Dans son premier livre, Grace Ly raconte l’adolescence de la jeune Chi Chi, née de parents asiatiques à Paris. Un récit à la première personne, dans lequel l’autrice pose un regard doux sur la relation entre parents et adolescents tout en dépeignant le racisme anti-asiatique en France.
Être l’héroïne d’un livre ou du moins pouvoir se reconnaître dans ses pages, c’est ce dont Grace Ly rêvait quand elle était adolescente. “J’ai dévoré la Bibliothèque rose, la Bibliothèque verte, et tous les classiques de l’époque, raconte la franco-chinoise âgée de 38 ans. À part Tchang dans Tintin et le blanchisseur dans Lucky Luke, tous les deux très caricaturaux, les personnes asiatiques n’étaient pas du tout représentées.” Son livre, Jeune fille modèle, Grace Ly a “toujours” eu envie de l’écrire. Après avoir terminé ses études de droit et travaillé dans des milieux juridiques jusqu’en 2008, elle a décidé de mettre en pratique sa volonté d’influer sur la représentation des personnes asiatiques. L’année dernière, forte de six ans passés à “s’enhardir” avec son blog La Petite banane, Grace Ly s’est jetée à l’eau. Elle l’a enfin écrit, ce livre, dans lequel une adolescente asiatique née en France est au cœur de l’histoire.
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Il s’agit de Chi Chi, une jeune fille qui a du mal à trouver sa place dans sa famille comme au lycée. Élevée dans le 13ème arrondissement de Paris par une mère d’origine chinoise qui parle français avec difficulté, elle est considérée comme “une banane”: jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur. On suit son dilemme quotidien: l’adolescente est partagée entre les attentes d’une famille asiatique traditionnelle et la crainte de ne pas se conformer aux normes de la société française. Si le récit, rédigé à la première personne, ne raconte pas l’histoire de Grace Ly, il en est largement inspiré.
Un “choc culturel” quotidien
Comme Chi Chi, l’autrice passait toutes ses vacances scolaires et ses soirées à aider ses parents, qui ont d’abord tenu un restaurant puis un pressing, et une petite boutique. “J’ai toujours vécu sur leur lieu de travail avec une certaine pesanteur, la sensation qu’ils n’étaient jamais vraiment là”, se remémore cette mère de trois enfants. À l’instar de la mère de Chi Chi, qui lui répète qu’elle sera “avocate, docteure ou ingénieure, et c’est tout”, celle de Grace Ly a toujours fait de la réussite de sa fille une priorité. “Mes parents n’avaient pas fini leurs études quand ils sont arrivés en France; ils ont réalisé que, sans diplôme, ils n’étaient rien. C’était très important pour eux que leurs enfants ne subissent pas le même sort, raconte la trentenaire. Ils voulaient absolument qu’on ait de quoi pallier à un éventuel exil.”
En toile de fond, Jeune fille modèle traite de l’exil forcé des Chinois du Cambodge sous le régime khmer rouge.
À travers son héroïne, celle qui est désormais aux manettes de l’excellent podcast Kiffe ta race raconte le “choc culturel” qu’elle a vécu au quotidien, confrontée à une société française où les enfants sont au centre de la vie familiale et à une culture chinoise où ils ont davantage tendance à être mis à l’écart. “Quand on me répétait ‘tu comprendras quand tu seras grande’, j’entendais ‘pour l’instant tu ne comprends rien’, analyse-t-elle. En réalité, mes parents essayaient juste de me protéger.”
“C’est la jeune fille que j’aurais aimé être”
En toile de fond, Jeune fille modèle traite de l’exil forcé des Chinois du Cambodge sous le régime khmer rouge. Un “traumatisme” dans lequel Grace Ly a baigné, tout comme son héroïne. “Mes parents n’ont pas eu le parcours que je décris dans le livre mais il s’agit bien de l’histoire de leur peuple, explique-t-elle. Ça a flotté autour de moi pendant des années et je ne m’en rendais pas compte quand j’étais petite; c’est pour ça que j’ai voulu raconter cette histoire du point de vue de l’enfant.”
“C’est assez violent d’être désirée pour quelque chose qui n’est pas nous.”
Derrière l’injustice ressentie par une adolescente de 17 ans en opposition avec ses parents, Grace Ly décrit avec beaucoup de douceur le moment où Chi Chi réalise ce que sa mère lui a épargné, après être parvenue à délier les langues de ses proches, très taiseux par rapport à leur traumatisme. “J’aurais voulu pouvoir amorcer le dialogue avec mes parents comme cette adolescente idéale que je raconte, souffle Grace Ly, qui a dû se renseigner par elle-même sur l’histoire des Chinois du Cambodge. C’est la famille que j’aurais aimé avoir et la jeune fille que j’aurais aimé être.”
Un racisme anti-asiatique prégnant
À travers Chi Chi, Grace Ly s’indigne. Lorsqu’un garçon dit à l’héroïne qu’il a “toujours trouvé les filles asiatiques super belles”, l’adolescente pense: “Pour une fois que je plaisais à un garçon, qu’il me trouvait belle, il me signifiait que je n’étais pas la seule et qu’il y en avait quelques milliards d’autres qui étaient à son goût à travers moi.” “C’est assez violent d’être désirée pour quelque chose qui n’est pas nous, témoigne la trentenaire c’est très long à déconstruire.”
“À chaque fois qu’un professeur faisait l’appel, j’avais une boule au ventre. Si j’avais pu, je me serais appelée Marie Legrand.”
Dans son roman, elle dépeint un racisme anti-asiatique prégnant. Cela commence dès la première rentrée de Chi Chi au lycée, lorsque le principal peine à lire son nom, Chan. “En levant la tête, il avait découvert mon visage et s’était alors esclaffé: “Ah… d’accord! Ça se prononce comme l’ami Jackie!’”, raconte la jeune fille. Une anecdote loin d’être anodine pour l’autrice derrière l’héroïne: “À chaque fois qu’un professeur faisait l’appel, j’avais une boule au ventre. Si j’avais pu, je me serais appelée Marie Legrand, se remémore la créatrice de la web série Ça reste entre nous, qui donne la parole aux Asiatiques en France. Quand on est adolescent, on ne veut pas sortir de la masse. Or certains ont tendance à attirer l’attention sur quelque chose qui paraît étranger et lointain: c’est très douloureux, et on en vient à détester ses parents pour son nom.”
Si Jeune fille modèle raconte une histoire spécifique aux Chinois du Cambodge, Grace Ly souhaite plus largement montrer le chemin parcouru par les enfants de migrants, élevés dans une double culture. “Chi Chi est une adolescente comme une autre. Elle vit des choses ordinaires, elle est en opposition avec sa famille, elle découvre qui elle est et s’accepte avec ses forces et ses faiblesses, explique-t-elle. C’est très important que nos vécus aient une place dans les librairies sur les mêmes étalages que les autres histoires. Elles sont aussi légitimes.”
Floriane Valdayron
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