À l’occasion de la sortie du livre Enceinte tout est possible, nous avons rencontré Renée Greusard et appris un paquet de choses utiles ou futiles sur la grossesse et l’accouchement.
Ce livre devrait être remboursé par la Sécurité sociale. Ou être fourni en cadeau avec la première échographie. Avec Enceinte tout est possible, la journaliste Renée Greusard démystifie la grossesse et l’accouchement, dissèque les tabous qui vont avec et analyse, avec une perspective historique, la façon dont on traite les femmes enceintes et les injonctions qui pèsent sur elles. Le tout avec humour, intelligence, un brin d’irrévérence et une vision générationnelle.
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“La grossesse m’a toujours fascinée, j’ai toujours trouvé ça fou”, annonce d’emblée l’auteure, journaliste chez Rue89. Et de s’empresser de raconter cette anecdote: “Quand j’étais petite, j’avais une Barbie enceinte, on pouvait enlever son ventre et il y avait un bébé à l’intérieur, j’ai passé des heures à enlever et remettre ce bébé!” (Rires.) Alors quand Renée Greusard, 32 ans, “passionnée par le corps humain”, est tombée enceinte, l’idée d’un livre s’est imposée. Elle a fait de sa grossesse le fil conducteur de son enquête journalistique et n’a pas hésité à donner de sa personne avec des confidences personnelles. La trentenaire a pas mal réfléchi avant de se livrer aussi personnellement: “Tout au long de l’écriture, je me suis demandé à chaque étape ce qui méritait d’être raconté et j’ai arbitré en fonction”, explique-t-elle. Elle croit d’ailleurs sa “définition de la pudeur” un peu “originale”: “Je n’ai pas eu de mal, par exemple, à parler de mon épisiotomie, mais tout ce qui est de l’ordre des sentiments, de la relation à mes parents j’aurais tendance à être plus discrète.” Parler du vagin -du sien en l’occurrence- n’était pas un problème pour elle car “c’est une partie du corps comme une autre” et puis, c’était aussi une façon de “sortir des tabous de la grossesse qui nourrissent des croyances très néfastes”.
Où l’on apprend donc que “brybry” signifie embryon, “gygy” gynécologue et que Lulu est le surnom donné à la pilule.
De l’envie irréfrénable d’avoir un enfant à l’accouchement, en passant par les lochies, Renée Greusard passe ce moment si particulier au crible et fait sourire les lectrices (et, on espère, les lecteurs), notamment en racontant ses errances sur les forums dédiés: “Je bois à grosses gorgées les paroles de ces parfaites inconnues croisées sur d’obscurs forums. Leur orthographe douteuse et leur syntaxe déroutante ne me freinent pas.” La journaliste décortique avec beaucoup d’humour le langage bien particulier auquel elle est alors confrontée dans ces discussions et dégaine même un lexique pour les novices: “Oui, la dame a dit “brybry”. Pour qui ne passe pas sa vie à parler du fond de sa culotte sur ces obscurs forums, l’expression a de quoi dérouter.” Où l’on apprend donc que “brybry” signifie embryon, “gygy” gynécologue, “TP”, travaux pratiques (soit les rapports sexuels) et enfin, que “Lulu” est le surnom donné à la pilule. Au passage, Renée Greusard se moque gentiment des hommes qui pensent biffler leur bébé en faisant l’amour avec leur compagne: “Pour les hommes qui s’imaginent biffler leur enfant in utero avec leur sexe immense, vous êtes trop mignons.”
“Jujus” = jumeaux, “brybry”= embryon /Capture d’écran d’un forum grossesse sur Doctissimo
Tout au long de cet ouvrage profondément féministe, Renée Greusard, aujourd’hui mère d’Ulysse, 14 mois, tente de comprendre “pourquoi la génération de nos mères était beaucoup plus détendue que la nôtre sur le sujet”, remet en question les injonctions auxquelles les femmes enceintes sont soumises et prône un retour au libre arbitre avec force arguments. On a relevé 12 infos utiles ou futiles dénichées au fil de notre lecture et on a demandé à l’auteure de les commenter pour nous.
