J’étais partie pour écrire ce papier deux heures après ma mésaventure dans le métro. Et puis je me suis dit que quinze lignes de “Mais quel connard, ce fils de p****” me rabaissaient au même niveau que lui. C’est-à-dire plus ou moins au-dessous du niveau de la mer. Alors j’ai laissé passer une bonne semaine en me disant qu’au moment où je reprendrais le clavier, je serais plus mesurée et alors plus percutante. C’est d’ailleurs souvent ce qu’on te dit quand tu es très motivée pour insulter la terre entière après un épisode de nature à froisser ta gentille personne, fatiguée de s’en prendre plein la gueule alors qu’elle dit pardon quand on lui marche sur le pied. J’ai donc suivi mon propre conseil et j’ai attendu. La colère physique s’est envolée et je peux désormais articuler et même respirer entre les mots quand je raconte mon histoire.
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Cinq secondes après la fermeture des portes, un homme, la cinquantaine, plutôt lambda, nous glisse un mot. Pensant naïvement que le monsieur nous demande un renseignement, nous tendons l’oreille.
Une histoire, somme toute, assez banale et qui ne choquera personne étant donné que c’est admis: le connard peut impunément insulter ou salir de son regard vicelard n’importe quelle femme, pourvu qu’elle soit en âge de se taire. Je me trouvais donc dans le métro avec mon mec un samedi très ensoleillé où j’avais eu l’idée saugrenue de porter une combishort ne laissant entrevoir qu’une partie de mes jambes, mes bras, mon cou et bien sûr mes mains. En entrant dans le wagon, nous décidons de rester debout. Cinq secondes après la fermeture des portes, un homme, la cinquantaine, plutôt lambda, nous glisse un mot. Pensant naïvement que le monsieur nous demande un renseignement, nous tendons l’oreille. “Pardon monsieur?” Le voici qui articule davantage et qui balance: “Tu devrais la baiser ici.” Je glisse un “Pardon???” d’étonnement. Non ce n’est pas possible, cet homme de l’âge de mon père, sans doute père lui-même, et peut-être grand-père, n’ a pas pu dire cela.
N’ayant plus de mots pour m’exprimer, ma main décide de claquer la joue grasse et salace du connard.
Et si. Il nous regarde et répète calmement: “Je dis, tu devrais la baiser ici.” Visiblement, cet homme peu poli s’adresse à mon compagnon et lui délivre un conseil. D’homme à homme. Bien évidemment, le gentleman qui m’accompagne s’énerve immédiatement. Réaction classique face au manque de respect puissance 10 d’un inconnu qui nous invite à jouer les exhibos sous X devant une trentaine de voyageurs. N’ayant plus de mots pour m’exprimer, ma main décide de claquer la joue grasse et salace du connard. Une action à laquelle mon mec se plie quasi-simultanément. C’est ça l’amour, on veut les choses au même moment. D’un coup, l’homme perd son calme de psychopathe et se lève légèrement tangent. Visiblement, il a un peu bu mais n’allons pas penser qu’il ne sait pas ce qu’il dit, car même moi, quand j’ai beaucoup bu, je suis très consciente que je fais pipi entre deux voitures rue Saint-Denis.
Mon mec se fait violenter par un gros pervers mais personne ne lève le nez de son iPhone.
Et autour de nous? Personne ne bouge. Mon mec se fait violenter par un gros pervers mais personne ne lève le nez de son iPhone. En même temps je les comprends: pourquoi prendraient-ils le risque de perdre leur partie de Candy Crush? Chacun pour soi, merde! Je tente tout de même un gentil: “S’il vous plaît, un peu de renfort?” Un SOS qui s’adresse aux garçons vaillants du wagon: en quelques secondes, à trois paires de bras, l’homme relou est maîtrisé plus vite, c’est logique. Mais le connard est costaud et malgré l’aide de mes deux héros, il n’est pas aisé de le faire sortir contre son gré. Pour calmer le jeu, nous décidons de sauter du wagon à la prochaine station. Rien ne sert de continuer la bagarre, le connard nous cherche des noises.
Nous, adultes, avons tendance à banaliser les choses et à jouer les sourds-muets quand une jeune fille, une dame ou une mamie se fait insulter, humilier ou pire violenter.
Plantés sur le quai, un peu déboussolés et très énervés, nous croisons deux gamins qui, témoins de la scène, nous interpellent: “Hey madame, vous avez trop bien fait de le gifler, c’est dégueulasse ce qu’il vous a dit.” Si le “Madame” me fait mal aux dents, mes nerfs s’apaisent: deux garçons, pas encore adultes, mais déjà conscients, ont réagi face à ce que la gent féminine vit plus ou moins intensément au quotidien. Alors que nous, adultes, avons tendance à banaliser les choses et à jouer les sourds-muets quand une jeune fille, une dame ou une mamie se fait insulter, humilier ou pire violenter. À force de dire “laisse-le parler, passe ton chemin”, nous laissons à ces malades le plaisir d’insulter les femmes librement, sans craindre de retours cinglants. Nous ne les calmons pas, nous les encourageons. Mais peut-on compter sur le renfort de nos voisins de trottoirs, de bus, de métro ou de RER si nous osons affronter verbalement nos agresseurs? Pas sûr. Et c’est ce qui nous effraie. S’il vous plaît, face aux connards, restons groupés.
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