nous présentent le projet plus avant.
D’où est venue l’idée du projet ?
Charles-Henri Lavielle – Elle trottait depuis un moment dans la tête de Christian Thorel mais n’avait pas encore pu se concrétiser. Il y a deux ans, il a pris contact avec moi, Claire Judde de Larivière et Jacky Ohayon afin d’en discuter. Nous sommes tombés d’accord sur le principe et le projet a pu démarrer à partir de là.
Claire Judde de Larivière – Notre petit comité organisateur a alors commencé à réfléchir à la forme du projet. Dans un deuxième temps s’est constitué un comité plus large, intégrant d’autres personnes du Théâtre Garonne et plusieurs universitaires. C’est de cette équipe élargie qu’est née la manifestation : il s’agit d’un véritable travail collectif, avec des gens qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble mais qui travaillent très bien ensemble. La programmation reflète totalement cette diversité et cette pluralité.
Charles-Henri Lavielle – Le fait de travailler ensemble de cette façon a décuplé les énergies – ce qui nous a permis ensuite de réussir à entraîner les institutions dans l’aventure.
Quel est l’objectif premier de la manifestation ?
Charles-Henri Lavielle – En discutant lors de nos premières réunions, nous avons eu le sentiment de nous trouver confrontés actuellement à une remise en cause du savoir et de la connaissance, à une forme de relativité absolue suivant laquelle tous les faits et tous les savoirs seraient égaux. En tant que citoyens, nous nous sommes demandé comment réagir à cela. Nous avions à cœur de revaloriser le travail de l’historien, appréhendé en particulier sous l’angle du traitement et de l’ordonnancement des données, de rappeler que son travail est essentiel pour nous aider à comprendre le monde, de montrer aussi comment ce travail s’effectue. De manière plus générale, la question de la transmission occupe à nos yeux une place centrale.
Claire Judde de Larivière – A la base, il y a vraiment la volonté de donner à Toulouse ce qui lui manquait : un grand événement dédié au débat d’idées, permettant de faire se rencontrer des publics différents. Pour nous, il était important de construire la manifestation autour du dialogue, de l’échange, et de ne pas en faire uniquement un espace de conférences. La conférence est le format le plus commun et le plus rassurant. Il nous apparaissait impératif de proposer d’autres formats, susceptibles d’intéresser un public plus large, notamment les jeunes.
La manifestation va s’articuler autour de trois axes thématiques : deux axes récurrents (Histoire et démocratie et Ecrire l’histoire) et un axe spécifique à chaque édition. Pourquoi avoir choisi Du silex au big data comme axe spécifique pour cette première édition ?
Claire Judde de Larivière – Nous tenons vraiment à nous saisir de problématiques contemporaines, notamment celles résultant des mutations technologiques, pour ne surtout pas figer l’histoire dans le passé. Nous avons choisi la question des données comme axe de cette première édition car elle nous semble vraiment primordiale à l’heure actuelle. Nous voyons bien à quel point la gestion et la communication (ou la fuite) des données sont en train de bouleverser nos vies et de transformer notre rapport à la démocratie. Or, le traitement des données constitue le fondement du travail de l’historien. Nous voulons mettre en exergue non seulement l’expérience pratique de l’historien en la matière mais également son regard critique. Par sa nature à la fois mathématique et énigmatique, le big data possède une force d’intimidation qu’il est crucial de (re)mettre en question. Au-delà, l’idée consiste à examiner et interroger la manière dont des masses de données ont pu être gérées à travers les siècles.
A quoi, selon vous, pourrait ressembler l’histoire – en tant que discipline – de demain ?
Claire Judde de Larivière – Des tendances sont déjà en train de se dessiner. Par exemple, ce qu’on appelle « Histoire mondiale ou globale » aux Etats-Unis et « Histoire connectée » en France. On réécrit l’histoire du monde dans une perspective non centrée, en ne prenant plus l’Europe ou l’Amérique du nord comme point de référence. Ça risque de devenir vraiment passionnant à partir du moment où les archives en Asie, en Afrique ou en Inde vont être ouvertes et explorées. Grâce aux évolutions techniques, il va également y avoir de nouvelles capacités d’analyse – et par conséquent de nouveaux enjeux.
Charles-Henri Lavielle – Je suis persuadé que nous allons voir apparaître des historiens africains, par exemple, qui vont (re)construire l’histoire de l’Afrique à partir des sources à leur disposition et de leur point de vue. Cela va forcément apporter un nouvel éclairage sur notre perception de l’histoire du monde.
Claire Judde de Larivière – Actuellement, il y a également toute une réflexion autour de l’écriture de l’histoire. On cherche de nouveaux moyens de la restituer, de la raconter, par exemple avec la bande dessinée ou même le jeu vidéo. Quand j’étais étudiante en première année de fac d’histoire, une prof avait avancé une idée qui m’avait fasciné et continue de me fasciner. Elle avait dit qu’il serait peut-être possible un jour de lire à la façon de microsillons les ondes laissées par la voix du potier grec dans la poterie qu’il était en train de réaliser. Qui sait ? Par un procédé technique ou un autre, nous parviendrons peut-être un jour à entendre les voix des hommes de l’Antiquité.
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