Les solos de la génération Y n’échappent pas aux vieux clichés. En 2015 encore, être célibataire reste perçu comme un problème. Une pression sociale en contradiction avec la réalité d’une génération qui aime autrement.
“Alors, toujours célib?” Elles ont le don d’agacer, ces petites phrases assénées en permanence aux jeunes célibataires. Familles, amis et collègues de boulot, chacun y va de son grain de sel, du classique “Et les amours?” au piquant “Tu es trop difficile”. Car être célibataire quand on a entre 25 et 35 ans est encore considéré comme anormal. Comme si on avait échoué au concours du Couple avec un grand C, cet idéal du vivre à deux érigé en Saint-Graal de l’amour. “Il y a toujours une tante pour te lancer ce genre de phrases à Noël, alors que toi, tu ne te permets pas de dire: alors, toujours aussi malheureuse dans ta vie?”, ironise la blogueuse Camille Emmanuelle. Si cette Parisienne de 34 ans (désormais en couple) s’en amuse, 62% des célibataires français sont fatigués des commentaires de leur entourage sur leur situation amoureuse, selon une étude TNS Sofres réalisée en juin 2014 pour le site de rencontres Meetic. “Le célibat autorise beaucoup de questions intimes et de remarques que personne ne posera jamais à quelqu’un qui est en couple”, poursuit la jeune femme, auteure du livre Paris-couche-toi-là.
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“Ma mère préférait mentir aux gens plutôt que d’admettre que je n’avais personne.”
Cette pression, Léa* l’a connue durant ses trois ans de célibat, balayant d’un revers les questions gênantes sur sa vie amoureuse tout en cédant parfois aux incitations de ses potes à draguer en soirée. “Mon célibat n’était pas un problème pour ma mère, explique cette fonctionnaire de 29 ans, un brin de révolte dans la voix. Ce qui la gênait, c’était le ‘qu’en dira t-on?’ Elle préférait mentir aux gens plutôt que d’admettre que je n’avais personne.” Si elle habite Paris, dans la petite ville de province dont elle est originaire, les femmes de son âge ont déjà eu leur premier enfant depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. “Les remarques sur le célibat sont surtout là pour te rappeler qu’il faut que tu te dépêches”, souligne-t-elle. S’écarter du chemin tout tracé “études courtes-couple-maison-bébé” devient alors vite suspect.
À 28 ans, François est lui aussi célibataire, après une relation de deux ans, et en profite pour multiplier les rencontres. Si son célibat est perçu comme “positif” par ses amis parisiens, notamment “grâce au côté chope”, ce jeune Saumurois n’a pas le même son de cloche côté famille. “Comme je ne ramenais pas de filles aux dîners de famille, mes grands-parents ont commencé à penser que j’étais homosexuel”, témoigne t-il.
Le célibat, des clichés à la réalité
Car même en 2014, les vieux clichés perdurent. “Dans la culture populaire, il y a encore l’image de la nana célibataire, seule chez elle en pyjama en pilou, une tisane à la main, raille Camille Emmanuelle. Alors que l’homme célibataire sera vu comme celui qui s’amuse, avec un côté Don Juan.” Pourtant, les jeunes solos n’ont rien de la “vieille fille “ou du “court jupons” ancrés dans la conscience collective. Ils sortent, testent, réinventent, se cherchent et font leur cheminement. Léa a vécu son célibat comme une période où elle “construisait son projet de vie et son indépendance vis-à-vis de ses parents”, François n’y voit “que du bonus” pour sa future vie de couple. Après quatre ans de mariage, Sophie concède que son année de célibat est celle où elle a le plus appris sur elle-même. “Avant, c’était maladif, il fallait tout le temps que je sois dans une relation, que je vive à travers l’autre, lance cette brune de 28 ans. Maintenant, je me demande ce que je désire.”
