Faire un enfant est, chacun en conviendra à peu près, un acte déterminant et réellement impactant pour un couple. Il semble que ce constat fasse l’unanimité ou presque. Mon expérience personnelle de la grossesse ne va pas contredire cette vérité. En revanche, beaucoup d’autres postulats relatifs à ce thème que je pensais “universels ou presque” ont été jetés du haut du piédestal de mes croyances.
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J’ai été enceinte. Il a été décidé de garder ce bébé à venir et de devenir trois. J’ai ainsi pu confronter mes croyances et idées préconçues à la réalité. Dans l’idéal rêvé, c’est toujours mieux d’y penser avant comme on dit; c’est pourquoi j’ai envie de les partager ici.
L’exercice de l’annonce
Une femme ne pouvant cacher très longtemps l’arrivée prochaine d’un petit être humain, et ne voyant pas dans ma situation personnelle et professionnelle de raisons de le garder pour moi, j’ai dû annoncer la nouvelle à mon entourage familial, amical et professionnel. Les réactions furent extrêmement différentes. Et ce ne fut pas toujours agréable.
Mes croyances, certes naïves, étaient une sorte de bienveillance, une forme de joie, ou au moins une indifférence banale, de la part de l’ensemble de la société vis-à-vis d’une naissance future. Eh bien en fait, pas tout à fait. Enfin pas pour tout le monde. Que ce soit de la part de mes proches, de mes amis ou de mes collègues, j’ai pu constater, outre la classique joie partagée et les félicitations d’usage une myriade de réactions incongrues et déplacées.
“Et c’était prévu??” Oui, certaines personnes posent cette question.
En commençant par mes parents, tellement surpris de l’annonce de l’événement que la joie ne fut pas forcément la première réaction, mon père croyant réellement à une blague -je pense que j’ai un humour douteux. Cela m’a amenée à penser à ma place dans ma propre famille, moi qui allais en créer une. Mes parents n’étant pas spécialement expansifs, je ne m’attendais pas pour autant à ça, mais ça ne m’a pas particulièrement affectée. Le fait d’être ramenée à mes souvenirs familiaux, et à réfléchir à la famille, ma famille, etc. a, en revanche, été inattendu pour moi.
Ensuite, sans décrire l’ensemble du panel, la réaction qui m’a le plus interrogée, et vexée disons-le, fut le désormais célèbre: “Et c’était prévu??” Oui, certaines personnes posent cette question. Bizarrement, cette question fut celle d’amis proches, étonnés, certainement à juste titre, de cette nouvelle. Venant de personnes qui me connaissent, cela n’a pas été un problème pour moi, jusqu’à une certaine récurrence. Ça l’a été quand la question a été posée par des gens avec lesquels je n’avais aucune proximité. Notamment, à plusieurs reprises, par des collègues de bureau avec lesquels je ne partage pas beaucoup plus que quelques banalités entre la photocopieuse et la porte du bureau de la secrétaire. La question m’a même été posée devant plusieurs autres personnes.
Alors que pensent ces personnes? Que je vais leur répondre “Oui, en effet Michel, tu es sacrément perspicace, tu as mis le doigt sur une vérité, nous avons bien vécu un défaut contraceptif à la fin d’une scandaleuse soirée. Cet enfant n’est pas voulu mais nous l’avons gardé quand même et nous sommes bien tristes de cette situation. Merci à toi, cher collègue avec qui je n’ai pas d’affinité, fin psychologue et sondeur de l’âme humaine d’avoir pu m’aider à avouer cela, ça va mieux. Allez ciao, je dois y aller j’ai un point avec ma chef dans 5 minutes.”
Certains, plutôt des hommes mais pas que, m’ont même demandé si “le papa [était] content”.
Cette question, extrêmement déstabilisante pour moi -pour rappel, femme enceinte sujette au grand huit hormonal-, semble être tout à fait naturelle pour la personne qui demande. Quand j’ai dû signaler à mon interlocuteur, proche ou moins, que cette question était déplacée, j’ai eu une réaction de surprise en retour. “Ah bon?? Ah ça veut dire que ce n’était pas trop prévu alors?!”
