Le dernier volet de la saga Hunger Games vient de sortir en salles. Et franchement, la Jeanne d’Arc de la génération digitale a très mal tourné.
Avouons-le, quitte à passer pour des ados attardés, pour nous, le carton des films Hunger Games est amplement mérité. Dès le premier épisode, la franchise est parvenue à imposer son mélange parfait de science-fiction et de références historiques à travers l’univers de Panem, issu des trois tomes écrits par l’Américaine Suzanne Collins (écoulés tout de même à plus de 25 millions d’exemplaires).
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Dans cet État totalitaire, des colonies d’esclaves, les “districts”, doivent livrer chaque année un garçon et une fille tirés au sort comme “tributs” (tels ceux exigés par le roi Minos dans le mythe du Minotaure). La cité richissime et décadente du Capitole organise alors pour eux la plus grosse teuf de l’année. Seul hic, ils doivent s’y entretuer jusqu’au dernier. Voilà pour le pitch très péplum (Panem doit d’ailleurs son nom à l’expression latine Panem et circenses, “du pain et des jeux”).
Pour sa part, l’héroïne, Katniss Everdeen, tient davantage du Moyen-Âge: issue d’un pauvre district forestier, armée d’un arc, elle a tout de suite été comparée par l’actrice Jennifer Lawrence à une “Jeanne d’Arc futuriste”. En effet, en remportant les jeux, la beauté virginale devient à son corps défendant l’étendard de la révolution contre l’oppresseur dans les épisodes 2 (L’embrasement) et 3 (La révolte, partie 1). Hunger Games-La révolte, partie 2 se concentre sur l’assaut final pour capturer le machiavélique président Snow, joué par Donald Sutherland.
Katniss, la Pucelle du district 12
Le parallèle Jeanne-Katniss n’est pas sorti de nulle part. Elles sont toutes deux vierges, pauvres et venues de villages ravagés par la soldatesque, toutes deux devenues porte-drapeau d’un mouvement populaire contre l’occupant, et après des trahisons politiciennes, jetées en pâture aux juges -la saga Hunger Games réinventant la fin amère de la “Pucelle d’Orléans”. Suzanne Collins a toujours ouvertement reconnu ses modèles historiques, et a même eu la coquetterie de faire naître son héroïne un 8 mai, soit la date anniversaire de la bataille par laquelle, en 1429, Jeanne a libéré Orléans assiégé par les Anglais.
Katniss est d’ailleurs surnommée “la fille du feu”, grâce aux robes enflammées dont l’habille le styliste Cinna, interprété par un Lenny Kravitz revenant des années 90 pour faire vibrer les cœurs d’une deuxième génération d’adolescentes, dans le rôle un brin caricatural de grand couturier gay. D’où la question qui tourmente tout lecteur ou spectateur au fil de la saga: Katniss finira-t-elle aussi sur le bûcher?
Jeanne d’Arc version Indignés
La comparaison a aussi ses limites. Jeanne était garçon manqué, cheveux courts, asexuée, et finit égérie du Front national. Katniss, elle, n’est pas une fanatique hallucinée qui entendrait des voix et se croirait investie d’une mission divine farfelue. Cette Diane chasseresse reste femme jusqu’au bout, toujours indépendante, polyamoureuse, en révolte contre tous, sans alliés véritables, si ce ne sont ses proches. Et, chez ses fans, elle a inspiré dans la vie réelle un activisme plus proche du mouvement des Indignés que des adeptes réacs de Jeanne: des fans d’Hunger Games se sont en effet mis au défi de changer le monde sur le Tumblr Wearethedistricts. “C’est parti de la fanbase, en réaction au marketing très glamour des studios Lionsgate”, explique Mélanie Bourdaa, maître de conférence à l’Université de Bordeaux, qui a étudié le phénomène. Car pour les lecteurs de la première heure, la major américaine oublie les valeurs politiques de la trilogie en bombardant les fans d’une promotion très paillettes.
© Metropolitan Film Export
Heureusement, les scénarios collent, eux, à l’intrigue des livres. Et Jennifer Lawrence adhère personnellement à l’esprit rebelle de l’héroïne. L’actrice a même fait sien l’activisme de Katniss. Décidée à bouter les machos hors de Californie, Jennifer Lawrence s’est ainsi fendue d’une lettre ouverte pour dénoncer les inégalités salariales entre comédiens et comédiennes. Pour elle, les femmes devraient être aussi exigeantes que les hommes, et questionner ce qui les conditionne à accepter la prétendue fatalité de certaines discriminations.
Jennifer Lawrence, nouvelle Ingrid Bergman? (alerte spoiler)
À tout juste 25 ans, Jennifer Lawrence n’a d’ailleurs pas honte d’afficher ses ambitions. Prendre Jeanne d’Arc pour modèle, comme elle l’a fait, n’est pas anodin. La Pucelle d’Orléans est une des muses préférées du grand écran, depuis Cecil B. DeMille en 1916, jusqu’à Luc Besson en 1999. Identifier Katniss à elle, c’est se comparer rien de moins qu’à Ingrid Bergman, qui joua le rôle de la sainte française quatre fois, dirigée, entre autres, par Victor Fleming et Roberto Rossellini. L’icône de l’âge d’or du cinéma était ainsi devenue grâce à Jeanne d’Arc l’actrice la mieux payée d’Hollywood.
Tout comme Jennifer Lawrence est désormais la comédienne la mieux payée du monde (52 millions de dollars tout de même en 2015!), grâce à Hunger Games. Alors JLaw, nouvelle Ingrid Bergman? Non, parce que les deux épisodes de La Révolte sont aussi ratés que les précédents films étaient réussis. L’adaptation ne parvient pas à condenser les flots d’information des romans, particulièrement lors du final de ce dernier volet.
Le “Geai Moqueur” y perd des plumes. Sa sœur Prim meurt dans un bombardement ordonné par la chef des rebelles, la présidente Coin. Et Katniss d’assassiner la nouvelle femme de fer de Panem en représailles. Le film s’étant éternisé dans les scènes d’action convenues et les discours peu convaincants, les actes de cette tragédie s’enchaînent à toute allure, zappant même le procès de Katniss -réinvention de celui de Jeanne. Difficile dès lors de croire à la souffrance de la guerrière meurtrie, dont les pleurs artificiels déclencheront quelques éclats de rire dans les salles.
Jérémy André
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