En salles le 14 novembre, Les Chatouilles raconte la reconstruction d’Odette, une trentenaire violée à plusieurs reprises par un ami de ses parents, à l’âge de huit ans. Le scénario est très inspiré du parcours d’Andréa Bescond, coréalisatrice du film avec Éric Métayer, qui y interprète son propre rôle, après avoir raconté son histoire sur les planches. Rencontre.
“On s’en foutait en fait, on voulait faire un film qui nous ressemble. On ne s’est pas demandé si c’était faisable ou autorisé. On a fait ce dont on avait envie. C’est notre façon d’être.” Voici la réponse qu’apportent Andréa Bescond et Éric Métayer lorsqu’on leur demande s’il ont conscience d’avoir réalisé avec Les Chatouilles, en salles mercredi 14 novembre, un film très peu académique. Il y a pourtant de quoi s’interroger. Scènes dansées, nombreux flash-back, ou séquences dans lesquelles se confondent l’imaginaire et la vie réelle du personnage principal, Odette: le film étonne. Des éléments “un peu casse-gueules, qui font écho à l’introspection qu’entreprend cette femme”, complète la réalisatrice de 39 ans.
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Le film raconte la reconstruction d’une danseuse trentenaire, qui “libère sa parole, embrasse la vie”, et consulte une psychologue pour affronter son passé, elle qui a été violée par un ami de ses parents à plusieurs reprises, à l’âge de huit ans. Une autofiction inspirée de l’histoire d’Andréa Bescond, qui interprète d’ailleurs Odette dans le long métrage. Sa douleur, l’actrice, metteuse en scène, scénariste -et on en passe-, l’a déjà racontée dans un spectacle: Les Chatouilles, ou la danse de la colère, joué au Théâtre La Bruyère de Paris à partir de 2014, puis au Festival d’Avignon, où elle reçoit le Prix d’interprétation féminine d’Avignon Critique OFF, ainsi qu’au Théâtre du Petit Montparnasse à partir de 2016. La même année, sa performance est récompensée, entre autres, par le Molière du meilleur seul·e en scène. C’est enfin au Théâtre du Châtelet, à la Salle Pleyel, puis lors d’une tournée en France, en Belgique et en Suisse qu’Andréa Bescond se livre sur “ce que beaucoup ne veulent pas entendre”, le tout mis en scène par Éric Métayer.
En couple dans la vie, les deux coréalisateur·rice·s des Chatouilles se rencontrent pour la première fois sur la scène de la comédie musicale Rabbi Jacob, en 2008. Elle le trouve “drôle et humain”. Lui, est impressionné par l’énergie qu’elle dégage: “Trente danseurs faisaient la chorégraphie, une seule la vivait.” Dix années plus tard, ils signent ensemble un film à la fois original, poétique et, malheureusement, très réaliste, au casting impeccable. Le rappeur Gringe (Guillaume Tranchant) convainc dans le rôle du meilleur ami d’enfance d’Odette. Clovis Cornillac incarne un père en détresse, Karin Viard, une mère qui refuse de reconnaître la souffrance de sa fille, et Grégory Montel, le nouveau compagnon de vie du personnage principal. Nous avons rencontre Éric Métayer et Andréa Bescond pour qu’il nous en disent un peu plus sur ce film qui bouscule.
Pourquoi avoir choisi de raconter l’histoire d’Andréa au théâtre, puis au cinéma?
Andréa Bescond: Tout est parti d’un questionnement: je ne comprenais pas pourquoi je continuais à aller relativement mal, alors que j’avais porté plainte contre mon agresseur, qu’il avait été condamné et que j’avais contribué à sauver la vie d’autres enfants. Éric m’a conseillé d’exprimer cette douleur d’une nouvelle manière, et m’a poussée à écrire. Enceinte de mon deuxième enfant, et donc un peu immobilisée, j’ai commencé à me poser tous les soirs sur mon ordinateur pour imaginer mon spectacle.
Éric Métayer: Nous nous sommes tourné·e·s vers le cinéma à partir du moment où un producteur des Films du Kiosque nous l’a demandé, après avoir vu le spectacle à Avignon. Nous avons bien sûr dit oui tout de suite. On a foncé.
De la pièce au film, l’histoire d’Odette a-t-elle évolué?
A. B.: Nous racontons la même histoire, mais en la traitant différemment. Sur scène, nous arrivions plutôt facilement à faire rire, ce qui est devenu moins évident au moment de porter le scénario à l’écran. Nous avons renoncé à quelques passages du spectacle, trop caricaturaux pour le cinéma, comme la scène du dépôt de plainte, qui présente un policier bedonnant, à l’accent fort. Dans le film, il n’y avait plus de place pour la comédie à cet endroit-là. Il fallait trouver un autre biais pour apporter de l’humour, de la fantaisie, de la poésie, et une vraie force vitale, au milieu de ce drame. Le personnage de la psy -interprété par Carole Franck-, et son regard parfois un peu maladroit, a permis d’apporter cette fraîcheur. Nous avons aussi choisi de développer les personnages qui gravitent autour d’Odette à l’âge adulte, pour évoquer les dégâts collatéraux du viol dont elle a été victime, sur sa famille ou sa vie amoureuse. On a ouvert le débat.
