Après le triomphe de son premier album My Name Is, sacré disque d’or, Hollysiz est de retour avec Rather Than Talking. Rencontre.
Deux ans de tournée et un premier album sacré disque d’or: avec Hollysiz, son avatar musical, Cécile Cassel a réussi son émancipation et massivement imposé le nom qu’elle s’est choisi sur la scène musicale hexagonale. De retour avec Rather Than Talking, un deuxième album sous influence new-yorkaise mais aussi cubaine, la musicienne repousse les frontières sonores et géographiques. Aussi bien co-écrit avec la Française Owlle, qu’avec l’ex-The Rapture Luke Jenner ou les kids de Brooklyn The Skins, ce nouvel essai riche de contributions et d’explorations était “l’album de ses rêves.” À 35 ans, celle qui a partagé sa vie entre plateaux de cinéma et salles de concerts suintantes et bondées, semble poursuivre un seul et même but dans son travail: conquérir sa liberté. Avec ce nouveau disque, elle ne la touche plus du bout des doigts, mais l’embrasse carrément. Et s’en explique à travers une poignée de mots-clés.
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Disque d’or
“Quand j’ai écrit le premier album, je ne me suis absolument pas projetée dans le fait que des gens allaient écouter ma musique. On ne s’en rend pas compte du tout. Quand j’ai commencé à écrire celui-là en revanche, je me doutais qu’un minimum de curieux allaient potentiellement s’y mettre. (Sourire.) Je pense que je suis partie à New York dans le but de me défaire de cette idée et de retrouver la raison profonde pour laquelle j’écris, sans essayer de plaire. De retrouver, en fait, la candeur que j’avais sur le premier album. Il a fallu faire un petit chemin pour revenir à cette spontanéité-là.”
New York
“J’avais besoin de quitter Paris pour plein de raisons. Et notamment pour me redéfinir, pour savoir qui j’étais après deux ans de tournée. Je suis partie en me disant que j’y resterais un mois, j’y suis finalement restée presque un an. New York, c’est une ville où tout le monde vient d’ailleurs, à peu de choses près. On est new-yorkais quand on y vit, et on ne l’est plus dès l’instant où l’on n’y vit plus. Comme tout le monde vient de partout, la première chose que tu fais là-bas, c’est de dire pourquoi tu es là et ce que tu fais dans la vie. Ça te pousse à te définir. Et puis, c’était agréable de revenir à une certaine forme d’anonymat, même si je ne suis pas Whitney Houston! (Rires.) Parfois, quand les gens me demandaient ce que je faisais, je répondais n’importe quoi: que j’étais contorsionniste, que j’étais là pour faire des études. J’ai raconté plein de conneries. (Rires.)”
Luke Jenner
“Je l’ai rencontré à Paris par le biais de ma meilleure amie, la productrice Marine Dorfmann. Il m’avait dit de le tenir au courant si je venais à New York mais, quand j’y suis arrivée, je n’osais pas trop l’appeler. J’ai fini par lui envoyer un message et on s’est mis à à passer des après-midi entières à se balader dans Brooklyn et à parler de la vie. Il y avait quelque chose de très fraternel dans cette relation. Au départ, je ne voulais pas lui faire écouter ce que je faisais, j’avais honte, je trouvais ça trop nul. Mais lui m’a fait écouter ses trucs, qui m’ont énormément touchée, alors je me suis dit que je devais aussi lui donner quelque chose. Je lui envoyé un message pour lui demander s’il accepterait de relire certains de mes textes et il m’a donné rendez-vous dès le lendemain matin. Au lieu de corriger mes textes pour des histoires d’anglais, il a pointé du doigt les endroits où je n’étais pas assez sincère. En faisant ça, il a bouleversé ma manière d’écrire.”
Bay Li
“Bay Li est la frontwoman du groupe The Skins. Ce sont des gamins de Brooklyn, qui avaient entre 16 et 22 ans au moment où je les ai rencontrés. Ils viennent de signer sur le label de Rick Rubin et passent leur vie à faire de la musique. Ils écrivent un nombre de morceaux incalculable, ils sont totalement décomplexés, ça sort d’eux, ça jaillit. Je pense que c’est un truc de génération. Ils ont grandi avec Internet et ont digéré tout ce qu’ils ont entendu. Et ils recrachent ça d’une manière hybride. On a écrit le titre All About Now tous ensemble, dans leur home studio. Le soir du 13 novembre, j’étais avec eux, d’ailleurs.”
“J’adore le travail collectif et réaliser un clip, c’était l’occasion rêvée de monter ma dream team de technicien·ne·s.”
La Havane
“Aller à Cuba, c’était un vieux rêve. À l’époque, il n’y avait pas encore de vols directs depuis les États-Unis, c’était un an avant l’ouverture. J’ai habité chez la tante d’un ami qui est cubain et percussionniste -il a d’ailleurs joué sur Cuban Mood. Sur place, j’ai enregistré beaucoup de sons, histoire d’en garder un souvenir sonore. Cette ville m’a reconnectée avec les musiques latines, que j’ai beaucoup écoutées gamine, notamment celles du Brésil. Je me suis rappelée récemment que le premier disque que mon père m’a offert était Brasileiro de Sergio Mendes, dans lequel il n’y avait presque que des percussions. Un de mes titres pop préférés est They Don’t Care About Us de Michael Jackson, où il utilise de la batucada brésilienne. J’avais moi aussi envie d’intégrer ça dans du rock et de la pop.”