Certaines personnes, plutôt des hommes mais pas que, m’ont même demandé si “le papa [était] content”. Encore une fucking fois, que s’imaginent ces personnes? Que doit-on comprendre quand cette question est posée? Qu’un homme vit forcément le projet d’une naissance comme quelque chose de terrible et de dur à vivre? Que je vais répondre: “Non il n’est pas content Michel, ça le fait chier mais il le fait quand même car je l’ai menacé de castration donc il est bien obligé, tu comprends.” Ces personnes ne connaissant d’ailleurs parfois même pas mon conjoint.
Voici les deux questions qui m’ont très sincèrement déstabilisée. Mais le fabuleux parcours de femme enceinte doit également rencontrer d’autres questions et réactions, aussi classiques que désagréables, lors de l’annonce de sa grossesse à la société. Exemple:
“ – Michel: Oh super alors ça fait combien de mois?
– Moi: Eh bien 4 mois!
– Michel: Ah c’est un bébé conçu en été alors hihihi ah bah oui c’est bien pour ça les vacances hein on est bien détendus en maillot il fait chaud héhéhé pis avec l’apéro, le rosé hein?!” (no comment)
Ou bien: “Ah ouais et donc tu te souviens du moment où vous l’avez conçu?” (dans le cas d’une réponse par l’affirmative, tu veux que je te raconte???)
Ou encore:
“Et tu avais arrêté la pilule quand?” (Présupposé: toutes les femmes prennent la pilule. La demande, plutôt cavalière et intrusive, est faite pour se rassurer sur la fertilité humaine.)
Oui, être enceinte signifie que tu as une activité sexuelle -souvenons-nous que Michel est quelqu’un de particulièrement perspicace- et la société estime en retour devoir t’exprimer qu’elle a bien saisi le subtil mécanisme secret par lequel tu t’es retrouvée à devoir annoncer au monde ton état. Le “secret” de ta vie sexuelle étant diffusé par toi-même lors de ton annonce, la société se l’approprie et considère que tu es OK pour lever le voile social qui tient lieu en temps normal de barrière pudique entre les êtres adultes. Bref tout le monde se lâche.
Notons par ailleurs que d’après mes propres investigations, ces questions ont plutôt été posées à moi, femme non mariée et non pacsée, qu’à mes amies mariées ou pacsées. J’ai bien compris que l’idée était de faire un enfant “quand le bon moment était venu”. Ce moment, la société a visiblement un avis dessus. Un enfant doit être fait valablement, selon le contrat social, quand la société le “valide”, c’est-à-dire plutôt lorsqu’elle reconnaît déjà le couple, par le mariage ou le Pacs a minima.
Tout du moins, il faut avoir coché des cases, à savoir:
1) avoir vécu assez longtemps avec le papa/la maman si pas d’engagement devant la loi ou devant Dieu,
2) avoir acheté un logement ou avoir déjà un engagement financier lourd ensemble,
3) avoir une situation économique stable,
4) être reconnu-e “prêt-e” (je ne sais toujours pas ce qu’on entend par là)
N’ayant pas rempli certaines de ces conditions, je pense avoir suscité par conséquent ces réactions que j’ai trouvées un peu abruptes et indiscrètes.
“Qu’est-ce que cela peut bien leur faire?”, me suis-je souvent demandé.
Et tel est le constat que j’ai pu faire a fortiori: la société a un avis sur votre acte de procréation.
Faire un enfant est un acte social et collectif
Faire un enfant dans la société française d’aujourd’hui n’est pas un acte privé. Sans émettre aucun avis là-dessus, j’affirme juste avoir beaucoup -trop- ressenti le regard de la société sur l’acte de conception. Je ne m’y attendais simplement pas.
