Dans In Utero, Julien Blanc-Gras raconte la grossesse de sa femme. L’occasion de sonder l’état d’esprit d’un futur papa trentenaire, mais aussi de se payer une bonne barre de rire.
Jusqu’ici, on connaissait plutôt Julien Blanc-Gras pour ses récits de voyage, dont Touriste ou Paradis (avant liquidation). In Utero, c’est un tout autre périple: en racontant la grossesse de sa femme, l’écrivain et journaliste opère un tour du monde prénatal en 180 pages. S’il n’est pas le premier à prendre la paternité pour sujet d’écriture -d’autres, comme l’écrivain Philippe Jaenada, ou le fondateur du site madmoiZelle.com Fabrice Florent, y ont trouvé matière à accoucher d’un livre et/ou d’un blog-, Julien Blanc-Gras s’adonne à l’exercice avec un humour cash et administre un bon coup de trique à “l’histoire la plus banale du monde”, comme il se plaît à la définir.
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Avec l’ambivalence du type dont le désenchantement naturel est mis à l’épreuve d’un optimisme forcé, Julien Blanc-Gras raconte la vie aux côtés d’une femme enceinte.
Avec l’ambivalence du type dont le désenchantement naturel est mis à l’épreuve d’un optimisme forcé, Julien Blanc-Gras raconte la vie aux côtés d’une femme enceinte. Une créature dont les trous de mémoire abyssaux et l’appétit colossal pour les céréales Smacks sont prétextes à quelques scènes truculentes. Une future maman que l’auteur regarde avec une certaine distance (il l’appelle “La Femme”, ainsi nous appellerons l’auteur “L’Homme” dans l’interview qui suit), mais aussi avec la tendresse et la fascination d’un amoureux transi, sans pourtant jamais verser dans l’eau de rose. Au lendemain d’une très courte nuit, nous avons soumis ce désormais jeune papa à une interview “Couvade littéraire”.
Les deux premiers sentiments éprouvés par L’Homme quand il apprend que La Femme est enceinte sont “l’incrédulité” et “la terreur”. Et le troisième?
La joie, quand même. En fait, l’émotion dominante, c’est la confusion. Tu es submergé par pleins de sentiments différents. Et puis, vu que La Femme était elle aussi dans cet état d’esprit, j’ai ressenti un élan protecteur: l’envie d’assurer et de rassurer.
“Je n’ai pas la prétention d’aider, mais je me suis dit que certains futurs papas pourraient s’identifier.”
À quel moment L’Homme a-t-il décidé que “L’histoire la plus banale du monde” méritait d’être racontée?
J’ai commencé à écrire dès qu’on a su que La Femme était enceinte. Le soir-même, elle est allée se coucher et je me suis mis à écrire, histoire de mettre de l’ordre dans mes idées et de canaliser mes émotions. Au départ, je ne pensais vraiment pas publier ce qui s’apparentait plus à un journal de grossesse personnel. Mais, au bout d’un moment, j’ai eu de la matière et je me suis persuadé que cette histoire intime était finalement aussi un peu universelle. Par ailleurs, je me suis rendu compte que ça n’avait pas été trop raconté en littérature du point de vue des futurs pères.
C’est à eux que tu as voulu t’adresser, finalement?
J’ai d’abord pensé à un document que mon enfant pourrait lire dans quelques années. En me demandant s’il allait aimer, s’il trouverait ça chelou… Et puis, bien sûr, on ne peut pas s’empêcher d’imaginer les lecteurs potentiels. Je n’ai pas la prétention d’aider, mais je me suis dit que certains futurs papas pourraient s’identifier. À mon sens, ce que je traversais était assez commun, la plupart des mecs de ma génération passent par ce genre d’angoisses et de questionnements.
L’écrivain étant un être assez égocentrique, raconter la grossesse de sa compagne n’est-il pas aussi un moyen de tirer la couverture à soi?
Je n’y avais pas pensé, c’est possible… En fait, la vérité, c’est que, comme je n’ai pas trop d’imagination, mes livres ont toujours une résonance autobiographique! (Rires.) Je raconte les trucs à peu près intéressants qui se passent dans ma vie et, l’an dernier, c’était ça.
“Je crois qu’il y a un pourcentage effarant de couples qui se séparent après l’arrivée de l’enfant.”
Combien de temps la gestation a-t-elle duré?
Mon plan, c’était de commencer le jour de la grossesse, et de finir au moment de l’accouchement. Et puis finalement, j’ai terminé quasiment un an après. J’ai voulu étoffer, pour ne pas que ça raconte juste notre histoire, mais pour la mettre en perspective. Je me suis servi de mes voyages pour appréhender les différentes conceptions de la maternité à travers le monde. Et je me suis documenté pour savoir comment la maternité était perçue selon les époques. Donc, au final, écrire un livre prend plus de temps que de faire un enfant. Il faut dire qu’au cours de la première année de paternité, tu as quand même vachement moins de temps pour toi. (Sourire éreinté.)
Dans le livre, tu fais le vœu pieux de partager les tâches à égalité avec La Femme. Au quotidien, ça se passe comment?