Il n’existe plus “un modèle de couple, ni un modèle de célibat”
Le regard porté sur les célibataires n’en reste pas moins culpabilisant. Léa compte encore le nombre de fois où elle s’est demandé ce qui “n’allait pas chez elle”, si elle était bien “normale”. “Dans la société, on tient un double discours aux jeunes: celui, à travers la publicité ou les films, que c’est tendance d’être célibataire, et celui qu’il est anormal d’être seul à cet âge”, reconnaît Fabienne Kraemer, psychanalyste et auteure du livre Solo, No solo, quel avenir pour l’amour?, en librairie aujourd’hui. Un discours ambigu et stigmatisant, qui ignore “la réalité de ce que vit cette génération”, selon elle. Études plus longues, instabilité au travail, engagement tardif, les Y ne suivent pas le même chemin que leurs parents. Pourtant, le célibat est encore vu “comme une période de lose”, selon Camille Emmanuelle, et le couple comme “quelque chose de plan-plan où il n’y a plus de liberté”, là où il n’existe plus aujourd’hui “un modèle de couple ou un modèle de célibat”. Vivre seul ou à deux, ni l’un ni l’autre ne convient: un paradoxe typiquement Y.
Une génération schizo
Moins amoureux, plus exigeants, les solos de la génération Y vivent ainsi “l’amour sous arnica”, selon Fabienne Kraemer. “Ils ne veulent pas souffrir, ils ne veulent pas prendre de risque et ils ont peur de renoncer à l’idée de tous les autres pour le choix d’un seul”, lâche cette psychanalyste. Un renoncement en partie dû à l’offre importante de rencontres proposée par des réseaux comme Tinder, selon elle. “Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de quelqu’un, j’ai envie de quelqu’un, témoigne Sophie. Être en couple n’étant plus vital pour elle, la jeune femme reconnaît ne pas s’investir plus que nécessaire dans ses relations.
Tiraillés entre la soif de liberté et le désir de sécurité, les jeunes célibataires voguent ainsi du couple au célibat sans parvenir à trouver leur place. La faute à leurs parents qui, de séparations en familles recomposées, n’ont pas réussi à montrer ce qu’était aimer et être aimé, selon Fabienne Kraemer. “Notre génération, la génération de leurs parents, a tellement vécu d’échecs qu’ils ne peuvent pas se projeter dans le modèle d’un couple pérenne, stable et durable”, admet-elle.
“Le couple, c’est comme le CDI. Avant, tout le monde voulait en avoir un.”
Si “l’amour, toujours” leur paraît inaccessible, les célibataires n’en aspirent pas moins à une vie de couple, pourvu qu’elle ne soit pas contraignante. “Le couple, c’est comme le CDI, avant tout le monde en voulait un. Aujourd’hui, beaucoup de personnes veulent être indépendantes et préfèrent les CDD, reconnaît Sophie derrière ses imposantes lunettes carrées. En couple, c’est pareil: on revendique plus de liberté.” C’est là que tout se mélange, selon Camille Emmanuelle, pour qui “il y a une différence entre vouloir être amoureux et être en couple”. “On peut être célibataire et amoureux, de la même manière qu’on peut être deux et pas amoureux”, explique t-elle.
Le couple, une norme obsolète?
Pourtant, le couple reste encore la norme, l’Eldorado à atteindre. Mais aujourd’hui, il n’existe plus un modèle unique de vivre ensemble. “Il y a le couple de l’amour, le couple de la sexualité, le couple du désir”, souligne Camille Emmanuelle. Léa le confirme: “Les choses sont plus mouvantes aujourd’hui en amour mais le discours de la société, où le couple reste une finalité, ne s’adapte pas à cela”. Être ensemble sans vivre ensemble, se donner davantage de liberté, vivre seul ou s’aimer à plusieurs, la génération Y teste de nouvelles façons de s’aimer. “Si cette génération croit que c’est moderne de vouloir réinventer la façon de vivre à deux, ils se trompent car ils vont retomber les pieds dans le schéma habituel du couple”, glisse Fabienne Kraemer, peu convaincue par l’émergence d’un nouvel idéal. “Nous, nous avons essayé, à travers le peace and love, de créer une nouvelle façon de s’aimer avec plus de liberté, se souvient-elle. Mais cela n’a pas fonctionné.” Pour elle, si une nouvelle norme doit émerger, ce sera celle du film Her de Spike Jonze, où l’intelligence artificielle prend la place de l’autre et “où l’on tombera amoureux de son système iOS”. Le couple du XXIème siècle se réinventera-t-il en love story virtuelle? À la génération Y de répondre à cette question.
Mylène Renoult
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