Autrice, poétesse, humoriste… Jo Güstin diffuse avec flegme son engagement féministe intersectionnel dans l’ensemble de ses récits. Rencontre avec une autrice multi-casquettes.
Avec 9 Histoires Lumineuses où le bien est le mal, recueil de nouvelles publié en 2017 chez Présence Africaine, Jo Güstin nous confrontait à l’horreur et aux ravages du racisme social tout en gardant une pointe d’humour et d’ironie. Avec son deuxième roman, Ah Sissi, il faut souffrir pour être française! sorti en 2019, elle exposait la difficulté de vivre dans l’Hexagone lorsqu’on est une femme non-blanche. Aujourd’hui, avec Contes et légendes du Queeristan, série de podcasts diffusée depuis le déconfinement, elle se plonge dans le conte philosophique queer non-érotique, à même de nous faire rêver.
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Avec également plusieurs spectacles de stand-up à son actif et une société de production en cours de développement, on peut dire que Jo Güstin ne manque pas d’inventivité lorsqu’il s’agit de monter un projet créatif. Passionnée d’écriture depuis le plus jeune âge, elle conte, à travers ces différents médiums, son expérience de femme noire queer partagée entre deux pays -le Cameroun et la France-, et consciente de la nécessité de mettre en lumière les récits de celles et ceux que l’on n’entend pas.
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De Douala à Paris
Tout commence à l’âge de 15 ans, lorsque les parents de Jo décident de l’envoyer en France pour poursuivre des études scientifiques. Dès son arrivée, le choc des cultures et le regard de l’autre forgent progressivement la personnalité de la jeune fille qui se réfugie alors dans l’écriture: “J’ai grandi en pays colonisé. Cette pression, ce complexe du fait de ne pas être blanche ni européenne me faisait mal. Pour moi, c’est une forme d’intériorisation de la négrophobie. Et quand tu arrives à 15 ans en France, c’est d’autant plus violent. Tu te construis à travers le regard de l’autre”, introduit la jeune femme de 33 ans. Ne voulant pas décevoir ses parents qui projetaient sur elle une carrière dans l’ingénierie, elle accepte après une période de négociation de poursuivre des études d’économie et de publicité à HEC. Mais une fois encore, l’écart entre elle et “les autres” se creuse, et la difficulté d’être une femme noire africaine dans un microcosme blanc bourgeois parisien se transforme en un véritable poids: “Même si tu essayes d’être la parfaite française, tu ne le seras jamais, car tu es née noire et c’est ce que j’essaye de faire comprendre à travers mes histoires”, dit-elle avec virulence.
L’écriture comme arme politique
Après plusieurs missions effectuées aux quatre coins du monde dans le secteur du marketing et de la publicité et une dernière expérience traumatique en Allemagne en 2014 chez Citroën, elle décide de se lancer pleinement dans l’écriture, de retour à Douala, en quête d’une nouvelle existence. De cette période naîtra un premier recueil de nouvelles, 9 Histoires Lumineuses où le bien est le mal, dans lequel l’autrice parvient à donner dans le récit politique questionnant les violences raciales, tout en gardant une forme de légèreté: “Je n’écris pas à partir d’un message ou d’une revendication politique. Ça, ça vient tout seul. Comme l’aspect humour. Ça fait déjà partie de mon identité, donc quel que soit ce que j’écris, je peux être sûre que ce sera à la fois drôle et politique”, s’exclame l’autrice. Avec son deuxième opus, Ah Sissi il faut souffrir pour être française!, publié en 2019, l’intention est tout autre. Ici, le récit se resserre sur un personnage, Sissi B. Lama, sorte de double de Jo Güstin exposant avec force la difficulté d’être une femme non-blanche dans un pays comme la France. Dans cet ouvrage polymorphe, les formes et les registres s’entremêlent, transportant les lecteurs/trices vers de nouveaux chemins de réflexion. “Être française à plein temps quand on n’est pas blanche est une gageure exigeante: lundi, il faut râler parce que quand même, c’est lundi; mardi, il faut être la personnalité préférée des Français·e·s; mercredi il faut se désolidariser de l’Islam; jeudi, il faut remporter un tournoi international; vendredi il faut décrocher un Prix Nobel… car à la moindre déconvenue on se fait immanquablement rappeler d’où l’on vient”, peut-on lire en quatrième de couverture.
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Contes et Légendes du Queeristan
Aujourd’hui, c’est sur le terrain de la création sonore que s’aventure Jö Gustin. Avec le podcast Contes et Légendes du Queeristan, imaginé pendant la période du confinement, son objectif est d’éveiller les consciences en douceur, en proposant des contes queer pour adulte récités par l’autrice elle-même: “J’ai pensé à toutes ces personnes qui adoraient déjà s’endormir en m’écoutant lire des passages du manuscrit que j’étais en train d’écrire, explique Jo Güstin. Je ne sais pas du tout ce que je vais écrire quand je commence à écrire un conte, je pars du titre d’une histoire célèbre, je le reformule à la sauce décoloniale et féministe du Queeristan, et je me mets à écrire en n’ayant aucune idée du message que je vais délivrer: un message antispéciste comme dans Les Traoré-Ponce? Un message contre l’âgisme et pour l’amour de soi comme dans La Belle et la belle? Un message panafricaniste anti-milliardaires comme dans Aly Baba et les 40 milliardaires ou Jacques et le haricot sapphique?” Jamais à court d’idées, Jo Güstin a visiblement l’embarras du choix.
Aphélandra Siassia
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