Renée Greusard, l’Aventurier et Ulysse
1. Une femme sur quatre fait une fausse couche.
“C’était un sale moment quand j’ai fait ma fausse couche. Je me sentais prise entre plusieurs sentiments, c’était pas encore vraiment un bébé mais en fait, pour moi, c’était tout. Il y avait une énorme déception et, même si je mets un point d’honneur à ce que rien ne soit jamais grave, cette fois-ci, dans ma tête, c’était grave. J’ai eu l’impression de ne pas savoir faire de bébés. Ma gynécologue a voulu dédramatiser la chose en me disant que c’était d’une grande banalité mais pour moi, c’était dramatique. Aujourd’hui encore, on associe la fausse couche à responsabilité de la femme, on lui demande ce qu’elle a fait pour que ça arrive, comme si ça pouvait être de sa faute.”
2. En moyenne, les couples mettent sept mois pour que la femme tombe enceinte.
“Je savais que ça pouvait ne pas arriver tout de suite. Mais quand on fait un enfant, on se dit forcément qu’on fera mieux que les autres, qu’on va tomber enceinte facilement! (Rires.) Il y a même des jalousies absurdes qui se créent par rapport aux copines qui tombent enceinte en un rien de temps! Finalement, ça a été pareil pour moi que pour les autres. On est une génération qui a du mal à attendre et qui veut tout tout de suite.”
3. Pendant des siècles, la grossesse était une fatalité, voire une malédiction. Jusque dans les années 60-70, la grossesse se vivait d’ailleurs plutôt cachée.
“Les années 70 sont vraiment un tournant dans la façon dont on perçoit les femmes enceintes, c’est lié à la révolution sexuelle, à un certain qui a pour ambition de célébrer le corps des femmes et on commence alors à regarder les femmes enceintes différemment, avec un regard un peu béat. Le livre d’Éliette Abécassis, Un Heureux évènement (Ndlr: paru en 2007), marque également un tournant avec cette héroïne qui dit clairement qu’elle n’aime pas être enceinte. D’ailleurs, ça me dérange un peu qu’en ce moment ce soit devenu une nouvelle injonction, dire que l’on n’a pas aimé ça. J’aimerais qu’on ait un discours moins enfermant et qu’on laisse les femmes vivre leur grossesse tranquillement.”
4. Aujourd’hui, on a davantage peur de ne pas tomber enceinte que de tomber enceinte.
“C’est ma gynécologue qui m’a dit ça, une femme féministe que j’adore! À chaque fois que j’ai parlé avec des femmes de la génération des baby-boomers, j’ai pu constater ce gap entre nous: cette angoisse que l’on peut avoir aujourd’hui de ne pas tomber enceinte, elles ont du mal à l’appréhender, à l’imaginer. Avant l’arrivée de la contraception, c’était l’inverse, on avait peur d’une grossesse non désirée!”
5. Les échographies sont apparues au milieu des années 80.
“Moi, on ne m’a même pas vue sur les échographies! Et quand bien même, au début des échographies, ça n’avait rien à voir avec ce que l’on peut voir aujourd’hui! Le gynécologue Thierry Harvey m’a d’ailleurs raconté qu’il voyait seulement des traits sur les images de l’époque et qu’il en déduisait qu’il y avait quelque chose…”
6. Pour 500 euros, on peut faire des moulages de son fœtus grâce à des images récoltées en 3D in utero pour décorer son salon.
“Oui, ça dit quelque chose de l’époque que, finalement, tout soit monétisable. C’est mystérieux un foetus, qu’est-ce que tu vas aller le mouler et l’exposer dans ton salon?! (Rires.) Je ne veux pas juger les gens qui font ça mais, pour moi, c’est une volonté de tout rationaliser et une incapacité à attendre. C’est vouloir l’avoir avant même qu’il soit né. Un bébé, ça s’attend neuf mois, c’est comme ça!”
7. Avant, la grossesse n’était pas aussi anxiogène pour les femmes.
“C’est directement lié au principe de précaution en médecine. À l’origine d’ailleurs, c’est un principe environnemental, c’est-à-dire que l’on essaie de prévoir les catastrophes naturelles et d’agir pour qu’elles n’arrivent pas. Aujourd’hui, on applique ce principe dans des domaines où il ne devrait pas l’être. Je trouve louable de vouloir le faire mais j’aimerais qu’on remette le risque à sa juste place. Par exemple, en février dernier, on a voulu faire vacciner Ulysse contre la fièvre jaune car nous partions au Sénégal. Je me rends à l’hôpital quatre jours avant notre départ mais j’apprends qu’avant que le vaccin ne soit efficace il faut davantage de temps, et je commence à paniquer. Les médecins me disent alors qu’il y a un risque. Je vois ensuite une infirmière qui comprend que je flippe et qui m’explique qu’il y a un cas sur 200 000 et que le risque est limité. Cette anecdote résume bien le problème: c’est exactement ce qu’il se passe avec les femmes enceintes durant toute leur grossesse. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut qu’elles mangent de la viande crue durant leur grossesse mais il faut replacer le risque à l’endroit qui lui revient. Si les mecs étaient à notre place, je suis persuadée que les choses seraient différentes. Est-ce qu’un homme tolérerait qu’on pose la main sur son ventre? Ou qu’on lui dise de ne pas boire? La façon dont on s’occupe du corps des femmes constitue une vraie question du féminisme.”
