Avec sa plateforme en ligne La Voyageuse, Christina Boixière propose de mettre en contact les globe-trotteuses avec des “hébergeuses” de confiance. Comme un J’irai dormir chez vous version sororité. Rencontre avec celle pour qui le voyage est gage d’empowerment.
“Les femmes courent dans l’espace public des risques auxquels ne sont pas exposés les hommes, dans leur pays et pas seulement”, affirme Phumzile Mlambo‑Ngcuka, la directrice exécutive d’ONU Femmes, dans un récent article du New York Times sur les voyageuses solitaires. Christina Boixière le sait bien: cela fait 17 ans que cette chaleureuse trentenaire traverse le monde en solo. Pour éviter à ses consoeurs les galères qu’elle a pu connaître, la Bordelaise d’origine taïwanaise a créé La Voyageuse, une plateforme d’hébergement 100 % féminine.
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“Les voyages, c’est la vie que l’on fait, le destin qu’on refait”, chante Barbara. Difficile de mieux résumer la philosophie de Christina Boixière. Cette polyglotte diplômée en industries créatives a longtemps vécu à Taiwan. Elle a finalement pris le large pour s’émanciper d’une société trop conservatrice. “La tradition exige des femmes asiatiques de trouver un mari et les incite peu à penser leur carrière”, se souvient celle qui, à l’aube de sa vingtaine, s’est envolée deux semaines en Thaïlande sans prévenir ses parents. “J’ai commencé à voyager pour montrer que je n’avais pas besoin d’un homme pour vivre”, explique la jeune femme. Londres, l’Italie, l’Islande, la Toscane: d’un pays à l’autre, la routarde domine ses peurs et s’initie aux coutumes locales. Si elle dort chez l’habitant·e lors de ces escales planifiées au minimum, il lui arrive de ne pas trouver de toit et de se reposer à la belle étoile. À l’écouter, son tourisme à elle est spirituel: “J’ignorais que j’étais si courageuse! Ce que l’on apprend en voyageant nous surprend nous-mêmes.”
“La présence d’une autre femme est rassurante. La solidarité féminine est une force.”
Cette liberté n’exclut cependant pas les mauvaises rencontres, des relous qui s’étonnent “qu’une femme voyage sans son copain” aux mecs plus malveillants qu’elle doit fuir en pleine nuit. “Je n’ai pas envie de revivre ça et surtout, que d’autres subissent ça”, soupire notre interlocutrice qui, forte de cette expérience, a déserté un CDI afin de se consacrer à fond “à un projet qui aide les femmes”: La Voyageuse. Un espace sécurisé où interagissent voyageuses et hébergeuses, idéal pour encourager celles qui ont trop peur que leur trip se termine comme Into The Wild.
“Une femme doit pouvoir voyager comme un homme”
Sur le site de La Voyageuse, les globe-trotteuses souscrivent à un abonnement annuel de 119 euros afin d’accéder à la liste des hébergeuses et connaître leurs disponibilités. Christina Boixière leur recommande de faire connaissance avant une rencontre IRL. Pour être hébergeuse, il suffit de créer son profil, télécharger sa carte d’identité, attendre la vérification du staff et exprimer ses aspirations lors d’un entretien téléphonique. D’une grande fiabilité, ce suivi corrige les travers de services comme Airbnb, trop impersonnels aux yeux de l’instigatrice. Elle-même a eu l’occasion d’accueillir 70 personnes à Taiwan, en Angleterre, en France. Certaines, dépressives, cherchaient juste une oreille attentive. C’est là l’idée de ce réseau: chaque voyage en solo se raconte par les histoires que l’on partage tous ensemble.
© La Voyageuse
En tant que Taïwanaise, Christina Boixière sait que le regard étranger est dur à apprivoiser. “Les gens pensent que nous sommes toutes timides et hypocrites, à sourire en permanence”, rit-elle. Rencontrer l’autre permet de balayer ces clichés. Un face-à-face que l’entrepreneuse place sous le signe de la sororité. “La présence d’une autre femme est rassurante. La solidarité féminine est une force”, se réjouit-elle, désireuse d’ériger sa plateforme en “véritable communauté” où les liens qui se tissent sont faits pour durer. Et ça marche: le site dénombre pas moins de 400 hébergeuses. Elles ont entre 20 et 65 ans, vivent seules, en couple, en famille, sont citoyennes de longue date ou bien expatriées. Par leur bienveillance, elles portent sur elles ce défi humaniste: “Une femme doit pouvoir voyager comme un homme.”
“Voyager en solo, c’est révolutionnaire”
Aujourd’hui, l’itinérante veut transgresser les frontières et collaborer avec des associations afin “de promouvoir les droits des femmes dans le monde entier”. Car pour certaines, le voyage n’a rien d’un prétendu caprice. “Il y a des pays où les femmes ne peuvent pas sortir de chez elles sans la permission de leur mari. Alors voyager en solo, c’est révolutionnaire!” décoche-t-elle. Bien que pensée “par une femme, pour les femmes”, son initiative n’a rien de sexiste. Au contraire, à travers le voyage s’exprime l’aspiration à plus d’égalités des genres. Pas juste un loisir, mais un droit, une vision du monde, une utopie. Celle qui compte bientôt s’envoler pour Cracovie conclut du bout des lèvres: “Si les femmes ne se sentaient pas en danger, La Voyageuse n’aurait aucune raison d’exister… Et j’espère que dans 10 ans elle n’existera plus!”
Clément Arbrun
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