Parfois vulgaires, débordantes de glamour ou simplement raffinées, voilà les femmes qui hantent Amélie Pichard, créatrice de la marque du même nom. Un univers hétéroclite, bercé à la fois par le Web et la culture vintage. Vous avez dit schizophrène?
Amélie Pichard a lancé sa propre marque après avoir remporté le concours Bata en 2009. Six collections plus tard, elle continue d’enchanter la mode avec ses sacs et chaussures d’inspiration rétro, un brin décalés et aux matières toujours plus folles. On est allé à sa rencontre pour parler de sa collection automne-hiver, intitulée Dirty Dancing, et de ses multiples influences.
Dans cette collection, on retrouve des chaussures plateformes, des derbies masculines mais aussi des escarpins ultra féminins. Combien de personnalités la “femme Amélie Pichard” a-t-elle?
Beaucoup. Et j’ai toujours en tête un type de fille différent pour l’été et pour l’hiver. L’été, j’imagine une fille superficielle, comme Pamela Anderson, et l’hiver, je pense aux héroïnes mystérieuses de David Lynch.
Est-ce qu’une fille en particulier pourrait incarner ta marque?
Non, parce que je les fantasme. On me demande souvent quelle star actuelle je pourrais chausser et je n’arrive pas à répondre. Je suis hyper nostalgique d’époques et de filles que je n’ai pas connues.
Photo extraite du lookbook FW/2013-2014
Quelle époque et quelles filles avais-tu en tête pour ta nouvelle collection?
Les filles du Studio 54, comme Bianca Jagger ou Debbie Harry, m’ont beaucoup inspirée. C’est un mix de ces filles-là, très rock, et d’autres plus raffinées. J’avais aussi envie d’une collection qui pète: j’ai utilisé du croco, comme à chaque fois, mais métallisé pour le côté bling. Ensuite, j’ai voulu casser cet aspect-là avec l’effet béton, que l’on voit sur certains modèles, parce qu’on est à New York dans les années 70-80 et qu’à cette époque, Brooklyn et Harlem étaient des quartiers pourris.
“Dans mon appartement, tu as des fœtus dans du formol, des animaux empaillés un peu glauques et un canapé rose.”
Une fille pour toi ne peut donc pas être juste élégante, juste déjantée ou juste vulgaire?
Elle doit être tout ça, il faut tout casser. Par exemple, les filles aux gros seins sont une source d’inspiration pour moi. Quand j’étais petite, j’étais fan d’Ophélie Winter et Pamela Anderson. J’ai toujours voulu avoir des gros seins mais ils n’ont jamais poussé, c’est donc devenu une obsession.
Concernant la vidéo dont tu t’es inspirée pour cette collection, If David Lynch directed Dirty Dancing, c’est cette rencontre entre deux univers complètement différents qui, là encore, t’a inspirée?
Il n’y a rien de plus conceptuel et bizarre que Lynch, contrairement à Dirty Dancing. Avant, j’étais plutôt adepte de films lisses et puis j’ai commencé à regarder des Lars von Trier et des David Lynch. Ils sont venus compléter mon univers. Dans mon appartement c’est pareil, tu as des fœtus dans du formol, des animaux empaillés un peu glauques et un canapé rose.
Est-ce que tu passes du temps à fouiller sur Internet pour trouver ce genre de “pépites”?
Oui, j’ai une banque de données d’images de dingue pour chaque saison. Je passe mon temps à traîner sur les Tumblr et autres sites de photos. Ce ne sont jamais des chaussures que je cherche. Parfois, je m’inspire de films sans même les avoir vus et en ne regardant que les photos car je préfère les fantasmer. Je passe aussi ma vie à faire des captures d’écran sur Instagram. Le compte IdeaBooksLtd, celui d’un libraire spécialisé dans les vieux magazines, est génial pour moi.
Toi aussi, tu passes du temps à chiner des vieux magazines?
Oui, j’en achète beaucoup. Avant, j’achetais les vieux Vogue et ELLE, mais à chaque fois j’étais déçue. Pour mon anniversaire, j’ai demandé à mon copain une grosse collection de vieux Play Boy et Lui.
Photo extraite du lookbook FW/2013-2014
Côté couleur de cheveux, tu frises aussi la schizophrénie puisque tu dis en changer tous les six mois. Si tu devais n’en choisir qu’une pour le reste de ta vie?
Impossible! Il n’y a qu’au niveau mec que je ne change pas, je suis avec le même depuis 11 ans. Et pour le coup, il a eu l’impression d’avoir 15 000 femmes!
Tu viens de lancer certains de tes modèles de chaussures pour les hommes. Quel homme t’a particulièrement inspirée?
Mon père. Il est mort quand j’avais neuf ans, donc on reste dans ce côté fantasme. Peut-être que s’il était encore vivant, il ne m’inspirerait pas du tout. Au départ, je voulais commencer une collection réservée à l’homme. J’ai regardé ses vieilles photos et j’imaginais ce qu’il pouvait avoir comme chaussures. D’ailleurs, mon père habitait à la campagne et ma mère en ville, je pense que ça peut expliquer d’une certaine façon ma bipolarité. Je puise dans ces deux univers-là.
Propos recueillis par Clémence Sigu