Alors que le saut à skis est au programme pour ces messieurs depuis les premiers Jeux olympiques d’hiver, sa version féminine fait tout juste son entrée à Sotchi. Mais où était passé le saut à skis féminin pendant les 90 dernières années?
Chamonix, 1924, les hommes s’affrontent en saut à skis lors des Jeux olympiques. Sotchi, 11 février 2014, les femmes vont enfin pouvoir faire de même, après s’être vu refuser l’entrée au programme olympique lors des précédents jeux à Vancouver en 2010. Entre temps, les trois premières saisons de Coupe du monde et les trois premiers Championnats du monde senior et junior ont démontré que la discipline y a toute sa place. Mais pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps pour voir des femmes pratiquer le saut à skis à haut niveau? La réponse, consternante, est toujours la même: parce que les femmes n’étaient, à l’origine, pas les bienvenues dans le sport de haut niveau tout court. Et particulièrement pas aux JO. “Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte”, pouvait-on lire dans le compte-rendu officiel des Jeux de Stockholm en 1912, validé par Pierre de Coubertin lui-même.
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Une sombre histoire de pression sur l’utérus
Les sports les plus dangereux, parmi lesquels compte le saut à skis, ont été parmi les derniers à se féminiser. “Le saut à skis féminin était quelque chose de très anecdotique avant 2004. Cette pratique concernait une dizaine de filles dans le monde et le niveau était très bas”, confirme Éric Monnin, maître de conférences à l’université de Franche-Comté et auteur de De Chamonix à Sotchi. Un siècle d’olympisme en hiver. Et pour cause, on affirmait encore à l’époque que cette pratique faisait peser des risques sur la santé et la fertilité des femmes. Une sombre histoire de pression sur l’utérus… Heureusement, on a établi depuis que cet argument ne survit pas à une analyse médicale sérieuse.
“Les sports qui s’ouvrent aux femmes au haut niveau, comme le saut à skis féminin, sont une aubaine pour les nations qui veulent gagner plus de médailles, pour devenir ou redevenir des puissances sportives.”
Les balbutiements du saut à ski féminin remontent à 1995. Les instances du ski nordique ont voulu faire un état des lieux en rassemblant au Canada les filles qui le pratiquaient. Positivement surprises par les résultats, quelques nations, dont la France, l’Autriche et l’Allemagne, ont alors décidé de se lancer. Il aura encore fallu attendre des années avant d’attirer suffisamment d’entraîneurs et de concurrentes pour voir le niveau augmenter significativement. Et donc attirer encore plus d’entraîneurs et de concurrentes, synonymes d’une nouvelle hausse de niveau.
Une aubaine pour remporter des médailles
Entre temps, d’autres pays sont entrés dans la course, pour des raisons politiques plutôt que par intérêt pour l’égalité hommes-femmes, précise Eric Monnin: “Les sports qui s’ouvrent aux femmes au haut niveau, comme le saut à skis féminin, sont une aubaine pour les nations qui veulent gagner plus de médailles, pour devenir ou redevenir des puissances sportives. Elles investissent dans ces disciplines qui sont plus ouvertes, d’autant qu’elles ont déjà les structures créées pour les hommes.”. Ainsi, la Russie ou encore la Slovénie présentent chacune aujourd’hui une cinquantaine de prétendantes au haut niveau, contre cinq ou six en France.
Après la boxe aux JO de Londres en 2012, c’est un nouveau bastion du sexisme qui tombe dans le sport olympique.
En 2009, une quinzaine de pratiquantes avaient essayé d’obtenir de la justice l’inclusion du saut à skis féminin dans le programme des Jeux de Vancouver, mais elles avaient été déboutées par la Cour suprême du Canada, qui estimait que seul le Comité international olympique (CIO) avait le pouvoir de décider du programme des JO. Le CIO estimait alors le nombre de participantes trop faible et les différences de niveau trop importantes. Les athlètes sont depuis parvenues à le faire changer d’avis.
La chute d’un bastion du sexisme
Après la boxe aux JO de Londres en 2012, c’est un nouveau bastion du sexisme qui tombe dans le sport olympique. Restent le combiné nordique (saut à skis + ski de fond) qui semble voué à suivre un jour le même parcours que son petit frère, et… la natation synchronisée, toujours réservée aux femmes, pendant les JO. Verra-t-on pour autant un jour des équipes masculines ou mixtes s’affronter dans les piscines? Peut-être pas. Pour Éric Monnin, alors qu’on cherche à faire de la place dans le programme olympique d’été pour des sports qui parlent au monde entier, la natation synchronisée est plutôt vouée à faire sa sortie. Une autre façon de marcher vers la parité olympique.
Raphaëlle Peltier
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