Vous en connaissez beaucoup vous des Banksy au féminin? A priori, non. Le street art est un domaine où les hommes ont su tirer la couverture médiatique à eux, mais en vérité, les femmes n’ont rien à leur envier, EMA la première. Rencontre.
Hormis le prix de leurs oeuvres, les femmes qui graffent, peignent, collent et font du pochoir depuis des lustres n’ont pas à jalouser leurs homologues masculins. La preuve avec EMA, pionnière du graffiti en France, qui déteste plus que tout être qualifiée de “femme street artist”. Rencontre avec une fille déterminée qui cache sa timidité derrière beaucoup de spontanéité.
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Pionnière
A l’état civil, elle s’appelle Florence Blanchard. Quand elle peint, elle signe de son blaze : EMA. Cette artiste française est ce qu’on peut appeler une pionnière, une défricheuse. Les débuts dans le graffiti datent de son adolescence à Montpellier, sa ville natale, à une époque où les filles n’étaient pas légion dans un milieu dominé par des mâles. Le graff était alors considéré par les autorités et le grand public comme une activité de vandales. Le moteur de cette brune à lunettes n’a jamais été l’adrénaline. Bien sûr, elle a pris sa dose comme tous ceux qui ont peint des murs illégaux ou des trains dans des entrepôts. Difficile pourtant d’imaginer cette jeune femme au look presque sage et à l’aspect gracile en tenue de combat, bombe en mains, en train de s’attaquer à une rame de la RATP. Aujourd’hui, l’artiste ne veut pas être réduite à cette appellation de street artist. “Je ne définis pas ma pratique comme du street art. Je suis juste une artiste qui utilise plusieurs médias, dont la rue”.
Goutte à goutte
© Florence Blanchard
Précisément, la rue. Ses dropmen ont investi les murs du monde entier : des personnages aux visages inspirés de l’esthétique rockabilly aux corps en forme de goutte. Titulaire d’un doctorat de génétique moléculaire à l’université de New York, l’ancienne biologiste se consacre désormais à la peinture mais reste marquée par cet univers. “Je m’inspire de mon expérience en tant que chercheur pour créer des œuvres teintées de science-fiction, explique-t-elle. Pour certains projets, c’est plus évident que d’autres (…) Les gouttes sont des personnages imaginaires d’un univers parallèle qui tombent sur la ville.” Los Angeles, Francfort, Bruxelles, Paris… Elle en a collé des centaines au gré de ses passages, jamais au hasard, toujours dans un environnement choisi. Ce travail dans la rue “permet de contrebalancer toutes ces heures enfermées dans mon atelier” et de toucher un public plus large et plus varié que les habitués des galeries, comme avec le graffiti des débuts.
Et il y a ce lieu tellement underground : “Une énorme station de métro sans bruit, ni courant d’air un peu à la Blade Runner.”
The Underberlly Project
En 2010, elle vit encore à New York. Elle est contactée pour participer à The Underbelly Project, un projet artistique d’une ampleur hors normes. Il s’agit de descendre dans une station de métro abandonnée et de poser une pièce sur les murs délabrés. Le tout dans des conditions à risque. Objectif? Créer une galerie d’art souterraine et éphémère. Revenir aux fondamentaux du street art. Initier un acte poétique, gratuit, loin des contingences du marché de l’art. L’idée vient des deux artistes américains Workhorse et PAC. Certes, “le tunnel de métro est un passage obligatoire quand tu fais du graffiti” mais la dimension exceptionnelle du projet compte. Et il y a ce lieu tellement underground : “Une énorme station de métro sans bruit, ni courant d’air un peu à la Blade Runner. Il faisait très froid et très sombre quand j’y suis allée”. Descendue avec deux autres artistes et deux accompagnateurs, EMA a réalisé sa pièce en une demi-heure. Autant dire qu’elle n’a pas traîné. Elle est la seule Française à avoir participé à la version new-yorkaise. The Underbelly a ensuite été décliné dans d’autres villes notamment à Paris en 2011.
NYC-Paris
“A New York, je contactais directement les personnes et les institutions avec qui j’avais envie de travailler”. Habituée à la décontraction américaine, le retour à Paris a été difficle à certains égards : il faut être dans les réseaux ou introduit par quelqu’un. En clair, pour exposer, mieux vaut figurer sur la liste des invités. “S’il est plus dur d’attirer l’attention de la presse à New York, il y a beaucoup plus d’opportunités de collaborations avec d’autres artistes, ou d’expos dans toutes sortes de lieux”. Aujourd’hui, EMA vit en Angleterre où elle “retrouve un peu l’effervescence” de Big Apple. Cette fois, les dropmen partent à la conquête des rues de Londres.
Servane Philippe
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