Horrifiée mais “pas étonnée” par les révélations concernant la Ligue du LOL, la journaliste engagée Alice Coffin a accepté de se prêter au jeu des 3 questions et de nous livrer son point de vue sur l’affaire. On a parlé discrimination, journalisme et féminisme.
Journaliste féministe hyperactive, Alice Coffin multiplie les engagements militants. Après avoir cofondé l’Association des journalistes LGBT (AJL) en 2013 en réaction au débat lié au mariage pour tous, elle a créé la Conférence européenne lesbienne trois ans plus tard avec sa compagne. “Je suis la directrice média, ou ‘Dykerector media’”, s’amuse la quadragénaire, “dyke” signifiant “gouine” en anglais. Toujours en 2016, elle a participé au lancement de Lesbiennes d’Intérêt Général, un fonds de dotation dédié aux projets menés par et pour des lesbiennes.
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À cela s’ajoute son activisme dans le groupe féministe La Barbe -très cher à son cœur- et dans l’association Les Dégommeuses, qui promeut le foot féminin et lutte contre le sexisme, les LGBT-phobies et toutes les discriminations. “L’engagement militant, la sororité et la solidarité représentent pour moi une question de survie, explique la journaliste, anciennement en charge des médias chez 20 Minutes. L’activisme est un moyen de gagner en puissance et d’agir face au monde tel qu’il est, dont la dernière semaine est un témoignage supplémentaire.”
Alice Coffin fait allusion à l’affaire dite de La ligue du LOL (LDL), qui secoue les médias et la twittosphère depuis les révélations de Libération, le 8 février dernier. Si découvrir que des journalistes et publicitaires parisiens se sont adonnés au cyberharcèlement de nombreuses personnes -dont majoritairement des femmes- est encore dur à encaisser pour beaucoup, la quadragénaire voit les choses différemment. “Depuis #MeToo, je me demande tous les jours comment c’est possible qu’il n’y ait pas de nouvelles révélations qui sortent, raconte la journaliste. La Ligue du LOL m’horrifie, mais je ne suis pas étonnée: on baigne dans cette ambiance discriminante au quotidien.”
À ton sens, de quoi la Ligue du LOL est-elle le symptôme?
Je pense qu’elle témoigne d’une société dans laquelle une catégorie de la population est dominante et discrimine les autres. C’est très concret dans le journalisme. Je le constate avec La Barbe: on fait beaucoup d’actions chez les médias, et à quasi toutes les réunions, il n’y a que des hommes. C’est extrêmement problématique car tu ne racontes pas les informations de la même manière si tu es un homme blanc hétérosexuel que si tu es une femme féministe et lesbienne par exemple.
“En écartant les journalistes féministes et issu·e·s des minorités, on restreint les points de vue alors que la diversité est nécessaire au bon exercice de la profession.”
D’ailleurs, ce que l’on voit avec la ligue du LOL, c’est la possibilité de prendre des places auxquelles d’autres n’auront jamais accès par la suite. On peut lire dans les témoignages des victimes qu’elles n’ont plus postulé à certains postes car elles savaient que leurs anciens harceleurs étaient présents dans ces rédactions. Ça renvoie à l’élimination de toute une partie des journalistes, qui a des conséquences dramatiques sur la manière dont le métier se fait. En écartant les journalistes féministes et issu·e·s des minorités, on restreint les points de vue alors que la diversité est nécessaire au bon exercice de la profession.
Dans ses excuses, Vincent Glad, journaliste à Libération et cofondateur de la LDL, reconnaît que son groupe a “fait taire […] les premières paroles féministes”. Ça fait sens pour toi?
Oui, très clairement. À la fin des années 2000, parallèlement à cette génération de journalistes visibles sur les réseaux sociaux, il y avait celle des journalistes féministes et issu·e·s des minorités. Je pense que ce n’est pas une coïncidence que, près de dix ans plus tard, les hommes blancs hétéronormés de la Ligue du LOL soient en poste dans des médias traditionnels -donc plus audibles- alors que, de leur côté, les journalistes féministes et issu·e·s des minorités ont dû exercer leur travail via des chemins de traverse. Ils et elles ont fait des podcasts, ont créé des médias, des associations de journalistes -à l’instar de l’AJL et de Prenons la une, dont je fais partie – ou, comme moi, se font financer des enquêtes par des associations et des bourses. Cette alternative, c’est notre puissance. Elle nous a permis d’installer d’autres forces, de trouver de nouvelles manières de raconter l’actualité, mais cela interroge: pourquoi les médias qui se sont saisis des réseaux sociaux et du numérique ne se sont pas également emparés des questions du féminisme alors qu’elles sont aussi hyper importantes et ont donné #MeToo?
Dans ce contexte, c’est compliqué d’être journaliste et féministe?
Quel que soit le secteur, c’est difficile d’être féministe de manière très ouverte et déclarative. Je ne compte plus le nombre de fois où quelqu’un m’a dit: “Bon, Alice tu vas trouver ça sexiste, mais” avant de sortir une ineptie. C’est permanent. On peut considérer que c’est “uniquement” lourd, mais en réalité c’est aussi très inhibiteur. Ça créée des situations de violences alors que l’on porte un discours qui devrait être endossé par ses confrères et ses consœurs. Par ailleurs, ces comportements m’ont souvent donné la sensation de passer pour une personne focalisée. Toute proposition de sujet lesbien ou féministe était interprétée et verbalisée par des remarques telles que “Oh, encore Alice et son féminisme!”, ou “Alice Coffin, le féminisme c’est son dada”, alors qu’on ne reprochera pas à un journaliste sportif de proposer des sujets s’inscrivant dans son domaine, ni d’être extrêmement précis lorsqu’il parle d’une de ses disciplines ou clubs favoris. Au contraire, cela passe pour de l’expertise. Les thématiques féministes sont tout aussi légitimes: elles font partie du travail journalistique. Passer à côté, c’est mal faire son boulot.
Propos recueillis par Floriane Valdayron
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