Son livre, Harcelées: Enquête dans la France des violences faites aux femmes, est sorti ce jeudi 7 mars chez Plon. En interrogeant 72 femmes victimes de harcèlement sexuel, de violences conjugales, de viol, ou encore de cyberharcèlement, la journaliste Astrid de Villaines espère montrer l’ampleur des violences sexistes et sexuelles dans l’Hexagone. Rencontre.
Un an de travail et des séjours aux quatre coins de la France. Voilà ce qu’il aura fallu à Astrid de Villaines pour écrire ce livre intitulé Harcelées: Enquête dans la France des violences faites aux femmes et paru aujourd’hui chez Plon. Harcèlement de rue, harcèlement moral, sexisme, violences conjugales, viol: elle a recueilli les témoignages de 72 femmes qui se sont confiées sur les abus dont elles ont été victimes ou qu’elles subissent parfois encore aujourd’hui. En s’attaquant à la problématique des violences sexistes et sexuelles, Astrid de Villaines opère un virage radical dans sa carrière de journaliste politique, forte de sept années d’expérience à La Chaîne Parlementaire (LCP): “Le sujet s’est imposé à moi.”
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“J’ai réalisé qu’il fallait aller voir ces femmes et leur donner la parole”
En 2014, Astrid de Villaines a été agressée sexuellement sur son lieu de travail. Portée par le phénomène #MeToo, la trentenaire a porté plainte en novembre 2017 contre le journaliste Frédéric Haziza, médiatisant ainsi son agression. Lorsqu’elle quitte la rédaction de LCP en février 2018 -Haziza y était toujours en poste-, elle reçoit énormément de messages de soutien sur les réseaux sociaux, dont une centaine de témoignages. “Des femmes me contactaient en me disant qu’elles avaient été harcelées sexuellement, se remémore-t-elle. Une hôtesse de l’air d’Air France m’a particulièrement interpellée: pour elle, ça avait duré 15 ans.”
“En recevant tous ces témoignages l’an dernier, j’ai réalisé qu’il fallait aller voir ces femmes et leur donner la parole.”
Si Astrid de Villaines ne peut répondre à toutes ces femmes, elle est profondément bouleversée par leurs mots. “Ce livre est ma réponse”, écrit-elle dans l’épilogue. “En recevant tout ça l’an dernier, confie-t-elle, j’ai réalisé qu’il fallait aller voir ces femmes et leur donner la parole.” C’est ainsi que commence son tour de France: l’autrice recueille des témoignages en Bretagne, en Picardie, en Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans la région Grand-Est ou encore dans les Pays de la Loire… Elle parle à des femmes de tous les horizons -pompières, journalistes, agricultrices, cheffes d’entreprise, députées, etc.- pendant plusieurs heures, “parfois six ou sept”, et passe une semaine dans certaines villes: “En télévision, on me reprochait de rester trop longtemps avec les gens, alors là j’ai vraiment apprécié de pouvoir prendre mon temps.”
“Ces comportements peuvent détruire”
Concernant les noms d’hommes mentionnés par ses interlocutrices, la journaliste n’en a divulgué aucun. Une règle qu’elle a également appliquée à Frédéric Haziza, pourtant évoqué plusieurs fois dans son livre. “Je n’ai pas eu envie de le citer directement; il est concerné mais ce n’est pas la petite histoire qui est intéressante, estime-t-elle, toujours très marquée par l’affaire. J’ai eu besoin d’en parler dans le livre mais ça m’a fait du bien de sortir de mon cas personnel pour faire mon métier.”
“Il m’est aussi arrivé de rencontrer une femme pour parler de harcèlement sexuel et de finir la conversation sur le viol qu’elle avait subi à 14 ans”
“Mon départ s’est passé dans des conditions intolérables, mais je me disais que ça allait, que j’avais retrouvé un emploi –un CDD de cinq mois au Monde-, explique la trentenaire. En réalité, comme toutes mes interlocutrices qui ont été harcelées sur leur lieu de travail, c’est moi qui ai dû partir.” Écrire cet ouvrage a permis à Astrid de Villaines de tourner la page une bonne fois pour toutes: “Cette histoire est derrière moi, et tant mieux car c’était lourd. Cette enquête m’a fait réaliser que je ne suis pas seule dans ce cas et j’espère qu’elle sera lue et comprise ainsi pour que l’on avance toutes et tous ensemble.” Son objectif? Aider les femmes victimes de violences à se sentir soutenues et épaulées. “J’ai essayé de montrer que ces comportements peuvent détruire”, poursuit la journaliste qui réclame d’urgence des actes de la part du gouvernement pour accompagner le sursaut de libération de la parole que l’on doit à #MeToo. À ce titre, le livre s’adresse également aux sceptiques: “Moi-même je n’étais pas convaincue par la gravité du harcèlement de rue par exemple, admet-elle. À force d’écouter ce que les femmes disaient sur le sujet, j’ai ouvert les yeux; pourquoi cela ne marcherait-il pas pour d’autres?”
Rapidement, la jeune femme se rend compte que les violences faites aux femmes participent d’un “système”: “J’ai été débordée par les témoignages alors que je n’ai pas fait d’appel à témoins.” Elle décrit une “chaîne humaine” de la parole: très souvent, en parlant à une femme du sujet de son livre, celle-ci lui répond qu’elle a une amie, une collègue, une sœur ou une cousine concernée par ces violences. “Il m’est aussi arrivé de rencontrer une femme pour parler de harcèlement sexuel et de finir la conversation sur le viol qu’elle avait subi à 14 ans”, souffle-t-elle avec émotion. Si Astrid de Villaines a constaté un véritable besoin de voir la parole se libérer, elle reste troublée par la peur de s’exprimer de certaines femmes, en particulier celles vivant encore des situations de violences: “J’espère que ce livre va les aider.”
Floriane Valdayron
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