À 22 ans, Julie Bourges a le corps brûlé à 40%. Pourtant, elle a un mental d’acier et un rire communicatif. Sur Instagram, elle véhicule un message body positive. Rencontre avec une personnalité hors normes.
Le rendez-vous est donné porte de Versailles, près de son hôtel. Un quartier parisien désert, surtout pour boire un café un vendredi matin. Mais rien n’arrête Julie Bourges. Elle s’est réveillée à 4 heures, a pris l’avion de Nice et n’a même pas eu le temps de poser ses valises. Pourtant, elle déboule au rencard sémillante. Elle a de faux airs de Blake Lively: de longs cheveux blonds décoiffés, des grands yeux bleus, une silhouette élancée à peine dissimulée sous une robe rayée. Elle est athlétique, ça se voit. “Hyper” à l’aise, elle ponctue ses phrases de superlatifs et tutoie les inconnus. Ce vendredi-là, Paris est une étuve et, Julie Bourges, un vent de fraîcheur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Originaire de Nice, elle est dans le coin pour le week-end. Véritable star d’Instagram, elle a libéré une heure dans son planning, géré par son agent, pour nous rencontrer. Suivie par 187 000 abonnés sur Instagram, Julie Bourges doit répondre à des centaines de commentaires tous les jours, publier des photos, lire ses mails, faire le tri entre les demandes d’interviews de journalistes et de partenariats avec les marques. Entre toutes ces tâches, elle doit aussi partager des moments avec Mélanie, sa meilleure amie, son “chéri” dont elle taira le prénom et sa famille. À 22 ans, Julie Bourges est, en somme, une influenceuse comme les autres. Ou presque.
Le premier jour du reste de sa vie
2013. Julie Bourges a 16 ans. Elle rêve d’entrer dans une école de commerce, comme son papa, participe à des compétitions de gymnastique dans lesquelles elle excelle. Elle est “jolie et fine, [a] un certain ego, à la limite du narcissisme”, se souvient la jeune femme. Elle plaît à ses copains, sort tous les soirs avec ses copines: “J’étais une lycéenne type, qui ne pensait pas trop à son avenir et qui se complaisait dans sa routine.” Une vie banale, rythmée par les événements du lycée. Comme ce carnaval, organisé le 12 février. Elle s’est confectionné un costume de mouton avec des morceaux de coton et du scotch double-face. Elle fume une dernière cigarette avant de rentrer à la maison. Puis son déguisement s’enflamme, puis elle, puis, c’est le trou noir. Julie Bourges se réveille trois mois plus tard, bandée de la tête aux pieds, dans un lit d’hôpital. Pendant ces longues journées, son père lui parle, lui caresse les mains, sa mère, les pieds, “les seuls endroits qui ne sont pas bandés”. Elle sait pour son accident, n’a pas conscience du temps qui passe, encore moins de la gravité de ce qui lui est arrivé. Son corps est brûlé à 40%, elle est ce que les médecins appellent “une grande brûlée”.
Au réveil, les psychologues et psychiatres se relaient à son chevet, lui expliquent ce qu’elle a, pourquoi elle est bandée, ce que les médecins lui ont fait. Mais elle n’a pas de téléphone et aucun moyen de se voir. “Le jour venu je me suis effondrée, je ne me suis pas reconnue”, se rappelle Julie Bourges. Son reflet l’effraie. Elle est amaigrie, complètement chauve, boursoufflée, rouge, “on ne voyait que mes yeux, mais même eux étaient devenus ternes. J’étais un fantôme”. Elle balaie son histoire qu’elle a déjà racontée des “milliers” de fois. À Thierry Demaizière dans Sept à Huit, à Frédéric Lopez dans Milles et une vies. “Oui”, elle a fait une dépression, “oui”, elle craque encore parfois. Mais “non”, elle n’a jamais renoncé: “Je n’ai pas le choix, ma peau ne sera plus jamais comme la tienne, alors il faut que je l’accepte.”
Positive attitude
Julie Bourges est ce genre de femme qui a toujours le sourire, même quand elle raconte quelque chose de triste. Ses bras, son cou, son décolleté sont couverts de cicatrices. Certaines plus visibles que d’autres. Mais elle ne cherche pas à les dissimuler. Dans sa robe longue, fines bretelles, elle déambule dans la rue, fière. Sa confiance, elle la doit d’abord à sa famille qui a “plus souffert qu’elle”, sa mère, devant qui elle se retenait de pleurer. Sa meilleure amie, Mélanie, avec qui elle a osé remettre un short pour la première fois et dévoiler ainsi la partie de son corps dont elle était “hyper” complexée: ses jambes. Elles ont même un tatouage en commun. Elle, une flamme, Mélanie, une goutte d’eau. Puis il y a son “chéri”, qui l’a toujours connue “comme ça”, qui la rassure: “Il me dit que mes cicatrices sont comme des tatouages, qu’elles font parties de moi, de mon histoire.” Il y a aussi le sport, qui l’a “sauvée”. Se remuscler après son accident lui a permis de s’aimer et s’accepter un peu plus. Certes, il y a les cicatrices, mais il y a aussi les abdos, le ventre plat, “les jolies formes”. “Mais avant de se mettre au sport pour changer son corps, il faut d’abord l’aimer tel qu’il est”, conseille celle qui se rêve coach.
Surtout, Julie Bourges doit sa reconstruction mentale à Instagram. Deux ans après son accident, elle s’inscrit sur le réseau social. Son pseudonyme: @douzefevrier, en référence à son accident et pour que son entourage ne la retrouve pas. Elle avait besoin de se confier. Elle justifie: “J’ai fait le pari risqué que ça puisse m’aider dans ma reconstruction. Je me suis dit ‘au point où tu en es, tu ne pourras pas tomber plus bas’.” Sur sa première photo, elle plante le décor, raconte son histoire. Complexée par l’aspect de son cou, de ses jambes, elle finit par poster des photos de son corps, et reçoit des commentaires “de folie”. Alors elle continue. Julie Bourges s’empare du mouvement body positive, montre ses cicatrices à qui veut bien les voir. Elle fait “le buzz”, inspire aussi bien les hommes que les femmes, complexé.e.s par leurs petits défauts, leur handicap, leurs différences. “Certaines me disent: ‘Toi tu as des cicatrices et tu les montres, moi j’ai des vergetures et je n’ose pas me mettre en short!’ Mais chacun son complexe, chacun son combat. Il n’y en a pas de plus petits que d’autres”, assure la star d’Instagram.
Aujourd’hui, Julie Bourges ne sent plus le poids des regards “même s’ils existent”. Porter un short sur les plages cannoises, défiler en maillot de bain au salon de la lingerie de Paris… Elle n’a plus peur, veut être un exemple. D’ailleurs, elle l’assure, si on lui proposait des opérations pour enlever ses cicatrices, elle refuserait. Elles sont son identité. “Cet accident m’a détruite, mais il a révélé un nouveau moi. Il y a un monde entre la fille que j’étais à 16 ans et la femme que je suis aujourd’hui.” Julie Bourges n’a pas peur des clichés. Elle se compare volontiers à un phénix. Parce que comme cet oiseau fantastique, elle renaît de ses cendres. D’ailleurs, il y en a un “posé” sur son épaule gauche: “Je ne le vois pas, mais il veille sur moi.” Aujourd’hui, le corps de Julie Bourges est cicatrisé, son coeur aussi.
Fanny Plateau
{"type":"Banniere-Basse"}