À l’orée de la Coupe du monde féminine de football qui se tiendra du 7 juin au 7 juillet dans l’Hexagone, jamais le ballon rond n’a paru aussi accessible aux femmes. Pourtant, l’égal accès au sport préféré des Français·e·s entre les sexes est encore chimérique. Inès Jaurena, joueuse professionnelle, incarne ce combat pour la démocratisation du foot par les femmes, et pour les femmes.
Inès Jaurena n’aime pas qu’on lui demande comment elle a découvert son amour pour le foot. “C’est une question qu’on ne pose jamais aux garçons”, lâche-t-elle, intransigeante. À 28 ans, cette joueuse professionnelle a été sélectionnée plusieurs fois en équipe de France. Depuis six ans, elle est surtout la milieu de terrain du Paris FC (anciennement Juvisy), cinquième équipe au classement de Division 1, l’équivalent féminin de la Ligue 1. Elle fait partie de cette génération qui a dû lutter pour avoir le droit et la légitimité de tâter le ballon rond. La footballeuse bataille aujourd’hui pour la démocratisation du foot féminin. Son combat n’est pas d’être payée autant qu’un homme. Elle sait cette idée utopiste. “On pourrait facilement se dire que les femmes devraient gagner autant d’argent que les hommes dans le football, mais je suis très lucide sur le fait que si les hommes gagnent autant, c’est parce qu’ils génèrent beaucoup d’argent, ce qui n’est pas le cas des footballeuses actuellement”, explique Inès Jaurena. Lucide, elle l’est aussi car c’est la première année où elle n’a pas besoin de travailler, en dehors des entraînements et des compétitions, pour gagner sa vie. Avec un diplôme de journaliste en poche, la francilienne travaillait jusqu’alors à la communication de son club.
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Un premier combat: obtenir le droit de jouer
C’est d’abord par ses performances qu’elle prouve être aussi capable de jouer qu’un garçon. “Depuis toujours je suis engagée pour cette démocratisation en donnant le meilleur de moi-même sur le terrain”, analyse-t-elle. Parce que parvenir à mettre un pied sur le gazon a déjà été une étape à franchir pour elle. À sept ans, Inès Jaurena demande à sa mère de faire du foot. C’est non, elle fera de l’athlétisme. Un an après, elle revient à la charge. L’insistance est telle que sa maman cède. Si dans la famille cela ne pose plus aucun problème, à l’extérieur, c’est différent. “On m’a bien fait comprendre que ce n’était pas normal pour une fille de jouer au foot”, explique-t-elle. “On”, ce sont les amis des parents, les copains d’école, ou les adversaires. De huit à 14 ans, elle évoluera dans l’équipe mixte de Saint-Maur, où elle est la seule fille. Inès Jaurena intègre en sports études le centre national de Clairefontaine, jusqu’à ses 17 ans, avant de partir pour quatre ans aux États-Unis, dans l’équipe californienne Florida State. Autour de la vingtaine, la joueuse comprend qu’elle peut rêver d’une carrière professionnelle: les clubs commencent à proposer des contrats aux femmes. Un titre de championne d’Europe de football féminin des moins de 19 ans en poche, le mal du pays la fait revenir en France définitivement en décembre 2012, où elle intègre l’équipe d’Issy-les-Moulineaux pour la fin de saison avant de signer avec Juvisy à l’été 2013.
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Un engagement dans le monde amateur
Déchaînée sur le terrain, aventurière dans la vie, sa force provient de sa volonté à garder “un pied dans la réalité”. Plongée dans le sport de haut niveau, la joueuse n’a jamais complètement quitté le monde amateur. D’abord auprès des plus petits. Son club organise des interventions dans les écoles primaires. “Le but est de montrer qu’il y a des femmes professionnelles dans le foot, explique-t-elle, car on est invisibles à leurs yeux. Ils voient des garçons, ils voient des stars comme Neymar ou Cristiano Ronaldo.” Mais pas elles. Et dans leur comportement, ça se voit. “Ils ont huit ans, et les préjugés sont déjà là, déplore-t-elle, certaines petites filles nous disent parfois: on aimerait jouer mais les garçons nous disent qu’on n’a pas le droit.” Inès Jaurena s’engage à déconstruire les idées reçues au nom du foot pour tou·te·s, en répondant aux questions sur leur quotidien, sur les entraînements, sur les stades dans lesquels elles jouent et sur les autres équipes existantes. Et pour les filles dont les yeux brillent en voyant un ballon, “on est là pour leur dire qu’elles peuvent atteindre notre niveau, faire mieux même car elles auront commencé avant certaines d’entre nous, et évolueront dans de meilleures structures”, explique la footballeuse. Engagée, elle l’est aussi auprès des plus âgées. Inès Jaurena est la co-fondatrice d’une section féminine dans un club du 20ème arrondissement de Paris. Tout part de la nouvelle lubie de sa soeur en 2015, qui s’est mis en tête de faire un nouveau sport avec ses copines. La professionnelle est partante pour les entraîner, alors ce sera du foot. Le hasard fait que le club des Panamboyz cherchait à créer une équipe de femmes. Il devient le Panamboyz and Girlz, avec désormais deux équipes féminines et une quinzaine de candidates refusées par manque de place lors de la dernière rentrée. La soeur d’Inès Jaurena a quitté l’équipe. Cette dernière, elle, est restée.
La joueuse coache ces sportives depuis quatre ans, une chance inédite alors que les clubs développent tout juste leur équipe féminine. “Dans cet univers où le foot n’est qu’un loisir, il y a une notion de plaisir et non de performance que j’aime, que j’aurais peut-être pu oublier en étant seulement dans le compétitif”, décrit Inès Jaurena. Elle a vu ces femmes faire des progrès et pour certaines se prendre de passion pour ce sport qu’elle chérit tant. Aujourd’hui, elle leur donne une légitimité et se bat auprès d’elles pour être respectées par leurs pairs masculins, qui ont, pour certains, encore du mal à ne pas empiéter sur leur terrain lors de leur unique heure d’entraînement hebdomadaire. La bataille est encore longue.
Clémentine Billé
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