Comment faire repartir les déplacements dans les centres urbains après le confinement, sans mettre en péril les passagers ? A l’instar de Bruxelles ou de Paris, plusieurs villes misent sur le vélo.
La “vélorution” va-t-elle connaître un coup d’accélérateur en France à partir du 11 mai, date annoncée du début du déconfinement ? Plusieurs indices semblent indiquer que oui. A la Mairie de Paris, il est question d’“aménager très rapidement les grands axes pour qu’on puisse les dédier aux bicyclettes”. Bruxelles a pour sa part annoncé que sa Petite Ceinture deviendrait une “zone de rencontre”, où vélos et piétons seront prioritaires, début mai.
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En effet, le vélo présente plusieurs avantages en matière de déplacement dans les zones denses par temps d’épidémie, comme l’explique Frédéric Héran, économiste et urbaniste, maître de conférences à l’Université de Lille-1 et auteur du livre Le retour de la bicyclette (La Découverte, 2015). Alors que le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) organise ce 22 avril un important séminaire sur les aménagements envisagés pour le déconfinement, nous l’avons interrogé. “Quantité de villes vont s’engouffrer dans la brèche”, estime-t-il.
Quels arguments plaident en faveur du vélo comme mode de déplacement dans le cadre du déconfinement ?
Frédéric Héran – Les transports publics posent un problème de promiscuité important. Il y est difficile de respecter la distance minimale pour éviter la contagion, alors qu’à vélo, cette distance est naturellement respectée. A condition toutefois de mettre un masque, pour éviter des projections de gouttelettes contaminantes dans l’air par le souffle. A part ce petit problème – qui est facile à résoudre en rendant par exemple obligatoire le port du masque pour les cyclistes –, c’est un système idéal !
Un autre argument imparable plaide en sa faveur : c’est que le vélo permet de s’activer, de bouger, d’éviter les problèmes de sédentarité que pose le confinement. Or ces problèmes peuvent être graves ! La sédentarité, à la longue, est très délétère pour la santé. Des milliers d’études montrent qu’aujourd’hui la sédentarité est très excessive, et pose des problèmes qui ne se limitent pas seulement à l’obésité comme on le croit souvent. Toutes sortes de maladies chroniques peuvent y être liées : cancers, maladies cardiovasculaires, dépression, etc. L’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) a documenté ces effets.
Se bouger est donc un super médicament : non seulement ça prévient énormément de maladies, mais, en plus, ça contribue à guérir. Il n’y a aucun médicament miracle comme celui-là. Pour résumer, l’activité physique régulière, typiquement le vélo ou la marche, c’est excellent. Ça fait déjà deux arguments. Et on peut ajouter que ça évite la pollution, et le bruit.
Les risques d’accidents à vélo peuvent-ils être problématiques ?
Les accidents peuvent être un problème si on ne prend aucune précaution pour sécuriser les déplacements. D’où cette proposition consistant à transformer, en ville, les quatre voies en deux voies avec des bandes cyclables sécurisées par des plots de chantiers.
C’est ce à quoi la Mairie de Paris est en train de réfléchir pour le déconfinement ?
Oui, mais ce n’est pas que la mairie de Paris, c’est la France entière ! Ce 22 avril le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) – un organisme public étatique très important, dont le rôle est de diffuser les bonnes pratiques dans la mobilité – organise un séminaire web sur la réalisation d’aménagements pour faciliter le déconfinement. Des centaines de participants sont attendus, et je le clôturerai. C’est l’Etat, par l’entremise de la ministre des Transports, Elisabeth Borne, qui lance cette initiative, et quantité de villes vont s’engouffrer dans la brèche, soit parce qu’elles sont déjà conscientes que le vélo a des vertus, soit parce qu’elles se disent que c’est une solution pour la sortie du confinement.