La société à laquelle j’appartiens ne comprends plus trop ce qui est de l’ordre du spontané. Notre histoire de la maîtrise des éléments et de la nature a forgé notre société et la construction de notre sphère sociale, familiale, amicale ou autre. Nous avons besoin de stabilité et de prise de décision concertée pour construire le monde autour de nous. Tant mieux. En fonction du niveau de ces maîtrises et de ces décisions, parfois, cela aboutit à des incompréhensions entre les générations. Par exemple, la génération de mes parents, des soixantenaires à ce jour, ne va pas comprendre pourquoi ma génération, trentenaire aujourd’hui, ne conçoit pas d’enfant si elle remplit les conditions de base pour cela (emploi stable des deux membres du couple, bonne rémunération, vie à deux connue, assumée et établie, logement et conditions de vie adéquates). La génération des parents, lorsque leurs enfants remplissent ces conditions, s’attend légitimement à une naissance prochaine. Ils ne comprennent pas si l’annonce de la naissance ne vient pas. La société non plus -“Et vous, c’est pour quand?” À l’inverse, la société ne va pas comprendre lorsqu’une annonce est faite et que cela n’est pas “attendu”. Il y a un choc quand c’est “attendu” de la part des autres et que ça ne vient pas, et un choc quand ça vient et que c’est une surprise pour l’entourage. C’est culpabilisateur dans les deux cas.
Si une femme enceinte réclame une bouffée, voire une cigarette, c’est pure folie, la pauvre n’a plus toute sa tête et l’assemblée qui a subitement un doctorat en obstétrique décide à votre place ou alors juge en commentant la situation.
Au-delà de l’annonce, une femme enceinte appartient à tous. Elle reçoit de chacun un avis, des conseils, des anecdotes sur la grossesse et la naissance, c’est connu.
N’étant pas une grosse fumeuse, j’ai par exemple arrêté de fumer dès que j’ai eu connaissance de ma grossesse sans trop de difficultés. Certaines fois pourtant, en fin de journée autour d’un verre avec des amis, j’ai eu très envie de fumer un peu, quelques bouffées sur une cigarette. Cette envie ne passant pas et devenant une obsession sur le moment, après avoir tenté d’évacuer l’idée à plusieurs reprises, j’ai décidai d’y céder, une fois n’est pas coutume, et demandai une cigarette. Mes amis, particulièrement masculins, refusèrent alors de m’en donner une ou de me la laisser pour quelques instants: “Mais non ça va pas?? Qu’est-ce qui te prend, il faut pas!” A priori, risquer le cancer ou l’AVC en fumant habituellement une petite cinquantaine de cigarettes -je ne vais pas parler des autres “choses”- lors d’une unique soirée ne leur pose pas de problème de santé ou d’éthique. Mais, si une femme enceinte réclame une bouffée, voire une cigarette, c’est pure folie, la pauvre n’a plus toute sa tête et l’assemblée qui a subitement un doctorat en obstétrique décide à votre place ou alors juge en commentant la situation. “Oui, oh tu sais ma sœur l’a fait et son bébé est normal”, “c’est pas grave une fois de temps en temps, les docteurs sont d’accord”, “à l’époque, nos mères le faisaient”, etc. Oui, tout cela n’est pas faux pour autant. Enfin, j’ai bien conscience que ce n’est pas génial pour mon fœtus, je voulais juste exceptionnellement quelques bouffées en discutant de tout et de rien. En fait, je n’ai demandé l’avis de personne. Qui le donne quand Untel décide de prendre un ecstasy en soirée?
Me frotter à ces réalités a été pour moi une sorte de découverte pas réellement agréable. J’étais naïve et ignorante. C’est peut-être pour cela qu’on dit que faire un enfant nous fait mûrir, accepter certains aspects de la société dans laquelle on vit. Je ne peux m’empêcher de le critiquer, faire un enfant regarde immanquablement le couple qui le fait. Mais nous vivons dans une construction collective et l’avenir de cet enfant regardera un jour la société. Nous devons collectivement faire en sorte qu’il puisse s’y dérouler le mieux possible. Voilà, j’ai mûri.
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