L’humoriste revient sur les planches du Théâtre du Gymnase pour son second spectacle, Tropique du Panda. Au travers de son expérience avec une kinésiologue, Kee-Yoon parle avec justesse et drôlerie de féminisme, de consentement et d’acceptation de soi.
Le spectacle qu’on vient de voir n’aurait jamais dû exister. Ou plutôt, il n’est pas celui que Kee-Yoon avait prévu d’écrire. En juin dernier, l’ex-avocate -que Cheek avait rencontrée à l’aube de sa nouvelle carrière d’humoriste- achève la tournée de son premier seule-en-scène Jaune Bonbon. Une fois l’été passé, Kee-Yoon Kim entame l’écriture du second. “Je voulais raconter ce qui m’était arrivé ces trois dernières années, depuis mon changement de vie”, rembobine-t-elle dans un café du 10ème arrondissement de Paris, à quelques mètres de chez elle. Revirement de situation au mois de décembre. Pour ses 37 ans, une “amie géniale” lui offre une séance chez une kinésiologue, sorte de “psy qui parle avec votre corps”, explique l’humoriste sur la scène du Théâtre du Gymnase. En une heure et demie de séance et seulement trois phrases prononcées, la thérapeute met le doigt sur ce qui suit l’humoriste franco-coréenne depuis son plus jeune âge et lui lâche: “Vous êtes un homme dans un corps de femme.” Une phrase qui bouleverse Kee-Yoon: celle qui ne versait jamais une larme “pleure pendant cinq jours”, et réécrit son spectacle en dix.
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“Je pensais avoir toujours fait en sorte de faire comme les garçons. Mais là, on me dit que, dans ma tête, je suis un garçon. Que je suis dans le déni de mon corps de femme. C’est un peu tendu quand même!”, raconte-t-elle le sourire aux lèvres, armée de son regard franc. Sur scène, lors de la première, l’émotion est palpable lorsque Kee-Yoon répète lentement les mots de la kinésiologue. Seulement quatre mois après ce “déclic” (“mon corps a changé”, nous confie-t-elle), Kee-Yoon partage sans fausse pudeur cet épisode marquant et le transforme en matière à sketch. “L’humour, c’est pas juste ce que tu écris, c’est aussi ta personnalité”, revendique-t-elle. De ce point de départ ultra intime, Kee-Yoon tire un spectacle drôle et sincère qui nous embarque dans l’univers de cette trentenaire bien dans son époque. Car au travers de cette séance de kinésiologie, on assiste à l’analyse d’une société en pleine auto-critique.
Affaire Weinstein, “gros cons” et fromage
Six mois après l’affaire Weinstein et la déferlante #MeToo, l’ancienne pénaliste offre une leçon sur le consentement et invoque successivement Hannah Arendt, Denzel Washington et Guy Georges en défense de l’égalité femmes-hommes. Hors de la scène, la signataire de la tribune Maintenant on agit en soutien à la Fondation des Femmes s’émerveille de ce “moment génial”, un autre déclic pour ses amies et elle. “D’un coup, tu te dis, en pensant aux comportements auxquels tu as dû faire face: ‘clairement, c’était lui, le problème’.”. Elle pointe du doigt “l’oppression du système patriarcal”, regrette la difficulté à déconstruire les stéréotypes de genre: “Le vieux mythe de la vierge et de la putain est encore très présent dans les esprits. Et je ne parle pas que des mecs de Fleury-Mérogis!” Et résume sa pensée d’un très cash: “Globalement, j’aimerais juste qu’on foute la paix aux gens.”
En une heure dix de spectacle, Kee-Yoon aborde aussi pêle-mêle Les Accords Toltèques, les “gros cons” incapables de croire une fille drôle, tacle les fillonistes et déclare son amour inconditionnel pour le fromage. Et quand les blagues ne suffisent plus, cette fan de Gaspard Proust et Fabrice Éboué n’hésite pas à faire entendre sa voix en chanson. Accompagnée d’une guitare, l’autrice du remarqué L’Amour avec une brique en 2015 récidive avec trois nouveaux titres parodiques, destinés à réparer la “grande injustice” entre humoristes et chanteuses: “Une chanson, plus tu l’entends, plus tu l’aimes. Alors qu’une vanne, une fois qu’elle t’a fait rire, c’est plus ça…”, glisse-t-elle malicieusement.
Tant pis pour ceux qui ont l’oreille absolue: Kee-Yoon chante mal, l’assume haut et fort et ça fait du bien. “Mon objectif dans la vie n’est pas d’être gentille et polie”, fredonne-t-elle sur les planches du Théâtre du Gymnase. Il y a cinq ans, cette même franchise et sa détermination lui ont permis de changer de vie. Maintenant, elle les use pour son projet de long-métrage, en cours d’écriture avec Fanny Burdino et Mazarine Pingeot. Et déjà, le prochain spectacle traîne dans un coin de la tête. “Peut-être que je parlerai du fait que je suis Sagittaire”, lance-t-elle. Et sûrement qu’elle arriverait même à nous faire rire avec ça.
Elise Koutnouyan
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