Chère stagiaire,
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Tu débutes ce matin ton quatrième stage. Et je te dis bravo. Car tu as réussi à doubler les 321 candidats, les 30 appelés, les 12 reçus, les 6 retenus pour un second entretien et les 3 derniers en lice pour le test final. Bref, tu es une warrior et ne laisse personne te dire que tu sais faire les cafés comme personne. Je sais que tu vas en baver et que ton taux horaire de 2,875 € ne t’empêchera pas de mener à bien les trois dossiers quotidiens que tu devras finaliser avant de rentrer chez toi à 21h20, la mine défaite et la deuxième partie de ton mémoire à rédiger avant… hier. Bref, stagiaire, tu occuperas un poste à plein temps qu’un autre étudiant (très) diplômé occupera à son tour dans six mois. Ton rôle n’est pas anodin et si tu te foires, on ne te proposera pas de CDI à l’issue de ton stage. Rassure-toi, on ne te proposera pas non plus de CDI si tu réussis à interviewer Barack Obama. Tu es de passage.
Zappe la pause déj’ et montre leur à tous ces quadras qui friment avec leur contrat pépère que tu en as sous le capot.
Mais la jungle, dehors, ne te laisse pas le choix. Tu as intérêt à être à la hauteur car tu sais, “des milliers d’autres candidats voudraient être à ta place”. Alors vire-moi ce sandwich qui te ne te sert à rien, zappe la pause déj’ et montre leur à tous ces quadras qui friment avec leur contrat pépère que tu en as sous le capot. Je te jure, un jour, ça paiera. Évidemment, je t’interdis de cautionner les allusions scabreuses du pervers qui connaît bien le PDG.“C’est un ami”. (Bah quoi, c’est pas des filles faciles les petites stagiaires?) Mais toi et moi savons que tu préférerais embrasser Serge (le) Lama plutôt que de rire aux blagues de Jean-Pierre, 51 ans en charge (selon lui) de te faire visiter les 123 bureaux de la boîte. Et si je ne te conseille pas de le gifler quand, trempée par la pluie, il te demande pourquoi “tu mouilles” (réplique authentique), je t’invite à faire preuve de ton sens inné de la repartie pour lui balancer un sobre “Oh bah tu vois, je suis sèche. Merci Jean-Pierre”.
Car tu vas en accumuler de la blague pourrie. Après tout, tu es l’attraction de ces six prochains mois, ensuite on ne te reverra pas. Ah, je vous entends déjà: cette fille (féministe, c’est sûr!) stigmatise les hommes, c’est n’importe quoi. Si c’est Jacqueline, la femme de Jean-Pierre, qui me parle, alors c’est irrecevable. Si c’est Manon, Sophie ou Pauline, stagiaires en herbe ou confirmées qui m’assurent que jamais, ô grand jamais, elles n’ont rencontré de “JP” ou de dictatrice aigrie et jalouse de voir passer sous son nez un talent tout frais, au visage dénué de rancœur et de Botox mal piqué, je dis “ouf!” et je leur demande de m’envoyer leurs témoignages positifs sur ma boîte mail (en espérant qu’elle n’atteigne pas sa limite de stockage).
Franchement, en ces temps de crise, tu pourrais faire un effort et comprendre que, c’est pas parce qu’on est une boîte du CAC 40, qu’on peut payer tous ses salariés.
Mais tout ça est bientôt fini ma stagiaire chérie. Dans quelque temps, tu seras de l’autre côté de la barrière. Tu chercheras un job, un vrai, payé et considéré. Tu pourras alors planifier ta vie et violemment baffer ces années de dure précarité. Tu auras signé un CDI dans une une boîte de rêve qui justifiera ce CV rempli de stages qui ne t’ont pas laissé le temps de prendre des vacances depuis cinq ans. Mais revenons à ce moment-clé, où plantée devant ton ordi dans un café cosy, tu te lances dans la recherche du job de ta vie. Tu cliques (enfin!) sur la case “emploi” et tu snobes les 1210 stages qui attendent sagement preneurs dans l’onglet inférieur. Aïe. Le choc est brutal. Dans ton secteur, pourtant porteur, 4 annonces se battent depuis 3 mois. Et parmi elles, deux sont en fait des stages déguisés sous des postes d’assistantes. Je sais, c’est rageant, d’autant plus que tu es capable de mettre au tapis un bon nombre de ces salariés depuis longtemps enracinés. Mais le fait est que ta page de recherche est polluée par des postes de stagiaires. Des postes qui ont doublé entre 2008 et aujourd’hui (dans certaines boîtes, le pourcentage de stagiaires dépasse les 30%). À quoi bon faire signer des CDD ou des CDI quand une main d’œuvre low cost et compétente peut faire le job sans faire péter le budget? Hein? Franchement, en ces temps de crise, tu pourrais faire un effort et comprendre que c’est pas parce qu’on est une boîte du CAC 40 qu’on peut payer tous ses salariés.
Merci de renforcer, à chaque coup de pied, notre capacité à résister et à nous renouveler.
Alors, range ta haine et ne t’avise pas de manifester (comme ces fous de New-Yorkais). Bon, j’arrête de broyer du noir et je me dis qu’on doit tout de même dire merci à ce système un brin pourri. Merci de renforcer, à chaque coup de pied, notre capacité à résister et à nous renouveler. Et puis, je dois vous dire, je mets pas mal d’espoir au pied de Monsieur Sapin. Le ministre du travail veut faire passer une loi sur les stages d’ici la fin de l’année. Parce que selon lui, “il faut une réforme des stages, parce qu’un stage, ce n’est pas un travail, ça ne doit pas être un travail, ça ne doit pas être une période de salariat”. Objectif de la réforme: un quota de 10% de stagiaires parmi les effectifs des entreprises, des congés payés, la limitation des stages hors cursus et un encadrement plus précis du statut juridique des stagiaires. Allez, pour une fois, on te fait confiance, Gouvernement, et on attendra bien sagement un miracle à Noël.
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