“Nous avons finalement créé une autofiction, qui m’a permis d’aborder Odette comme un rôle, et non comme un double de moi-même, ce qui aurait été plutôt malsain.”
É. M.: Nous avons également dû prendre en compte que sur scène, Andréa était seule, et jouait tous les rôles (Ndlr: elle y interprète plus de vingt personnages). Pour le film, il a fallu amener des lieux, des acteurs, de l’image… Sans compter l’énorme changement qui a consisté à diriger une vraie petite fille de 9 ans: Cyrille Mairesse.
Livrer une histoire aussi personnelle au public, c’est difficile?
A. B.: Nous avons choisi de prendre de la distance par rapport à mon histoire, l’avons romancée et simplifiée: ce que j’ai vécu est plus complexe que le schéma présenté dans le film. J’étais prête à ma séparer de cette histoire… Nous avons finalement créé une autofiction, qui m’a permis d’aborder Odette comme un rôle, et non comme un double de moi-même, ce qui aurait été plutôt malsain. C’était aussi une manière de rendre ce récit plus universel.
Éric Métayer et Andréa Bescond ©Stéphanie Branchu
La mère d’Odette minimise sans cesse la douleur de sa fille. Vouliez-vous mettre en avant un fossé générationnel marqué par une sensibilité différente aux violences sexuelles?
É. M.: Nous avons laissé l’interprétation ouverte, même si l’on devine que la mère d’Odette a vécu une forme de traumatisme.
A. B.: Peut-être qu’elle parle d’inceste, peut-être d’autre chose… De deuil par exemple. Elle est profondément blessée en tous cas. Et quand on est concentré sur sa douleur, celle des autres disparaît. Plus qu’un questionnement générationnel, nous avons voulu aborder comment la souffrance pouvait être gérée différemment d’une personne à l’autre.
Les Chatouilles est-il un film militant?
É. M.: Je dirais que tout acte artistique est militant, même les comédies. Les douleurs font rire. Pour s’en apercevoir, il suffit de se pencher sur un gag universel, qui ne date pas d’hier: celui de la chute à cause d’une peau de banane. Pour Les Chatouilles, chacun y prendra ce qu’il souhaite. Le public peut choisir d’en retenir un engagement fort, ou d’apprécier l’oeuvre pour sa réalisation artistique.
“Pour l’avoir vécu, je peux certifier que porter plainte, c’est une mission. C’est loin d’être des vacances.”
Votre film sort en salles un peu plus d’un an après #MeToo et la libération de la parole des femmes victimes, comme Odette, de violences sexuelles. Quel regard portez-vous sur ce mouvement?
A. B.: Je crois qu’il est fondamentalement nécessaire de révéler l’impact des violences sexuelles sur les victimes. Il y a eu un vrai virage avec #MeToo: beaucoup d’hommes ont pris conscience de la gravité de la situation, et ont compris que certains comportements et “blagues” sexistes étaient intolérables. J’estime aussi qu’il faut veiller à ne pas exclure la gent masculine du combat féministe.
É. M.: Oui, je suis d’accord: je ne veux pas être mis à l’écart. Des hommes bienveillants, éclairés par ce qui se passe, il y en a plein.
Un avis sur le hashtag #WhyIDidntReport, utilisé sur Twitter par les victimes de violences sexistes et sexuelles pour expliquer pourquoi elles n’ont pas porté plainte?
A. B.: Je trouve que critiquer ces personnes est très violent et très déplacé. 40% des victimes de viol sont touché·e·s par l’amnésie traumatique, ce qui signifie qu’elles ne se souviennent pas de ce qu’elles ont subi pendant parfois plusieurs années. C’est l’une des raisons qui explique que peu de femmes portent plaintes. Ensuite, il faut avoir la possibilité de se réparer, de se reconstruire avant de se rendre au commissariat. Pour l’avoir vécu, je peux certifier que porter plainte, c’est une mission. C’est loin d’être des vacances. On est analysé·e·s sous toutes les coutures, on a rendez-vous avec des psychologues pour évaluer la véracité de notre discours… Donc je peux bien sûr comprendre qu’on ne le fasse pas, même si je l’encourage.
©Stéphanie Branchu
Avez-vous eu des retours de victimes de violences sexuelles à propos des Chatouilles?
É. M.: Oui, on ne les compte plus. Après le spectacle, c’était chaque soir. Ils et elles venaient nous voir dans les loges, un peu en catimini. Avec le film, ça a pris une tournure différente. Pour les premières, nous avons organisé des débats suite aux projections. À plusieurs reprises, des personnes se sont levées pour dire: “Je suis victime, voici mon histoire”. Je trouve extraordinaire qu’ils et elles trouvent la force d’en parler, et que le film les aide à ne plus avoir honte, ni peur de partager leurs histoires.
Propos recueillis par Margot Cherrid
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