Le livre Des intrus en politique s’intéresse à la place occupée par les minorités et minorisées dans le monde politique depuis 1789. Nous avons demandé à l’une de ses deux autrices, Mathilde Larrère, de décrypter cinq stratégies mises en place par les femmes pour exister dans cet univers très masculin.
“Vous pourriez être ma mère.” Le 27 janvier dernier, le député Robin Reda formule cette remarque sexiste à destination de la présidente de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, après l’avoir accusée de tenir des propos “quasi maternels” à son égard. “Renvoyer une femme politique à sa fonction maternelle est un grand classique et un moyen de lui dire qu’elle n’est pas à sa place en dehors du foyer”, explique Mathilde Larrère, maître de conférences en histoire politique du XIXème siècle et chroniqueuse pour Arrêt sur Images. Dans l’ouvrage Des intrus en politique. Femmes et minorités: dominations et résistances, sorti le 25 janvier et coécrit avec la journaliste Aude Lorriaux, l’experte s’intéresse à la place des groupes discriminés -dont font partie les femmes, les racisé·e·s ou encore les homosexuel·le·s- dans le monde politique de 1789 à nos jours. Au fil de l’enquête qu’elles ont menée, les deux autrices ont rencontré quelques-un.e.s de ces exclu·e·s et découvert les stratégies mises en place pour s’adapter à un monde encore trop occupé par les hommes blancs, hétérosexuels et riches.
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Pour Cheek Magazine, Mathilde Larrère a accepté de commenter les tactiques de cinq femmes qui ont adopté des “stratégies en fonction de leur culture du féminisme: universaliste ou différentialiste”. Certaines ont décidé de mettre en avant leurs attributs féminins quand d’autres ont eu à cœur d’être reconnues dans leur profession en tant qu’“hommes politiques comme les autres”. Des comportements qui ont tendance à évoluer dans “certaines situations de fragilité, d’injustice ou lorsqu’elles sont maltraitées”, selon l’autrice.
Najat Vallaud-Belkacem: l’attitude universaliste
“Najat Vallaud-Belkacem nous a raconté qu’au début de sa carrière politique, elle avait du mal à savoir si elle était la cible de critiques parce qu’elle était une jeune femme ou parce qu’elle avait des origines maghrébines. En devenant ministre de l’Éducation nationale, elle a compris qu’il s’agissait de la deuxième supposition. Elle a la sensation de ne pas avoir été particulièrement attaquée sur son genre. Mais il y a une anecdote connue sur laquelle elle est quand même revenue lors de notre entretien: celle du soutien-gorge. Elle a été soupçonnée d’avoir usé de ses charmes et on lui a prêté milles liaisons (Ndlr: une tribune publiée sur Le Point en novembre 2015 et signée par Jean-Paul Brighelli reprochait à la ministre sa “ligne visible de soutif” et son “rouge à lèvre et pendentifs aux oreilles”). Elle a plutôt une attitude universaliste et ne cherche pas à se positionner dans le monde politique en tant que femme.”
“En jouant la carte maternelle, Ségolène Royal a tendu le bâton pour se faire battre.”
Ségolène Royal: la carte “mère de famille”
“Ségolène Royal a une approche plus différentialiste. Elle utilise par exemple la figure rassurante de la mère contre Nicolas Sarkozy lors du débat de l’entre-deux-tours en 2017. (Ndlr: Elle déclare alors “Je veux être au service de la France, avec l’expérience qui est la mienne. Je suis une mère de famille de quatre enfants. J’ai dû concilier cet engagement politique et l’éducation de ma famille.”) Elle utilise la même stratégie en 1992, au moment où elle accepte d’être filmée par une équipe de télévision sur son lit de maternité. Elle vient d’accoucher de son quatrième enfant. En jouant la carte maternelle, elle a tendu le bâton pour se faire battre. On se souvient d’ailleurs de Laurent Fabius qui tient des propos inacceptables et sexistes lorsqu’il demande: “Mais qui va garder les enfants?”, lorsqu’elle annonce sa candidature à l’élection présidentielle de 2012.”
Cécile Duflot: les multiples identités
“Pour Cécile Duflot, c’est plus compliqué. Elle ne cache pas sa féminité mais ne cherche pas à en jouer. La robe qui lui a valu d’être sifflée à l’Assemblée nationale avait été choisie avec soin. Cécile Duflot la trouve sobre et assez longue parce qu’elle arrive en dessous du genou. Elle veut éviter de s’attirer des problèmes, mais le fait qu’elle ne se présente pas en pantalon lui vaut de prendre une grande volée de sexisme de base. Elle a conscience d’avoir plusieurs identités et refuse de s’enfermer dans l’une d’elles. La politicienne brouille par exemple les cartes identitaires en utilisant un style très oral, en appelant un chat un chat pour déstabiliser la personne à qui elle s’adresse. Quand elle sent poindre le sexisme, elle montre qu’une femme peut aussi dire “cul” ou “je m’en branle” et s’en amuser. De l’autre côté, elle n’hésite pas à rappeler qu’elle est catholique. Ça l’empêche de s’enfermer dans une seule identité.”
“Michèle Alliot-Marie est l’une des premières femmes à entrer en pantalon dans l’hémicycle en 1972.”
Michèle Alliot-Marie: l’adaptation à un monde d’hommes
“Michèle Alliot-Marie fait partie d’une autre génération. Elle est plus âgée et se fait une place dans le monde politique alors qu’il est presque exclusivement masculin. Quand elle arrive, elle est seule. Elle est l’une des premières femmes à entrer en pantalon dans l’hémicycle en 1972. La politicienne se fait refuser l’entrée par l’huissier, fait sa bravache et rétorque: “Si c’est le pantalon qui vous gêne, je l’enlève.” Elle décide de se positionner en tant qu’homme politique comme les autres. Mais elle reconnaît également les intérêts d’une approche différentialiste. Lors de notre rencontre, elle nous a surprises en expliquant avoir mis en avant son genre lors de discussions tendues avec des dirigeants d’Amérique du Sud, qui sont surpris de voir une femme à ce poste, qui plus est en robe. Alors qu’ils regardent ses jambes et se déconcentrent, elle continue à parler, jusqu’au moment où elle parvient à décrocher un accord avec ces hommes distraits.”
Marine Le Pen: à la conquête du vote des femmes
“Jusqu’à la dernière présidentielle, Marine Le Pen ne jouait pas du tout la carte féminine. En 2017, l’image de la mère et de la femme libre ont largement fait partie de sa communication politique. Son clip de campagne qui la présente dans un bateau et les cheveux au vent ressemblait à une pub pour Vania Pocket. Sur la photo de son affiche, elle est habillée d’une jupe qui remonte au-dessus du genou. En parallèle, le FN a changé de discours. Ses dirigeants sont par exemple moins critiques sur l’IVG. Marine Le Pen a ainsi tenté de séduire l’électorat féminin pour faire sauter le plafond de verre du premier tour. D’autant plus que, lorsqu’elle aborde le thème de la défense des droits des femmes, c’est pour attaquer l’islam de façon déguisée.”
Propos recueillis par Margot Cherrid
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