Avec Madame Rap, Eloïse Bouton et Emeralda Ayakashi veulent offrir une visibilité aux rappeuses et casser les clichés qui collent au hip hop.
Le hip hop, un milieu misogyne dont les femmes sont les grandes absentes? Depuis un an, Éloïse Bouton s’active pour prouver le contraire. Avec Madame Rap, le site qu’elle a lancé en août 2015, cette ex-Femen, journaliste et militante, offre une visibilité sans précédent aux rappeuses du monde entier. Désormais épaulée par la Dj et productrice Emeraldia Ayakashi, Eloïse Bouton allie sa passion du hip hop à son militantisme féministe au sein de ce projet qui prend de plus en plus d’ampleur.
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Outre le média, qui recense et donne la parole aux rappeuses de tous les pays, Madame Rap se développe aussi en tant que label et e-shop, et organisera sa première soirée à Paris le 29 septembre. Au programme: un open mic réservé aux femmes, des dj sets et les lives des rappeuses A2N et Valore. Alors que Cheek s’associe à Madame Rap pour des articles mensuels autour du hip hop féminin, on vous fait les présentations avec Éloïse Bouton.
Quand et pourquoi as-tu lancé Madame Rap?
J’ai lancé Madame Rap en août 2015 parce que j’en avais assez d’entendre des clichés récurrents sur les femmes et le hip hop, du type “il n’existe aucune rappeuse digne de ce nom” ou “le rap est la musique la plus sexiste”. La DJ et productrice Emeraldia Ayakashi a rejoint l’aventure quelques mois plus tard et nous avons fondé une association de loi 1901 dédiée à la mise en lumière des femmes dans le hip hop.
Un an après, où en êtes-vous?
Aujourd’hui, Madame Rap recense plus de 1000 rappeuses du monde entier et propose des news ainsi que des interviews d’artistes internationales en français et en anglais. Plus qu’un site Internet et une association, Madame Rap est aussi un label, un shop en ligne et un espace d’information et d’éducation alternatif qui a pour mission de célébrer les féminismes, l’art et les cultures urbaines et de leur offrir une réelle visibilité!
“Le patriarcat a fait du rap un bouc émissaire bien pratique, qui lui permet de se dédouaner.”
Comme tu le dis toi-même, le rap passe pour le milieu misogyne par excellence: cliché ou réalité?
Cliché et réalité! Entre 22% et 37% des paroles de rap seraient misogynes et 67% objectiveraient sexuellement les femmes. Mais ces violences verbales ne tombent pas du ciel et proviennent directement de la manière dont les femmes sont traitées dans la société. Le hip hop ne fait que tendre ce miroir. En outre, tout le hip hop n’est pas misogyne et surtout, il ne l’est pas plus que d’autres musiques, il use juste de codes différents, sans détours et sans fioritures, ce qui rend le problème plus visible. Les autres styles musicaux produisent un sexisme plus mainstream et pernicieux, presque indécelable et surtout beaucoup mieux accepté, car normé et blanc.
Pourquoi cette vision réductrice du rap a-t-elle la peau si dure?
Parce que certains artistes perpétuent des codes inhérents au hip hop sans les déconstruire. Mais surtout, parce que le patriarcat a fait du rap un bouc émissaire bien pratique, qui lui permet de se dédouaner. Pendant qu’on s’insurge contre cette musique issue principalement de classes populaires et produite par des artistes d’origines ou de religions diverses, non blancs, au langage qui ne correspond pas à la norme, personne ne prête attention au vrai problème, c’est-à-dire au sexisme à la source. Mettre une femme à poil dans une pub ou objectiver les femmes dans la variété semble acceptable alors que dire “salope” dans un texte de rap paraît insupportable.
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Certains rappeurs font-ils attention à parler des femmes autrement?
Oui! De nombreux hommes tentent de faire évoluer le discours ambiant, comme Kendrick Lamar, Drake, Talib Kweli, Lupe Fiasco ou Common. En France, il y a Kery James, D’ de Kabal et Abd al Malik.
On a l’impression que les femmes dans le rap ont seulement deux choix: être un lascar ou une chaudasse. Est-ce le cas?
Là encore, il s’agit seulement du reflet de la société et, entre autres, du mythe de la maman et de la putain. Comme toute la société, le rap souffre de cette binarité. Mais depuis les années 2000, on voit des femmes émerger qui ne rentrent pas dans la case “mec” ou “chaudasse”, mais qui sont des “justes milieux”, des artistes et des individus à part entière qui ne jouent pas de cette opposition comme outil marketing.
Qui sont les rappeuses françaises qui émergent en ce moment?
Sianna, Shay, KT Gorique, Emma Emotrip, Ladea, Pumpkin, Liza Monet, A2N…
Se revendiquent-elles féministes?
Presque toutes les rappeuses que nous avons interviewées avec Madame Rap disent être féministes: Liza Monet, Pumpkin, Keny Arkana… Peut-être qu’on ne le sait pas parce qu’on ne leur offre pas l’espace médiatique pour s’exprimer ou que quand elles l’ont, personne ne leur pose jamais la question.
“J’ai l’impression que le terme ‘féministe’ est davantage compris comme ‘croire à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes’ à l’étranger.”
Et ailleurs dans le monde?
Aussi! GOTAL (Sénégal), Reverie (US), Reykjavíkurdætur (Islande), Speech Debelle (UK), Rebeca Lane (Guatemala), Dee MC (Inde), nous ont toutes dit être féministes. Néanmoins, j’ai l’impression que le terme “féministe” est davantage compris comme “croire à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes” à l’étranger, alors qu’en France, il reste parfois perçu comme réducteur ou péjoratif, donc stigmatisant.
Quid de l’homosexualité? Est-ce toujours un tabou dans le rap?
Je pense que ça reste un tabou en France. Ailleurs, et notamment aux États-Unis, certains artistes font bouger les lignes. Un “rap queer” a émergé depuis le début des années 2010, inspiré de la ball culture et de l’electro grime, avec de nombreux artistes LGBTQ comme Frank Ocean, Leaf, Siya, Zebra Katz ou Angel Haze, qui font tomber des tabous.
Si tu devais conclure avec une punchline bien féministe, tu choisirais quoi?
“Male or female, it make no difference. I stop the world, world stop”, dixit Nicki Minaj!
Propos recueillis par Faustine Kopiejwski
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