Un service de VTC par et pour les femmes? C’est ce que nous propose Kolett, projet ovniesque au sein du monde peu paritaire des chauffeurs. À seulement quarante ans, sa fière cofondatrice Valérie Furcajg réécrit le système Uber en y imposant ses convictions.
“C’est dingue que l’on parle de ‘concept’ à propos de Kolett!” Le rire est un peu jaune. À l’autre bout du fil, Valérie Furcajg s’amuse: “C’est comme si nous avions proposé un service révolutionnaire d’intelligence artificielle à bord. Mais on n’a pas inventé l’eau chaude!” En effet, aucune tech’ futuriste chez Kolett. Depuis septembre 2018, ce service de VTC autoproclamé “par et pour les femmes” investit les routes d’Île-de-France en assumant plein gaz une posture salutaire: valoriser le travail féminin au sein d’une société “ubérisée” qui, comme l’indique notre interlocutrice, “ne dénombre que 5% de chauffeures”. Mais aussi garantir un transport sécurisé. Un idéal devenu réalité: d’une quarantaine il y a six mois, Kolett dénombre désormais 150 pilotes.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Pas de victimisation”
“Je ne veux pas faire dans le catastrophisme ou la victimisation”, précise d’emblée l’autodidacte d’une voix légère. Pour cause, après 12 années passées dans le milieu de l’audit’, cette entrepreneuse joviale a l’habitude d’anticiper les risques, pas de les fabuler. Une nuance nécessaire pour saisir les intentions de ce service qui, disponible en app’ sur votre smartphone, vise à sécuriser les virées nocturnes d’une clientèle majoritairement féminine en offrant la possibilité de faire appel à une chauffeure -et non un chauffeur.
Celles qui choisissent Kolett ont pu vivre de mauvaises expériences par le passé et savent que le confort d’un trajet ne dépend pas simplement du moelleux des sièges.
Ancienne chauffeure elle-même, sa cofondatrice garde à l’esprit les témoignages de ses amies clientes, affligées par les petites remarques sexistes de certains cadors du volant ou l’attitude relou d’autres qui, après le trajet, envoient quelques SMS malvenus ou proposent d’aller boire un verre (pour les plus gentlemen). Alors que les cas d’agressions sexuelles sont loin d’être un mythe au sein du monde des VTC -outre-atlantique, on en dénombrerait pas moins de 170 entre 2012 et 2015 selon TV5 Monde-, notre interlocutrice consacre ses efforts à “ce delta qui s’étend du fait de siffler quelqu’un au fait de l’agresser”. Une attitude qu’une simple alternative ne suffira pas à éradiquer. “Nous ne faisons pas dans l’éducation, mais dans la prévention”, souligne Valérie Furcajg. Celles qui choisissent Kolett ont pu vivre de mauvaises expériences par le passé et savent que le confort d’un trajet ne dépend pas simplement du moelleux des sièges.
“Je désire simplement adapter les choses pour faciliter la vie de tout le monde, quitte à mettre les pieds dans le plat”, ajoute Valérie Furcajg. Ce “tout le monde”, ce ne sont pas juste les usager·e·s mais celles qui tiennent le volant. Kolett valorise les chauffeures avec un grand “e” au sein d’un marché qui en manque cruellement. Elles sont mères de famille, d’un âge parfois avancé, jonglent les soirs et les week-ends entre courses à l’autre bout de la capitale et enfants. L’appli au nom d’écrivaine porte leur voix. “Nous partons du principe qu’un service est bon lorsque les hommes et les femmes y participent, affirme l’entrepreneuse, soucieuse de l’égalité des sexes, fière de ce projet qu’elle dit “mixte” et de son désir premier: “créer un réseau de femmes”. Loin d’être excluant -un homme peut très bien commander une voiture-, le service donne le feu vert à la création d’emplois dans un secteur faible en parité. Aux côtés des start-up Women Drive et Femme au volant, Valérie Furcajg creuse un sillon. Se tenant à distance de l’agitation de Twitter et Facebook, elle ne peut cependant pas s’empêcher de remarquer certaines réactions outrées. À ce sujet, elle ironise: “C’est comme si l’on avait une idée précise de l’endroit où une femme doit être et rester et que l’on se scandalisait à la voir en sortir…”
“On bouscule la façon de voir les choses”
Pour Valérie Furcajg, Kolett est un véritable “virage entrepreneurial”. Dans son ancienne vie, cette femme d’affaires occupait un poste d’auditrice interne avec un emploi du temps musclé. Un rythme athlétique avec deux enfants. “C’est un monde qui fait travailler des femmes mais ne leur est pas du tout adapté” précise-t-elle. Plutôt que de baisser les bras, elle s’est donc décidée à “laisser parler [sa] conception de la société” en investissant “un milieu d’hommes testostéronés, histoire d’en faire quelque chose”.
Résultat, six mois après son démarrage, son entreprise assure cinquante courses par jour hors week-ends, à raison de neuf euros minimum par trajet. Un prix plus élevé que les autres services, mais une commission moins lourde à reverser pour les conductrices. Bien sûr, des réglages restent à faire. Très demandées, les chauffeures ne peuvent pas répondre aussi vite qu’un concurrent de chez Kapten. Mais les clientes mécontentes ont droit à un bon de réduction. Et la réalité du terrain ne peut au fond pas grand-chose face à l’éthique de sa cocréatrice, qui affirme: “Face à Uber, Kolett est peanuts. Mais on avance avec nos valeurs.”
À contresens du patriarcat
L’an passé, Uber faisait justement crisser des dents au gré de campagnes de pub à la ramasse, opposant le chauffeur forcément “chef d’entreprise” à la chauffeure “maman avant tout”. Notre interlocutrice, elle, navigue sur un terrain bien moins balisé. Polyvalente, elle se sent capable “d’être cadre tout comme de travailler dans un resto” et “ne revendique pas le titre de working girl comme un Graal!”. Voiture ou pas, son quotidien est fait de compromis entre vie perso et pro, nuits agitées et planning à respecter le lendemain matin. Un équilibre qu’elle maintient tout en fuyant les anglicismes de la start up nation. L’un d’eux lui sied pourtant bien: empowerment. “Si un dispositif n’existe pas, on ne peut pas nous reprocher de le créer. La place des femmes n’est pas dévolue dans ce marché? Alors, on va la chercher et on bouscule la façon de voir les choses!”, décoche-t-elle.
“Nous avons été éduquées au sein d’une société patriarcale et de ses clichés qui ne correspondent plus du tout à notre époque.”
Son futur, Kolett l’envisage le long des ruelles européennes. Lorsque le business model sera plus solide, sa cofondatrice espère l’exporter en Espagne, en Italie ou encore en Suisse. Histoire d’aller à contresens de l’imaginaire viriliste de l’automobile et de ses adages rances -comme le fameux “femme au volant, mort au tournant”- en encourageant les entrepreneuses indépendantes à s’imposer. Une initiative inclusive à l’heure où des sociétés comme Uber font encore la sourde oreille face aux situations de harcèlement. “Nous avons été éduquées au sein d’une société patriarcale et de ses clichés qui ne correspondent plus du tout à notre époque”, assure cette start-uppeuse qui constate avec amertume que “l’on fait tout un vacarme quand il s’agit de rajouter un “e” aux mots”. Alors, longue vie aux chauffeur·e·s!
Clément Arbrun
{"type":"Banniere-Basse"}