Dans “Assise, Debout, couchée!”, Ovidie explore les relations entre chien·nes et humain·es avec une perspective féministe. Dans la continuité de cette démarche, nous avons tendu le micro à quatre femmes, qui nous parlent de la relation très particulière qu’elles entretiennent avec leur canidé.
À l’ouverture du festival de Cannes, Libération interrogeait la présidente du jury Greta Gerwig sur sa rencontre avec les juré·es : “On a fait connaissance en se montrant des vidéos de nos chiens, tout le monde adore les chiens dans ce jury, ça ne peut que bien se passer”, avait alors répondu la réalisatrice féministe, qui a marqué l’année 2023 avec son film Barbie, tandis que le chien Messi, alias Snoop dans Anatomie d’une chute, volait la vedette sur le tapis rouge à bon nombre de bipèdes.
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En musique, Yelle chante J’veux un chien et la chanteuse Solann célèbre les chiennes dans son titre Rome, quant à la littérature française, elle a aussi vu ces dernières années les chien·nes occuper une place majeure dans un certain nombre de récits (citons le carton de Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Defour, Un chien à ma table de Claudie Hunzinger ou le récent et génial Aliène, de Phoebe Hadjimarkos Clarke).
Alors que la hype du chien vient peut-être d’atteindre son paroxysme, Ovidie consacre un livre, dans la collection Bestial chez JC Lattès, aux canidé·es de tout poil. Dans Assise, Debout, Couchée!, l’autrice et réalisatrice, qui a toujours eu des chien·nes, sonde cette relation si étroite entre chien·nes et humains, et en particulier humaines. Dans la continuité de cette perspective féministe, nous avons demandé à quatre femmes de nous parler de leur relation avec leur chien·ne : seules ou en couple, victimes de violences ou simplement habitué·es aux chien·nes depuis leur enfance, elles nous racontent la place centrale qu’ont pris ces êtres dans leur vie.
Norma, 32 ans, comédienne : “Ma première chienne sera toujours la chienne de ma vie, car elle m’a portée”
“J’ai toujours eu des chiens, sauf pendant les quatre ans où j’ai vécu à Paris dans 14m2. J’ai eu ma première chienne à 13 ans et elle m’a suivie jusqu’à mes 25 ans, dans une période où j’étais extrêmement angoissée. C’était un Labrador croisé border collie et chien de chasse, une chienne toute noire avec une toute petite tâche blanche, qui s’appelait Loona. Je ne pouvais rien faire sans elle au point que mon psy la perçoive comme mon ‘objet contraphobique’. Elle était mon unique ‘porte de sortie’, au sens propre. Sans elle, je ne pouvais pas aller dehors. Quand elle est morte, je me suis effondrée et cela m’a finalement poussée à porter plainte [Ndlr: Norma a été agressée sexuellement par son grand-père adoptif pendant plusieurs années lorsqu’elle était enfant, ce qu’elle raconte dans un spectacle]. Je ne pouvais plus être dans le déni de toutes les incapacités liées à mon agression et j’ai compris que sans elle, j’étais incapable de vivre normalement. Ma première chienne sera toujours la chienne de ma vie, car elle m’a portée. J’avais quelqu’un dont il fallait prendre soin. Dans les moments de grande torpeur, quand la vie était très compliquée, ce n’était pas possible de mourir car elle comptait sur moi. Elle était autant mon garde du corps, mon anti-angoisse que ma possibilité de parler avec les gens. Hors de la scène, je suis quelqu’un d’assez inhibé et, quand on a un chien, on crée très vite de la relation, de la discussion. Le chien est un super vecteur de rencontres. Dans la ville où j’habite désormais, si je n’avais pas de chien, je n’aurais toujours pas parlé aux gens. Là, sous couvert de randonnée canine, je me suis fait cinq copines ! Je suis folle de randonnée dans les bois et avec lui, je vais dans des endroits où il n’y absolument personne. Seule, j’en serais incapable. Mon chien actuel s’appelle Joke, c’est un Golden Retriever de trois ans. Je ne projette plus du tout les mêmes angoisses sur ce chien-là, ce n’est pas du tout la même relation. Mais j’ai des phases dépressives qui sont inhérentes à mon histoire et il me tient debout. C’est compliqué d’aller mal avec un chien car c’est un être hyper joyeux et je n’ai pas envie de lui entamer sa joie. Les chiens sont de vraies éponges émotionnelles. Ils m’ont prouvé leur sensibilité à plusieurs reprises. Je regarde toujours comment mon chien réagit avec les gens que je rencontre. Un pote m’a fait des sales coups et ma chienne ne l’a jamais aimé. Maintenant, je fais confiance à l’avis de mon chien.”
