L’artiste lilloise Hélène Delmaire a créé la plupart des oeuvres qui apparaissent dans le dernier film de Céline Sciamma Portrait de la jeune fille en feu, qui sort ce 18 septembre.
Présenté lors du dernier festival de Cannes, le film Portrait de la jeune fille en feu de la réalisatrice Céline Sciamma sort en salles ce 18 septembre. À l’écran, les spectateur·rice·s suivent la lente et passionnante naissance de l’histoire d’amour entre une jeune peintre et une jeune fille dont elle doit faire le portrait. L’intrigue, qui se déroule au XVIIIème siècle, est aussi une ode à la création artistique. Le film met en scène des femmes qui s’aiment mais aussi des femmes qui créent. Le personnage de Marianne, interprété par Noémie Merlant, observe, dessine et peint Héloïse, jouée par Adèle Haenel, tout en tombant amoureuse d’elle. Devant la caméra de Céline Sciamma, l’acte de peindre est un acte d’amour.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pour créer le fameux “portrait” de la jeune fille en feu et les autres tableaux et croquis qui apparaissent dans le film, la réalisatrice a fait appel à une jeune peintre. La Lilloise Hélène Delmaire a 32 ans, soit à peu près le même âge que le personnage de Marianne auquel elle prête son bras d’artiste à l’écran. Hélène Delmaire a accepté de nous parler de sa rencontre avec Céline Sciamma, de son travail sur le film devant la caméra et derrière le chevalet, mais également de son engagement pour l’environnement et de la place des femmes peintres dans l’histoire de l’art et aujourd’hui.
Comment t’es-tu retrouvée à travailler sur ce film?
En avril 2018, Céline Sciamma a découvert mon boulot sur Instagram et elle m’a contactée. Moi, je n’avais aucune idée de qui c’était! Je suis allée voir sur Wikipédia (Rires). Ensuite, elle est venue à Lille me rencontrer et m’a laissé les DVD de ses films. Je les ai regardés puis elle m’a fait envoyer le scénario de Portrait de la jeune fille en feu. Je ne pense pas que j’aurais accepté de travailler pour un film de pur divertissement. Ça m’intéresse de travailler avec des gens qui ont quelque chose à dire. J’aime la démarche de Céline qui consiste à montrer des choses qui ne sont pas montrées d’habitude à l’écran mais qui ont besoin de l’être. J’admire sa capacité à utiliser un médium hyper grand public pour faire passer des messages. Elle a une vision très claire de ce qu’elle veut faire et c’est une personne très intelligente et très humaine. Avant de travailler avec elle, j’avais une image du cinéma ultra cliché. Mais je l’ai trouvée très humble. Ce qui est important pour elle, c’est ce qu’elle a à dire, pas son statut de personne connue. Pour moi, c’est à ça qu’on reconnait les vrai·e·s artistes.
Tu as réalisé la plupart des oeuvres qui apparaissent dans le film. Comment as-tu fait pour participer à ce tournage?
Au départ, Céline ne savait pas trop comment tourner les scènes où l’on voit Marianne (Ndlr: la jeune peintre du film interprétée par Noémie Merlant) peindre les deux portraits d’Héloïse. Elle avait envisagé de me filmer en train de les peindre chacun d’une traite. Mais un tableau du XVIIIème réaliste, ça peut prendre 70 heures de travail. C’était trop compliqué de mobiliser une équipe pendant tout ce temps. On a décidé de faire autrement. J’ai d’abord créé deux portraits de A à Z pour que l’on se mette d’accord sur le résultat final. Puis, pendant quinze jours, nous avons tourné les plans où l’on voit simplement mon bras en train de peindre. Une fois la scène terminée, je regagnais le petit appartement où j’étais logée pour terminer les tableaux. Comme les scènes ne sont pas tournées dans l’ordre chronologique de l’histoire, il a fallu que je fasse un portrait pour chaque séquence. En tout, j’ai peint sept à huit versions de chaque portrait, qui vont de l’ébauche à un tableau presque achevé. C’était un taf de ouf!
“J’ai l’impression que nous ne sommes pas considérées avant tout comme des artistes et que l’on montre notre travail à travers le prisme de la féminité.”
Quelles ont été tes sources d’inspiration pour ces tableaux?
J’ai une formation plutôt XIXème siècle, j’aime bien quand il y a une touche bien visible dans mes oeuvres, à l’opposé totale du style XVIIIème siècle. Heureusement Céline se permet une certaine liberté artistique pour servir sa narration. Elle garde ce qui est essentiel pour ce qu’elle a envie de dire. Avant le tournage, nous sommes allés au musée du Louvre avec Céline, Claire Mathon, la directrice de la photo, et Thomas Grézaud, le chef décorateur. Nous avons trouvé des peintres plutôt de la fin du XVIIIème siècle, avec des identités artistiques assez diverses. J’ai notamment été inspirée par les portraits de Fragonard ou encore par des peintres anglais, comme Joshua Reynolds.
Aucune femme peintre ne t’a inspirée, même pas Élisabeth Vigée Le Brun?
Tout le monde l’a en tête… Moi je trouve qu’il y a un côté people Photoshop dans sa peinture que je n’aime pas. Mais c’est vrai que même au Louvre, on trouve peu de femmes exposées alors qu’elles étaient nombreuses à peindre au XVIIIème siècle! Même moi qui ai un certain bagage en histoire de l’art, je ne savais pas qu’il y en avait autant avant de travailler sur le film. À l’époque, elles n’avaient pas accès aux scènes mythologiques car elles ne pouvaient pas peindre de modèles masculins nus. Or, dans la pyramide du prestige, il fallait peindre des scènes mythologiques pour devenir un peintre reconnu. C’était aussi compliqué pour elles d’exposer. On le voit bien dans le film quand Marianne expose ses propres oeuvres sous le nom de son père.
Est-il plus simple d’être une femme artiste en 2019?
Encore aujourd’hui, il existe un plafond de verre qui est indéniable. Si vous regardez le top 50 des artistes qui sont cotés, trouver des femmes c’est chaud! L’art est un monde spéculatif, un milieu d’hommes et les hommes achètent des oeuvres d’hommes. Je ne suis qu’au début de ma carrière mais j’ai pu remarquer que souvent quand je suis invitée à exposer, c’est autour d’une thématique sur les femmes artistes. J’ai l’impression que nous ne sommes pas considérées avant tout comme des artistes et que l’on montre notre travail à travers le prisme de la féminité, ce dont toutes les artistes n’ont pas forcément envie.
La nature et la féminité sont au coeur de ta peinture. Ta démarche artistique est-elle féministe?
Par la force des choses oui, bien sûr. Même si je ne le conscientise pas. J’aime bien utiliser les clichés liés à la nature et aux femmes pour les dépasser. Je me dis: “Ok! Fuck! Si c’est ça notre image, on va y aller à fond et en faire quelque chose de puissant!” En ce moment, je peins des fleurs de nuit, des trucs assez dark. La nature m’inspire à fond. Par ailleurs, je me suis lancée avec mon mec dans un potager en permaculture. Pour moi, les luttes féministe et écologiste se rejoignent. Je pense que, dans notre société, ces valeurs qu’on dit traditionnellement féminines, nous en avons plus besoin que jamais. Même si je ne l’intellectualise pas, ma démarche vise à apporter un équilibre dans un monde déséquilibré.
Juliette Marie
{"type":"Banniere-Basse"}