Propulsée au sommet des charts grâce à son premier album, Jain revient avec Souldier, toujours seule aux commandes d’une pop métissée. Rencontre avec une jeune femme déterminée, qui choisit d’affronter les épreuves (sexisme, rupture amoureuse, doutes…) avec un sourire mutin.
On aurait tort de prendre Jain pour une jeune fille sage en col Claudine, téléguidée par une équipe marketing pour plaire à toutes les générations. Son succès (qui lui attire quelques jalousies), elle le doit à elle-même, et il suffit de la voir en concert pour le comprendre. Impossible de la rater depuis la sortie fin 2015 de son premier album, Zanaka: elle a enchaîné les tournées pour un total de plus de deux cents concerts en deux ans. Seule sur scène, elle impressionne par son aplomb, son organisation multitâche pour tout faire en solo et son charisme. Alors que beaucoup de chanteuses se seraient lassées d’interpréter en boucle le même répertoire pendant si longtemps, cette Toulousaine continue de s’amuser avec une joie contagieuse et de réinventer ses morceaux pour refuser la routine.
Cette autodidacte vient de sortir fin août un deuxième album pétillant, Souldier, qu’elle a imaginé et fabriqué sur la route. “Avec les technologies d’aujourd’hui, on peut vraiment enregistrer n’importe où, explique-t-elle. J’aimais bien cette façon d’écrire un peu nomade et je crois que ça se ressent sur l’album. Le trajet, le voyage, ça m’a toujours inspirée.”
Auto-consolation
Parmi les modèles qu’elle revendique, on remarque un grand nombre d’artistes féminines. Elle en dresse la liste non exhaustive: “Miriam Makeba évidemment, Oumou Sangaré, Nina Simone, Janis Joplin, Björk et en France, Emilie Simon”. Elle en vient naturellement à son rapport au féminisme: “Ça a fait partie très tôt de ma famille, sans forcément qu’on y mette un mot. J’ai grandi dans une famille de filles à fort caractère, donc c’est assez inné d’être féministe chez nous. Toute petite, j’ai pris l’habitude de me faire ma place: j’ai toujours été la seule fille qui jouait au foot avec les voisins, ou qui faisait de la batterie à l’âge de sept ans. Donc ça ne m’étonne pas aujourd’hui de travailler dans un milieu où il y a beaucoup d’hommes, même si j’adorerais qu’il y ait plus de femmes.”
“J’ai l’impression d’avoir dû travailler deux fois plus qu’un homme pour obtenir le même respect des gens ou des médias.”
Si elle parvient à captiver autant de gens, de tranches d’âge et de milieux différents, c’est peut-être grâce à l’ambiance positive et réconfortante de ses chansons. Sur Souldier, elle aborde en vrac une rupture amoureuse, le sentiment d’imposture, ou encore les luttes de pouvoir dans l’industrie de la musique, sans jamais se départir de son ton pétillant. “Quand je compose, je pars souvent de quelque chose qui me rend triste. C’est de l’auto-consolation, une sorte de thérapie. J’ai besoin d’en parler mais je ne peux pas pleurer sur mon sort. Je crois que j’ai toujours eu cette énergie depuis que j’ai commencé. Ça se reflète aussi dans ce que j’aime écouter: des sujets qui peuvent être tristes, mais sur des mélodies très chaleureuses. J’aime bien les contrastes et ça me plaît de mélanger à la fois les styles et les humeurs”.
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Les mains dans le cambouis
Passée du statut de révélation à celui de pop-star, Jain continue de puiser dans des sources venues des quatre coins du monde (funk africain, soul américaine, musique indienne, electro-pop occidentale…) et cet éclectisme lui est parfois reproché. Pourtant, c’est cette liberté qui lui permet d’égratigner des valeurs sexistes profondément ancrées dans la société, en choisissant un message ferme et direct, véhiculé avec optimisme. “La misogynie est tellement présente que certains ne se rendent même pas compte qu’ils viennent de sortir une phrase pas très cool. J’en ai d’ailleurs parlé avec pas mal d’artistes féminines -on a de la chance qu’il y ait de plus en plus d’auteures-compositrices-interprètes. J’ai l’impression d’avoir dû travailler deux fois plus qu’un homme pour obtenir le même respect des gens ou des médias. Quand tu es toute nouvelle, que tu arrives avec ta petite robe à col Claudine, que tu fais des chansons joyeuses, forcément on te prend pour une fille un peu légère. Il a fallu que je fasse comprendre que j’écrivais mes propres chansons, que j’avais une culture musicale, que sur scène j’étais toute seule, comme une grande.”
Désormais vêtue d’une combinaison façon bleu de travail (“Cette fois, j’avais envie de mettre les mains dans le cambouis”, sourit-elle), Jain poursuit sa déclaration d’indépendance et son triomphe apporte dans son sillage un vrai espoir pour les artistes féminines françaises.
Noémie Lecoq