A Paris, des associations démontrent que l’éveil des consciences passe aussi par le sport. C’est le cas des endurantes Joggouines, coureuses que vous pourrez apercevoir le dimanche du côté de Pantin.
Les Joggouines. C’est le genre de jeux de mots qui fichent un peu la honte. Marielle s’en excuse presque, puis ironise: “c’est tout simplement un jogging entre potes gouines, ça pourrait etre dans le dico!”. La jeune militante est l’un des membres les plus actives de ce club de course à pied adressé aux lesbiennes de tout âge ou milieu social. Depuis janvier 2018, cette association sportive parcourt les rues franciliennes. Une lutte endurante à l’heure où les violences à caractère homophobe secouent la capitale.
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“Réapprendre à se faire plaisir”
A l’origine du projet, l’envie d’évasion. C’est à Front Runners, un club de course à pied lesbien, trans et gay friendly qu’Alex, Anaelle, Sylvie, Marie et Claire se sont rencontrées. Au fil des courses, elles se familiarisent avec le milieu du sport LGBT et apprennent à mieux se connaître. Mais peu à peu se profile un désir collectif: proposer un espace moins compétitif que l’institution parisienne. Un jour, les coureuses découvrent l’existence des Soccer Grannies, ces femmes sud-africaines qui pratiquent le football afin de défendre leurs droits. Conscientes que le ballon rond est suffisamment fédérateur pour unir celles que l’on ignore, elles décident d’adapter ce mantra à leur hobbie: ainsi naissent les Joggouines, collectif de “meufs queer qui aiment courir”. Pas de feuille ni de frais d’inscription. L’organisation s’effectue vingt quatre heures à l’avance sur Slack et l’événement est relayé sur Twitter, Facebook et MeetUp. Rendez vous est donné chaque dimanche au métro Porte de Pantin, 17h – l’horaire varie en fonction des saisons. Durant une bonne heure, une petite quinzaine de coureuses usent leurs semelles tout au long du canal de l’Ourcq et sillonnent les quelques kilomètres qui séparent l’esplanade de la Villette de Bobigny. Après un aller-retour sur le canal, rare est la course qui ne s’achève pas autour d’une bière ou d’un verre de vin.
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Au gré des enjambées l’on croise aussi bien des étudiantes de vingt ans que des retraitées, des habituées du running et d’autres qui courent en jeans. Aspirant à faire venir “les nanas qui ne fréquentent pas les cercles sportifs” dixit Marie, les Joggouines se destinent à celles qui “recherchent un endroit pour réapprendre à se faire plaisir”. Sans cheffe attitrée -elles se passent le relais selon les entrainements- ces sportives ignorent les sponsors et les records de vitesse. La liberté l’emporte sur l’esprit de compétition, ce culte de la performance qui selon Marie “peut engendrer des complexes”. Fière de proposer “un rendez-vous pour les gouines qui veulent rencontrer d’autres gouines et s’assument comme telles”, la sportive avoue pourtant que cette insulte l’interroge un peu. Se la réapproprier lui plaît mais l’inquiète. De son aveu, elle craint que “le terme excite l’adversaire, déjà virulent”.
“Il y a une sorte d’homophobie d’état”
L’adversaire, c’est celui qui transparaît chaque semaine au fil des tweets édifiants d’agressé·e·s aux visages tuméfiés. Mais pour Marielle la haine n’est pas qu’une histoire de mauvaises rencontres. La joggeuse déplore “une sorte d’homophobie d’état”. Elle ne cache pas sa colère face à “cette politique gouvernementale qui refuse la PMA alors que les vies lesbiennes sont de plus en plus visibles et médiatisées”. Indignée par les récentes analogies de Laurent Wauquiez entre procréation médicalement assistée et eugénisme, elle redoute que des mois de débats supplémentaires “laissent largement le temps aux homophobes pour déballer leur discours”. C’est dans ce climat tendu que les Joggouines sortent les minorités des vestiaires. Chaque dimanche, par petites foulées, le militantisme lesbien rappelle sa présence aux yeux des passants. “L’idée est de prendre ces corps opprimés pour les faire s’épanouir dans un espace totalement safe” précise Claire, persuadée que l’esprit d’équipe est une forme d’empowerment.
“Les Joggouines ce n’est pas un dogme!”
Mais comme l’indique Marie sourire à l’appui, l’orientation sexuelle des sportives n’est évidemment jamais checkée à l’entrée. Les convictions que les coureuses traînent derrière elles dépassent l’entresoi. “Les Joggouines ce n’est pas un dogme!” décoche Claire,“mais une zone de liberté où viennent celles qui pensent faire douze kilos de trop, être trop maigres, ou trop poilues pour courir en short”. A la fois club sportif et espace de discute où “les nanas peuvent draguer” dixit Marielle, les Joggouines incitent à s’accepter comme lesbienne pour mieux s’accepter tout court, entièrement. “C’est comme un double coming out!” s’amusent les sportives. Nos hôtes y voient là la force de la course à pied, un sport dynamique et indémodable, mais surtout accessible à toutes. “Il suffit juste de chausser ses baskets et de sortir dans la rue!” approuve Claire.
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La course comme refuge
Dans ces rues justement, les femmes qui courent sont de plus en plus nombreuses, mais les machos toujours aussi tenaces. “Tu n’es jamais à l’abri des réflexions quand tu cours seule” témoigne Marie, qui déplore l’aspect des fringues sportswear non mixtes qu’on lui propose dans le commerce. Des baskets rose flashy et des jogging moulants qui démontrent “le contrôle du corps des femmes par les hommes”. Elle soupire, puis rit: “Peut-être que les Joggouines devraient lancer une collection?”. En attendant, elle se réjouit de la dominance féminine du club à l’heure où “les organisateurs de ce type d’initiatives sont le plus souvent des mecs”.
Aujourd’hui, c’est un autre idéal vers lequel les sportives sprintent: accueillir des réfugiées dans leurs rangs. La course pourrait être un lieu d’écoute pour ces anonymes en situation d’urgence, soumises à d’interminables démarches administratives. Les coureuses ont déjà fait part du projet lors des réunions de Lesbian Beyond The Borders, un réseau de solidarité s’occupant de ces réfugiées souvent menacées dans leur pays d’origine à cause de leur orientation sexuelle. “Cela exigerait de lever plein de barrières, entre la question matérielle, la langue et la condition physique, face à des corps éreintées, fatigués par leur situation sociale” détaille Claire. A l’heure actuelle, les joggeuses croisent les doigts dans l’attente d’une réponse. Plus que leurs sessions du dimanche, elles savent que cette avancée-là sera laborieuse. Mais la course n’est pas terminée.
Clément Arbrun
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