Le legging a débarqué en Iran, au grand bonheur des Iraniennes mais au grand dam des autorités qui, craignant que ce bout de tissu moulant n’allume la mèche d’une contestation populaire, font appel à la répression.
Cet été, un phénomène de mode a déferlé sur Téhéran, séduisant immédiatement les jeunes femmes de la capitale iranienne. Le legging s’est imposé comme l’atout fashion des jeunes perses. Mais cette tendance a été plus que fraîchement accueillie par les autorités. Ce caleçon moulant coupé à la cheville flirterait avec la pornographie: il dessine un peu trop explicitement la silhouette féminine. Pour preuve, 200 magasins qui en vendaient ont été fermés. Le zélé chef de la police de Téhéran s’est même fixé comme objectif de bannir à tout prix ce vêtement “non conforme” à la morale.
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Mais au-delà du look, le legging est, en Iran, bien plus qu’un simple vêtement. Accessoire de mode en Occident, c’est aussi et surtout un outil de contestation en Orient. “Le legging est une forme de protestation, cela fait des années que les jeunes citadines se révoltent contre les diktats vestimentaires, explique Fariba Hachtroudi, militante des droits de l’homme et écrivaine iranienne. Tout ce qui peut avoir le moindre relent contestataire, les jeunes s’en accaparent”, ajoute l’auteure, qui a récemment publié Abysses, un recueil de poèmes politiques et féministes.
Un pied de nez à la police des mœurs
Déjà, lors de son voyage clandestin en Iran en 1985, à l’origine de la parution de son livre l’Exilée, elle avait remarqué que la jeunesse s’emparait de n’importe quel prétexte pour se revendiquer punk. “S’ils portent des jeans, des tee-shirts fluos, des manteaux à tête de mort ou fument des cigarettes, c’est à la fois une manière de contester le régime et de se poser comme anti-mollah”. Elle voit ainsi dans le legging une réaction à l’oppression d’un pays totalitaire et un pied de nez à la police des mœurs. Car, chez les Perses, ce n’est pas le magazine Vogue qui fait la pluie et le beau temps en matière de vêtements, mais cette patrouille qui veille au respect de la bienséance.
Les entorses au code de l’habillement islamique peuvent valoir une amende ou même une peine de dix jours à deux mois de prison.
Bêtes noires de cette brigade du style: maquillage outrancier, couleurs trop vives, mèche de cheveux qui dépasse du tchador national obligatoire et tout ce qui pourrait, de près ou de loin, un peu trop souligner une chute de reins. Des entorses au code de l’habillement islamique qui peuvent valoir une amende ou même une peine de dix jours à deux mois de prison. Les jeunes Iraniennes surprises affublées d’un legging se voient ainsi arrêtées, fichées et obligées de signer un document dans lequel elles jurent de ne plus porter pareille tenue indécente.
Photo publiée sur le mur d’une page Facebook défendant le port du legging
Tout est bon pour mater le peuple
“C’est un bras de fer entre le pouvoir et la société civile qui continuera jusqu’à ce que le régime des mollahs tombe”, ajoute Fariba Hachtroudi pour qui il se joue, à travers la lutte de la jeunesse, une lutte au sommet de l’État. Car l’Iran est un pays jeune: 55% de la population a moins de 30 ans. “Les gardiens de la révolution sont terrorisés par les mouvements populaires et leurs désirs de changements extrêmement puissants. Tout est bon pour mater le peuple”, explique Fariba Hachtroudi.
Cette “leggingmania” ne concerne qu’une infime partie de la population.
Mais cette “leggingmania” ne concerne qu’une infime partie de la population. “S’il est une des expressions sociétales de la jeunesse pour crier son ras-le-bol, cela concerne avant tout la grande bourgeoisie huppée de Téhéran”, remarque Fariba Hachtroudi, auteure également de l’ouvrage Les Femmes iraniennes: vingt-cinq ans d’inquisition islamiste (L’Hydre). Une minorité par rapport à l’ensemble de la population iranienne qui souffre d’une crise économique endémique: le chômage touche 25 à 30% de la population et la moitié des Iraniens vit sous le seuil de pauvreté.
Lancer la “révolution des couleurs”
“C’est une lutte de longue haleine mais on peut espérer des avancées à pas de fourmi”, note l’écrivaine. À l’exemple de la petite-fille de l’ayatollah Khomeyni, le père de la révolution islamique et incarnation du conservatisme religieux qui a dirigé le pays d’une main de fer. Zahra Eshraghi, à des kilomètres de l’image de l’Iranienne religieuse et traditionnelle, a expliqué dans une interview vouloir “briser les tabous”. Elle, qui se dit contre la police des mœurs et souhaite que la loi sur le code vestimentaire soit abrogée, souhaite lancer “la révolution des couleurs”.
Ces dernières années, Zahra Eshraghi a même fait des émules parmi les enfants et petits-enfants de hauts dignitaires.
Il y a vingt ans, elle refusait déjà de porter le tchador, condition d’un voyage officiel en Chine, ce qui l’avait empêchée de partir. Ces dernières années, Zahra Eshraghi a même fait des émules parmi les enfants et petits-enfants de hauts dignitaires. Ces derniers sont de plus en plus nombreux à contester leurs aînés et à rejoindre le camp des démocrates au sein de la société civile. “Le fils de l’ayatollah Sadeq Khalkhali, surnommé ‘le boucher’, a dit avoir honte de son père. C’est un vrai espoir pour l’Iran”, note Fariba Hachtroudi.
L’ayatollah Ali Khamenei: le cerveau de l’Iran
L’élection en juin dernier du président Hassan Rohani, qui s’était exprimé contre la police des mœurs, avait fait espérer un relâchement. “Être chaste va au-delà du port du voile. À mon avis, la chasteté de celui ou de celle qui ne respecte pas le hijab officiel, conforme à notre sensibilité, ne devra pas être remise en cause”, disait-il. Mais la police des mœurs sévit toujours. S’il demandait aux forces de l’ordre de respecter “la dignité humaine”, il conseille tout de même à la jeunesse de respecter “les instructions religieuses et les traditions”.
C’est l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême quasi divin, qui tient toutes les ficelles du pouvoir.
“Hassan Rohani est un réformateur, mais il ne peut pas changer les choses si la loi ne change pas. Sa marge de manœuvre est limitée”, analyse Fariba Hachtroudi. Sans compter que, s’il est le visage de l’Iran, c’est l’ayatollah Ali Khamenei qui en est le cerveau à vie, guide suprême quasi divin qui tient toutes les ficelles du pouvoir et classé 21ème sur la liste des personnes les plus puissantes au monde.
Tout cela pour un pantalon un peu trop ajusté. Les Iraniennes ne sont pas près de voir la couleur d’une mini-jupe.
Céline Hussonois-Alaya
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