À Saint-Denis, l’association Ikambere accueille et accompagne les femmes migrantes atteintes du VIH. Seule structure d’Ile-de-France à offrir ce service, elle reçoit des femmes originaires d’une vingtaine de pays, d’Afrique subsaharienne en majorité, et leur offre soutien moral, activités et accompagnement administratif.
Denise*, jean et t-shirt gris, est assise sur une chaise, son sac à main serré sur les genoux. La jeune femme de 27 ans raconte comment elle a débarqué du Cameroun, il y a six mois, après être passée par la Turquie, la Grèce, puis l’Allemagne. À son arrivée en France, le 115 l’envoie à l’hôpital. C’est là que la nouvelle tombe: Denise est atteinte du VIH. Le simple fait de l’évoquer la bouleverse encore. “Impossible d’en parler à mes proches. Ils me rejetteraient, dit-elle, des larmes dans la voix. Mais ici, on trouve du soutien.”
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Ici, c’est chez Ikambere, cette association implantée à Saint-Denis (93) en région parisienne, et fondée par Bernadette Rwegera, 60 ans. C’est le seul organisme en France qui se consacre à l‘accueil des femmes migrantes touchées par le VIH. Denise reprend: “En arrivant, j’ai rencontré des femmes malades comme moi, mais bien plus joviales.” Un sourire apparaît sur son visage: “Ça m’a rassurée. Avec le temps, j’ai pu retrouver ma fierté.” Bernadette Rwegera a monté l’association -dont le nom, Ikambere, signifie “maison accueillante” en rwandais- après avoir réalisé un mémoire sur les femmes et les enfants atteints du virus le plus meurtrier des années 2000. En 1997, elle ouvre un local, dans un petit appartement de Saint-Denis pour aider les femmes migrantes et séropositives. Isolées et démunies, ces dernières ont davantage de difficultés pour accéder aux traitements. Vingt ans plus tard, l’association a déménagé dans un espace plus grand, en bordure du périphérique. Forte de ses 17 salariés à temps plein, elle a vu défiler plus de 2500 femmes depuis son ouverture et en accueille en moyenne 500 par an.
© Samia Kidari pour Cheek Magazine
“J’en suis arrivée au point où j’ai failli mettre fin à ma vie”
Quand elles poussent la porte de l’association, les femmes tombent sur Rose, médiatrice santé, 52 ans et un charisme certain. Elle n’est pas là par hasard: à la fin de ses études, elle se retrouve seule avec son enfant. Son mari l’a quittée lorsqu’elle a découvert sa séropositivité. “J’en suis arrivée au point où j’ai failli mettre fin à ma vie”, se souvient-elle aujourd’hui. À l’époque, elle trouve du soutien auprès d’associations. En 2010, très affaiblie, Rose rejoint la France pour accéder à un meilleur traitement médical: “C’est là que je suis arrivée à Ikambere. J’étais émerveillée par cette initiative!”
Après deux années de bénévolat, elle devient salariée de l’association. Désormais, elle vient en aide à celles qui doivent subitement apprendre à vivre avec la maladie. Justement, une assistante sociale vient la chercher: “J’ai besoin de toi, Rose. On a une femme dans le déni.” Et Rose de s’en aller parler avec la nouvelle venue. Il faut dire que le sida apporte avec lui son lot d’humiliations. “Un jour, quand un gynécologue a appris que j’étais séropositive, il a refusé de me faire les examens, se remémore Denise. Cette maladie est une honte, je me cache pour prendre mes médicaments.” D’autres femmes racontent les proches qui refusent de boire dans le même verre qu’elles, ou nettoient les toilettes à la Javel après leur passage.
“La cafétéria, c’est le soleil de l’association!”
Ikambere est justement là pour briser les clichés et redonner à ses femmes goût à la vie. Dans la cuisine, elles participent à la préparation du déjeuner, avant de se rejoindre dans la salle à manger aux murs colorés, pour partager ensemble ce qui est parfois leur seul repas équilibré de la journée. “La cafétéria, c’est le soleil de l’association!”, lance Rose, qui veille, souriante, alors que les conversations bruissent autour d’elle.
© Samia Kidari pour Cheek Magazine
Autour des tables recouvertes de toiles cirées, les femmes évoquent leurs histoires complexes et s’échangent des conseils. Parmi elles, la nouvelle venue de tout à l’heure. La vingtaine, tout juste arrivée en France, elle n’arrive pas encore à concevoir qu’elle puisse être atteinte du sida. Pas loin, une autre femme, un foulard noir dans les cheveux, paraît silencieuse. Elle avait à peine 30 ans quand elle est partie du Sénégal. Elle a perdu ses deux enfants lors de traversée de la Méditerranée. Ici, des destins brisés se mélangent, et toutes s’entraident pour continuer à vivre.
© Samia Kidari pour Cheek Magazine
Ikambere veille à cultiver l’esprit de groupe: centre d’accueil de jour, l’association propose plusieurs activités. Dans la salle de sport, le coach Luc Gillig range les ballons de yoga entre les tapis de course et les vélos elliptiques. “Je mets l’accent sur les exercices de cardio, explique le sportif. Cela permet d’alléger la surcharge pondérale dont souffrent la plupart des femmes.” Couture, informatique, séances de socio-esthétique sont également chaque semaine au programme. Puis, il y a les permanences, pendant lesquelles les assistantes sociales épaulent les femmes dans leur démarches administratives et professionnelles. Mais voici justement l’heure du “moment mères-enfants”, sous la houlette d’une médiatrice santé. La jeune femme au foulard s’est jointe au groupe. Une fillette babille sous la fresque qui orne le couloir.
“J’ai été infectée parce que je n’étais pas informée”
Les membres d’Ikambere ne se contentent pas d’agir au sein de l’association, ils militent aussi hors les murs pour une meilleure prévention contre le VIH. Dans les hôpitaux, en maraude, dans les foyers de migrants, tous les endroits sont bons pour expliquer comment se prémunir du virus et réaliser des tests de dépistages. D’ailleurs, chaque fois que l’association l’estime utile, elle prend de nouvelles initiatives pour ses bénéficiaires. Comme la rédaction d’un petit livret d’informations, à destination du personnel médical français, sur les rites sexuels propres à l’Afrique subsaharienne et qui favorisent la transmission des maladies sexuellement transmissibles (MST). Il y a aussi le projet d’insertion professionnelle baptisé La Main Fine, grâce auquel les femmes peuvent vendre les vêtements qu’elles cousent. Ou encore l’ouverture de cinq appartements d’accueil, dont profitent les femmes les plus âgées venues frapper à la porte d’Ikambere.
Remontant le couloir vers la salle à manger, Fatem-Zahra Bennis, responsable du développement, est inquiète pour l’avenir: “Le problème, pour assurer toutes nos missions, ce sont les financements.” Difficile pour Ikambere de savoir quel don ou quelle subvention lui permettra de continuer son activité sur le long terme. Une situation que l’on retrouve à un niveau national pour les actions liées au genre et au développement, souligne le Haut Conseil à l’Egalité dans un rapport de 2017. Mais pas de quoi décourager Rose: “L’information, c’est le pouvoir. J’ai été infectée parce que je n’étais pas informée. Aujourd’hui, je le suis, alors je me bats pour transmettre à tous.”
Samia Kidari et Mathilde Saliou
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