8. Le fameux livre J’attends un enfant de Laurence Pernoud édition 1987 ne dit pas la même chose que l’édition 2015.
“C’est mon rédacteur en chef, Pascal Riché, qui m’a prêté son exemplaire datant de 1987. J’ai beaucoup ri en le lisant car il y a énormément de choses qui ont changé en 30 ans. Le ton est différent, la façon dont on met en valeur les femmes enceintes aussi. Ce qui n’a pas changé par contre, c’est la manière dont on s’adresse très peu aux hommes! Le Laurence Pernoud de 1987 est beaucoup plus permissif. Par exemple, on parle très peu de la toxoplasmose: beaucoup de femmes étaient déjà contaminées à l’époque car la société était moins aseptisée.”
© Louise Dumas
9. Avant que ce ne soit majoritairement des hommes, ce sont les matrones qui accouchaient les femmes jusqu’au XVIIème siècle.
“Oui, on se recommandait une matrone comme on se recommande un coiffeur aujourd’hui! Le pouvoir d’accoucher les femmes est initialement très féminin. Mais, à un moment donné, ça a intéressé les hommes car c’était important, compliqué, potentiellement dangereux et quand ces enjeux ont été découverts, les hommes ont voulu prendre le contrôle. C’est fou qu’on ait réussi à virer les femmes de l’accouchement alors que ça les concerne au premier plan.”
10. Les aliments déconseillés aux femmes enceintes varient selon les pays.
© Louise Dumas
“Oui, en effet, ça m’a fait délirer quand j’ai découvert ça! Il suffit de traverser une frontière pour se rendre compte que ce n’est pas pareil chez le voisin! Ça annule d’ailleurs toute légitimité aux injonctions fermes. Quand tu vois que la copine japonaise a le droit de tout manger… En fait, si la nature de l’injonction diffère, ce qui reste à la fin, c’est l’injonction.”
11. On peut faire un projet de naissance.
“C’est très américain et d’ailleurs, les médecins français ne l’accueillent pas avec beaucoup de joie! C’est à la fois chouette de pouvoir le faire, décider de la manière dont on veut accoucher mais le fait qu’on ait besoin de le faire est également le signe d’un problème dans la relation patient-médecin. Les femmes n’ont pas confiance.”
12. Il y a débat sur le zéro alcool pendant la grossesse (contrairement à ce qu’on essaie de nous faire croire)
© Louise Dumas
“Être tombée sur l’étude d’Yvonne Kelly, chercheuse à l’université de Londres au département Épidémiologie et Santé publique, (Ndlr: les résultats de cette étude publiée en 2013 n’ont pas établi un lien de causalité entre les faibles niveaux de consommation d’alcool pendant la grossesse -un ou deux verres par semaine au maximum-, et l’apparition de problèmes comportementaux et cognitifs chez les enfants jusqu’à sept ans) est la chose dont je suis la plus contente dans ce bouquin. Quand je l’ai découverte, je me suis dit ‘Seriously? Vous vous foutez de notre gueule les gars?’ Je ne suis pas en train de dire qu’il faut boire pendant sa grossesse mais qu’on me montre une étude qui affirme qu’un verre de vin ou deux par semaine pendant sa grossesse, c’est dangereux pour l’enfant! Ça m’agace qu’on parle aux femmes enceintes comme si elles étaient des personnages de papier. Je trouve dramatique de soumettre les femmes à des injonctions qui sont difficilement tenables. À qui pose-t-on des interdits de cette façon? Aux enfants! Aux injonctions s’ajoute un certain racisme social. Une femme enceinte qui boit une coupe de champagne à Noël, ce n’est pas grave mais si elle boit une bière, ça l’est. Pourquoi devrait-on hiérarchiser? On pourrait dialoguer en toute intelligence et laisser aux femmes leur libre arbitre.”
Julia Tissier
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