Marion Motin
“Sur mon premier album, j’ai travaillé sur tous les clips avec les chorégraphes Armelle Ferron et Gladys Gambie, des amies de longue date. Cette fois-ci, pour le clip de Fox, bosser avec Marion Motin était une évidence. J’admire son travail, d’une part, et j’avais aussi envie de me confronter à quelqu’un qui ne sait pas où sont mes facilités. Je voulais que l’on me bouscule dans ma manière de danser. Je l’avais au départ appelée pour le clip de Rather Than Talking, mais quand Fox s’est présenté, j’ai tout de suite su que j’allais le réaliser et je voulais collaborer avec quelqu’un qui rendrait le projet original. Au final, elle a été une partenaire infaillible: elle possède l’énergie de dix personnes, elle a des danseurs extraordinaires, et elle a compris exactement ce que je voulais. J’adore le travail collectif et réaliser un clip, c’était l’occasion rêvée de monter ma dream team de technicien·ne·s. Au montage de Fox, on retrouve par exemple Anne-Sophie Bion, oscarisée pour The Artist. J’ai adoré fabriquer ce clip, mais j’étais parfois frustrée de devoir aller danser au lieu de filmer, et à l’inverse, de devoir crier “Top à la grue!” en plein milieu d’une prise où je dansais. (Rires.)”
Océan
“C’est vrai que ce thème traverse l’album. Je crois que la symbolique de l’eau, c’est la maternité, pourtant je jure que ce n’est pas une manière d’annoncer que je vais avoir un enfant! (Rires.) En fait, c’est surtout l’humilité que l’on ressent face aux éléments qui me touche. Je me suis mise au surf pour apprivoiser l’océan, parce que ça me faisait peur. Il y a quelques années, j’ai décidé d’affronter mes peurs une par une, en me disant que je n’allais pas me laisser emmerder. Je n’ai toujours pas réussi à vaincre ma claustrophobie -je vais y arriver-, mais j’avais peur d’aller dans les vagues et finalement, le surf est devenu le seul truc pendant lequel j’arrive à déconnecter pendant deux heures. C’est presque méditatif.”
Owlle
“C’est une chanteuse que j’aime énormément. Au moment où on a commencé à travailler ensemble, on traversait la même chose: sentimentalement, on n’était vraiment pas au top. À l’époque, on fumait des millions de clopes en buvant du thé et en écrivant des chansons tristes. On a écrit nos deuxièmes albums respectifs ensemble, en même temps. On s’est beaucoup soutenues et accompagnées. J’adore travailler avec les filles de ma génération, c’était important qu’il y ait une femme sur cet album. On a écrit ensemble le titre White Mistress, que j’adore.”
“C’était très important pour moi de dire qu’on est toutes connectées.”
Unlimited
“Au moment où on a fait toutes les pré-maquettes de l’album, il y a eu l’élection de Trump. Maxime Nucci (NDLR: Alias Yodelice, qui a travaillé sur l’album) trouvait qu’il manquait un truc dans la chanson Unlimited, et m’a proposé de scander quelque chose. À ce moment-là, il y a eu les Women’s March, dont celle de Paris à laquelle j’ai participé, et l’avortement était remis en question en Pologne. Il y avait tellement de planètes qui s’alignaient dans le mauvais sens, je crois que j’ai littéralement vomi ce texte. C’était très important pour moi de dire qu’on est toutes connectées. J’ai toujours été extrêmement choquée et vindicative sur la manière dont on traite les femmes. J’ai été élevée par des hommes, et j’ai toujours été considérée d’égale à égale avec tout le monde, j’ai toujours vu mon père très fier d’être avec une femme indépendante, qui travaille. Et ce dernier m’a toujours encouragée à m’exprimer de la même manière que mes deux frères.”
#MeToo
“Je suis très heureuse que les femmes arrivent à s’exprimer aujourd’hui (Ndlr: notre rencontre a eu lieu avant la tribune des “Catherines”). J’ai toujours entendu dire qu’Harvey Weinstein était dangereux. On ne disait pas que c’était un violeur, mais que c’était un gros porc. Mais j’ai été très surprise du nombre de femmes concernées. C’est surréaliste. Quant à moi, j’ai réfléchi à mon parcours et j’ai trouvé dans ma mémoire cinq cas vraiment probants de dérives. Comme des castings où l’on m’a demandé de masturber, par exemple. Mais, sans savoir pourquoi, je n’ai jamais eu peur de dire non. Ça ne m’empêchait pas de me barrer en courant, de pleurer toutes les larmes de mon corps ou de me sentir salie, mais j’ai eu la chance de pouvoir dire non et de me foutre des conséquences. Je sais que ce n’est pas donné à tout le monde, parce que c’est difficile, les rapports de pouvoir, il faut avoir sacrément confiance en soi pour les inverser. La question désormais, c’est: qu’est ce qui va rester de tout ça? Je n’en sais rien, mais c’est important que le débat soit mis sur la place publique.”
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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