Très bien, il me semble qu’on parvient à trouver un équilibre satisfaisant. Je crois qu’il y a un pourcentage effarant de couples qui se séparent après l’arrivée de l’enfant; nous, on a passé le cap de la première année, c’est déjà pas mal! (Rires.)
Pendant la grossesse de La Femme, L’Homme s’est retrouvé confronté à plein de termes barbares, comme “turbulette”, “bouchon muqueux” ou “épisiotomie”. En tant qu’écrivain, L’Homme y a-t-il trouvé une certaine poésie?
Poésie, je n’irais pas jusque-là, mais un matériel burlesque en tout cas, c’est certain. Rien que le terme “bouchon muqueux”, c’est assez rigolo, ça permet d’amener un peu d’humour dans le texte.
“Évidemment, tu as la trouille que L’Enfant ne soit pas en bonne santé, que la grossesse n’arrive pas au bout… Et qu’un jour, il soit adolescent et qu’il vende du crack en volant des scooters.”
L’Homme écrit: “La femme a pris 20 grammes et elle s’enduit de crème anti-vergetures.” Avant d’être un futur papa, L’Homme avait-il conscience de la pression exercée sur le corps de La Femme pour rester mince?
Le conditionnement social sur les femmes et leur ligne, je connais ça par cœur vu que j’ai travaillé en presse féminine. Mais en ce qui concerne mon expérience personnelle, La Femme n’est pas obnubilée par ça -peut-être parce qu’elle a une physionomie de libellule. Elle a évoqué le truc, mais ça ne l’a pas trop névrosée. Je sais que certaines femmes sont absolument terrorisées par le fait de ne pas retrouver leur ligne après une grossesse. Alors que, de mon point de vue d’homme, ce n’est pas si important que ça.
Pendant la grossesse, L’homme indique que La Femme se goinfre de Smacks. L’Homme a-t-il aussi observé un changement de régime alimentaire?
Je craignais la couvade, mais il s’avère qu’au bout de neuf mois je n’ai pas pris de poids, et je n’ai pas perdu mes cheveux. En fait, ma couvade, c’est mon livre. Mon stress est passé là-dedans. Car j’ai vraiment alterné les phases d’euphorie et les phases de stress. Il me semble que les futurs pères passent par ces différentes phases avec plus ou moins d’intensité. C’est normal, c’est un tel saut dans l’inconnu. Mais rester zen, c’est aussi une des trajectoires narratives du bouquin. Une fois que tu as enclenché le processus de mettre un être au monde, l’optimisme devient presque une obligation. Il faut faire en sorte d’être positif, sinon ça pèse sur ta progéniture. Parce qu’évidemment, tu as la trouille que L’Enfant ne soit pas en bonne santé, que la grossesse n’arrive pas au bout… Et qu’un jour, il soit adolescent et qu’il vende du crack en volant des scooters. (Rires.)
L’Homme angoissait aussi beaucoup d’être privé de sa liberté, de ne plus pouvoir voyager…
C’est vrai, et en réalité, je le fais encore sans problème. Le seul truc, c’est que je ne pars plus pendant trois mois, mais plutôt trois semaines. Je n’ai pas envie de rentrer et qu’un jour L’Enfant se mette à m’appeler “monsieur”. Et puis, au bout de quelques jours, mon fils me manque, j’ai envie de le voir.
“À huit mois et demi, d’un point de vue pratique, il y a clairement des trucs acrobatiques que tu peux moins faire.”
L’Homme l’avoue, avant de connaître le sexe de son bébé, il n’a pu s’empêcher de penser à son futur “fils”. Pourquoi?
Alors là, je l’admets, j’ai été étonné par ma propre misogynie. Je me suis rendu compte que je préférais avoir un petit garçon et je me suis demandé pourquoi. Il y a évidemment le truc de l’identification, mais pas seulement. Il me semble que le monde est plus compliqué pour les femmes, plus injuste. C’est quand même beaucoup plus galère à pleins de niveaux, et notamment professionnel. C’est peut-être pour ça que j’ai tout de suite voulu avoir un garçon, car évidemment je suis loin d’être misogyne.
L’Homme explique dans son livre que le sexe pendant la grossesse est bénéfique à l’enfant. Mais la grossesse pendant le sexe est-elle bénéfique à la vie de couple?
À huit mois et demi, d’un point de vue pratique, il y a clairement des trucs acrobatiques que tu peux moins faire. Mais pour nous, il y a quand même eu du désir du début à la fin. J’ai entendu des histoires de nanas et de mecs qui n’avaient plus du tout de libido pendant la grossesse, ou au contraire des femmes qui, poussées par leurs hormones, étaient complètement à fond. Dans notre cas, c’était plutôt stable, il n’y avait presque rien à signaler.
L’Homme étant un grand voyageur, combien d’étoiles donne-t-il à ce voyage-là sur Trip Advisor?
Je vais mettre la note maximum, quand même. Même si ce n’est pas toujours très “confortable”, c’est une expérience de vie incomparable. C’est mieux que le Taj Mahal!
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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