Marie-Céline, 37 ans, clerc de notaire : “Rocky a toujours eu cette façon d’approuver ou pas les personnes qui m’entourent”
“J’ai deux chiens, des Staffies. Rocky a trois ans et je l’ai pris alors que j’étais dans une relation conflictuelle avec un homme. La relation s’est terminée à partir du moment où j’ai eu mon chien, car cela ne marchait pas du tout entre eux. J’ai une relation très fusionnelle avec Rocky et, dès qu’une nouvelle personne entre dans la maison, il se met entre cette personne et moi. Il faut vraiment que la personne ‘fasse ses preuves’, en quelque sorte, pour que Rocky l’accepte. Il a toujours eu cette position et cette façon d’approuver ou pas les personnes qui m’entourent. J’ai eu des chiens à la maison chez mes parents, mais c’est le premier que j’ai pris seule. J’ai pas mal travaillé en région parisienne, puis je suis revenue en province et dès que j’ai pu, j’ai pris un chien. Il sent les choses et sait quand ça ne va pas, quand je ne suis pas bien. J’ai de l’endométriose et dès que j’ai une crise, avant même d’avoir mal, Rocky se pose sur mon ventre. Mon deuxième chien de la même race, Ulysse, est beaucoup plus jeune et il n’y a pas ce rapport-là entre nous. Il est arrivé dans ma vie à un moment où ça allait mieux, notamment dans mes relations avec les hommes, c’est peut-être pour ça. Et puis j’ai entamé un parcours de PMA en solo et, comme il y avait un manque d’enfant à ce moment-là, je pense que j’ai aussi transféré, comme si c’était mon bébé. Même s’ils sont très différents, mes deux chiens m’apportent de l’apaisement, ainsi qu’une protection ; je vis à la campagne donc je suis bien contente de les avoir. D’ailleurs, c’est connu dans mon lotissement, que je vis seule mais que j’ai deux chiens protecteurs.”
Marie, 43 ans, infirmière : “Mon chien me répare, il muscle mon cœur”
“Mon chien s’appelle Bambou, c’est un croisé Beauceron et Border Collie, il a 3 ans. Quand j’étais enfant, il y avait des chiens chez mes parents, notamment une chienne qui est arrivée quand je suis née et avec laquelle j’ai grandi. Puis, ma vie a fait que je n’ai pas pu prendre de chiens pendant assez longtemps, car je n’étais pas assez posée ou que j’étais avec des compagnons qui n’aimaient pas spécialement les chiens. Et puis je me suis acheté une maison à la campagne il y a trois ans, dans le Gard, et les conditions pour prendre un chien étaient enfin réunies. Depuis, il m’apporte un amour total, mais aussi du mouvement. Depuis que je l’ai, je suis tout le temps dehors. Le matin, je me lève, je vais dans la garrigue derrière chez moi et je marche. Le soir, quand je rentre du travail, pareil. Avant je me posais, je m’enfermais, je ne sortais presque jamais, sauf pour faire une balade avec mon fils. Cela a un impact hyper positif sur ma santé mentale. J’habite dans un petit village où il ne se passe pas grand-chose et avant d’avoir le chien, je ne connaissais personne. Sortir de façon régulière aux mêmes horaires permet de créer des relations avec des gens qu’on n’aurait jamais connus autrement. Mon chien me répare, il muscle mon coeur. Je n’ai jamais été heureuse en couple et, si le couple peut être pour certaines personnes un cadre sécurisant et agréable, moi je n’ai pas du tout connu ça. Pour moi, être seule, c’est le confort. C’est être bien, être libre. Mon chien, même si ce n’est pas pareil qu’un homme, m’apporte une relation affective, nourrissante, soutenante au quotidien dans ma vie. Je n’ai jamais connu ça avec les humains, même si j’ai un fils que j’aime infiniment. Mais je me retiens parfois de l’aimer car je ne veux pas l’étouffer, je ne veux pas être une mère qui prend toute la place. Avec le chien, je peux ouvrir les vannes.“
Nathalie, 58 ans, propriétaire d’un magasin de chaussures : “Je dis souvent que j’ai un chien féministe”
“Avec ma fille Mélisande, nous avons Luna depuis six ans. Elle a désormais huit ans, on l’a trouvée dans un refuge, elle y avait été placée après la mort de sa maîtresse. Ma fille a eu quelques problèmes de santé à l’adolescence et avoir son petit chien lui a fait énormément de bien. Cela lui a permis de ne pas rester tout le temps centrée sur elle-même et aussi d’avoir la responsabilité d’un être vivant. D’un point de vue thérapeutique, ça a été extraordinaire. Son beau-père a accompagné ma fille au refuge et au début, Luna était terrorisée par mon conjoint et mon fils, car elle avait vécu avec cette vieille dame et n’avait pas vu beaucoup d’êtres masculins. Elle n’a plus peur des hommes désormais, mais continue d’avoir une nette préférence pour les femmes, au point que je dise souvent que j’ai un chien féministe. (Rires.) C’est un chien qui a apporté énormément d’amour, de lien et de bien-être à tout le monde dans la famille. Je pense que tous les chiens sont magiques, mais Luna est calme, fusionnelle, tendre et facile. C’est un bâtard, on pense que c’est peut-être un croisement entre un Border Collie et un Épagneul. Depuis que mon compagnon est parti, elle m’apporte toute la tendresse du monde dont j’ai besoin. Comme je suis en déconstruction féministe, je ne ressens plus l’injonction à faire couple et j’ai à mes côtés un être vivant qui m’aime de façon inconditionnelle, qui vient se coucher contre moi, qui m’apporte une présence, une chaleur. Ce n’est clairement pas la même chose, certes, mais c’est quand même très beau. Et c’est désintéressé. Que je prenne du poids, que je ne me maquille pas, que je sois habillée de guenilles, ça ne fait aucune différence. C’est très gai, cette fidélité et cette loyauté. Le livre d’Ovidie m’a beaucoup parlé. De la même manière que l’on surévalue le lien d’amour entre hétérosexuel·les, et qu’on ne donne pas assez d’importance au lien amical, l’amour qu’on partage avec un chien est aussi quelque chose de sublime.
Assise, debout, couchée !, d’Ovidie (JC Lattès), 234 pages, 18,90 euros
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