Qu’en dira-t-on si, vêtue d’une culotte-short que j’ai fait faire, j’écarte les jambes sur l’affiche de mon concert?
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À cette question que je ne me suis pas posée, on me répond bien des choses.
On me dit qu’une fille ne doit pas écarter les jambes. On me dit qu’une fille mérite le viol quand elle porte cette tenue et adopte cette position. On me dit que c’est bien dommage d’être manipulée de la sorte, d’en arriver là juste pour faire le buzz et vendre plus. On me dit que c’est déplorable, choquant et honteux d’être femme et de participer consciemment au jeu d’une société qui consiste à la réduire à un vulgaire objet de désir.
Derrière ce “on”, il y a “elles”, surtout. D’autres femmes, d’autres histoires, d’autres parcours. Mais le même corps, le même héritage.
Derrière ce “on”, pendant longtemps, il y avait moi.
“Je me suis inconsciemment conformée à une façon d’être femme qui me semblait la norme.”
Tel un “je” déguisé, ce pronom indéfini suppléait mon opinion, la façonnait, la gouvernait. Soucieuse de savoir ce qu’on en dirait si je faisais telle ou telle chose, je ne me risquais pas à franchir les contours rassurants d’un ensemble de conventions que l’on décrypte enfant.
Alors je me suis inconsciemment conformée à une façon d’être femme qui me semblait la norme. J’en ai respecté les codes, je les ai même si bien absorbés que je les ai cru miens. Mais à l’âge où l’on devient femme, pendant ces années où l’on se voit éclore, mon corps est resté celui d’une petite fille, telle une fleur qui ne s’épanouit pas. Pourquoi?
Cette question-là, à laquelle mon corps me confrontait soudain violemment, je me la suis posée beaucoup. Je n’avais pas le choix, il fallait comprendre, c’était devenu vital pour ne plus faner.
La quête fut longue, obscure, et je ne savais ni où elle commençait, ni où elle me guidait. Elle m’obligeait à remettre en cause des fondements qui jusqu’ici incarnaient un repère, et m’assuraient d’une place légitime dans le monde. Mais que fait-on d’une place dans laquelle on ne parvient pas à rentrer?
“Pourquoi, pour asseoir sa crédibilité et son intelligence, doit-elle cacher ce corps, sinon quoi, on la pensera frivole et soumise?”
D’abord timidement puis de plus en plus fort, je suis allée regarder ce qu’il y avait de l’autre côté, après les barrières qu’on dresse. “On”.
Enivrée par une liberté nouvelle, comme une enfant curieuse et naïve, je les ai soudain vues petites, dangereuses, surtout pas légitimes. Et toutes, absolument toutes, sont tombées.
Pourquoi donc une femme qui fait de son corps ce qu’elle veut et assume ses désirs peut-elle se faire insulter? Pourquoi sa liberté à prononcer cela serait-elle une entrave à la liberté d’autrui? Pourquoi pense-t-on qu’elle n’est pas maîtresse de ses choix quand elle porte des vêtements qui laissent entrevoir son corps? Pourquoi, pour asseoir sa crédibilité et son intelligence, doit-elle cacher ce corps, sinon quoi, on la pensera frivole et soumise? Pourquoi ces choix qui n’appartiennent qu’à elle dérangent-ils si fort?
À cette dernière question, je dois ajouter pourquoi ces choix qui n’appartiennent qu’à elle dérangent-ils si fort d’autres femmes surtout? Que cela remue-t-il? Que cela bouscule-t-il? Que cela raconte-t-il?
En déconstruisant ces murs longtemps invisibles, j’ai accouché de la femme que j’étais. La féminité enfin est venue m’habiter, me combler, me réjouir. Ma féminité. Quelque chose de profondément intérieur qui se passe entre soi et soi-même, entre la petite fille aux désirs purs et spontanés qu’on délaisse sur le bas-côté quand on s’en va apprendre consciencieusement les mœurs qui nous gouvernent, et celle qui se souvient des années après, d’un rapport simple et libre au monde qu’elle a terriblement perdu.
Le chemin est encore long, et chacun·e doit faire le sien. En écrivant ce texte, il me semble que j’avance sur le mien, et que la question qui doit guider comme une veilleuse la façon dont on mène sa vie, n’est pas “Qu’en dira-t-on?” ni “Qu’en diront-elles?” mais plutôt “Qu’en dirait-elle, cette petite fille insouciante, si on ne l’avait pas finalement exaucée?”
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