On est déjà très avancés dans le domaine de la suppression des quatre voies en ville. A Paris, depuis vingt-cinq ans, on en supprime, et on les transforme en deux voies avec aménagement cyclable. Paris est un bel exemple, il suffit d’ouvrir les yeux. Pensons par exemple à l’avenue Jean-Jaurès dans le XIXe arrondissement, ou à la rue de Rivoli. Mais il faut lever le nez de la capitale. A Nantes, c’est général : quantité de quatre voies sont passées en deux voies, dans l’indifférence totale des médias. Strasbourg a aussi transformé l’axe qui la traverse jusqu’à l’Allemagne – une véritable autoroute – en deux voies : c’est l’avenue des Vosges, l’avenue d’Alsace, et bientôt l’avenue de la Forêt noire. Les villes n’en crèvent pas ! Tout se passe bien.
Ces aménagements sont-ils coûteux ?
Pas du tout, car la chaussée existe déjà. Regardez le boulevard Sébastopol, à Paris : on y a mis des bordures car Paris est une ville riche, mais souvent on met simplement un coup de peinture, et ça peut suffire. En quelques semaines on peut le faire, il faut juste le vouloir, et être conscient que ça ne va pas tuer la ville pour autant. Il y a bien sûr des calculs à faire sur le nombre de véhicules éclusés par jour. Il y a des astuces. Mais c’est parfaitement faisable.
Bruxelles va mettre en place une “zone de rencontre” dans laquelle vélos et piétons seront prioritaires, et où la vitesse des véhicules sera limitée à 20 km/h. D’autres villes l’ont fait en France, comme Grenoble. Pensez-vous que le déconfinement pourrait avoir comme effet collatéral la création de nouvelles zones similaires ?
Oui, évidemment. C’est l’autre grand aménagement faisable : l’apaisement du trafic. Cela peut passer par le fait de multiplier les zones de rencontre, ou de supprimer le transit dans les zones 30 [zones limitées à 30 km/h, ndlr] – c’est-à-dire interdire le fait de traverser de part en part ces zones, de les utiliser comme un “itinéraire malin” pour contourner les bouchons en allant à toute vitesse. C’est une solution très importante. Les quatre voies, les zones de rencontre et la suppression du transit dans les zones 30 : avec ça, on peut avancer.
Ces solutions peuvent-elles être pérennisées après le déconfinement ?
Il faudra voir au cas par cas, mais je le souhaite. C’est peut-être l’occasion d’accélérer l’aménagement. Le lobby auto ne se laissera cependant pas faire. Des tas de gens vont protester, et ils n’auront pas forcément tort. On ne peut pas passer du jour au lendemain aussi facilement au vélo. Le changement des modes de déplacement s’accélère à l’occasion d’événements comme celui que nous vivons. La grève de décembre 2019 avait aussi été un accélérateur, ou encore la hausse des prix du pétrole en 2007. Cependant, on perd toujours une partie du bénéfice après coup.
C’est lié au fait que ce ne sont pas de nouveaux cyclistes qui se mettent au vélo majoritairement, mais des cyclistes occasionnels qui se mettent à l’utiliser tous les jours. Les néocyclistes existent, mais ne sont pas aussi importants. Le véritable réservoir, ce sont les cyclistes occasionnels. La plupart du temps, ils n’utilisent qu’occasionnellement leur vélo parce qu’ils ont des déplacements longs, des charges lourdes, des problèmes physiques, etc. Ces cyclistes sont susceptibles de revenir à la situation d’avant.
L’argument écologique peut-il peser davantage à l’avenir en faveur d’une hausse de la pratique du vélo ?
Ça jouera, mais assez marginalement. Actuellement, ceux qui font du vélo ne le font pas pour des raisons écologiques, mais d’abord pour des raisons de santé publique. Ils savent de plus en plus que la sédentarité est un vrai problème, et trouvent cette solution pour s’activer. La première raison c’est la santé, et ce sera renforcé après la crise. La deuxième raison est économique : ce n’est tout de même pas très cher. Et la troisième raison, c’est l’écologie. Elle va peut-être se renforcer, mais je n’y crois pas trop. Plein de gens diront que le vélo est un rêve d’écolo, mais non. C’est d’abord efficace. En zone dense c’est ce qu’il y a de plus rapide, hormis les deux-roues motorisés, qui sont extrêmement dangereux – de l’ordre de 6 à 20 fois plus dangereux que le vélo, selon les lieux.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Dernier livre paru : Le retour de la bicyclette. Une histoire des déplacements urbains en Europe, de 1817 à 2050 (La Découverte)
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