Make-up nude, hashtag #IWokeUpLikeThis, diaporamas moqueurs des stars avec et sans maquillage: depuis une dizaine d’années, la beauté naturelle s’impose comme la norme. Une tendance qui fait naître une nouvelle forme de discrimination sexiste dirigée à l’encontre des femmes adeptes d’un maquillage plus flamboyant, aujourd’hui moquées et stigmatisées.
“Il suffit que je sorte mon mascara ou mon blush pour que les regards moqueurs et les moues dédaigneuses fusent. J’en ai ras-le-bol de passer pour la fille frivole et stupide uniquement parce que je me maquille!” Ce coup de gueule est signé Claire, 23 ans, étudiante en master d’études slaves à la Sorbonne, qui n’en peut plus de l’attitude et des remarques qu’elle récolte dès qu’elle se pomponne en public. On appelle ça le glam-shaming, contraction de glamour et shaming (Ndlr: honteux en français). Un terme, dérivé du célèbre slut-shaming, imaginé par une candidate de l’émission américaine The Bachelor en janvier 2018. On vous l’accorde, The Bachelor n’est pas vraiment une référence en matière de féminisme, mais cet anglicisme a le mérite de conceptualiser un mouvement bien réel: les moqueries, voire le harcèlement que subissent les femmes qui se maquillent.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Depuis la fin des années 2000, la tendance est à une beauté naturelle et saine. Le maquillage est nude: teint lumineux, peau nette, joues rosées. Sur les réseaux, on s’affiche pimpante, au saut du lit, comme sur les selfies estampillés #IWokeUpLikeThis ou #NoMakeUp. Sans oublier ces stars encensées pour envoyer valser leurs fonds de teint comme Alicia Keys. Ces belles initiatives, qui s’inscrivent dans le mouvement skin positive, aident de nombreuses femmes à accepter leur physique. Revers de la médaille, celles qui se maquillent et l’assument se retrouvent alors taxées de “complexées” ou de “superficielles” selon une logique terriblement misogyne. “Je lis Tolstoï dans le texte, mais comme je suis aussi des YouTubeuses beauté et que je porte parfois des faux cils, je perds toute crédibilité aux yeux des gens. Voire tout respect”, peste Claire qui affirme subir bon nombre de remarques sexistes à cause de son maquillage parfois très voyant: “Si je mets un gloss bien brillant et bien coloré, je vais avoir droit à des demandes de fellations et autres réjouissances, assure-t-elle, le harcèlement sexuel touche toutes les femmes, maquillées ou pas, mais j’ai remarqué que le maquillage décomplexe certains hommes, comme la minijupe. Ils jugent mon make-up provocant, donc supposent automatiquement que je suis en recherche de sexe, que je suis ‘une fille facile’.”
Voir cette publication sur InstagramGot in 2 workouts today 👊🏽💦💪🏽 @cyclehousela @heartandhustlegym #Mondaymotivation
“Un grand classique de l’oppression”
Une énième forme de la culture du viol qui découle de l’obsession ambiante pour une beauté pure et discrète. Maïa Mazaurette, autrice en 2016 de Belle toute crue: comment survivre dans le monde des obsessions beauté, y voit “un grand classique de l’oppression: la femme doit être belle ‘sans le savoir’ et sans le faire savoir, un peu comme quand elle est ‘princesse en société, pute au lit’.” La chroniqueuse insiste: “C’est d’une hypocrisie consommée! La beauté devient un avantage dont on n’a pas le droit de se servir.”
“Il faut faire des efforts, mais qu’on embête personne avec le temps, l’énergie, la charge mentale et l’argent qu’on aura dépensés.”
À l’arrivée, une nouvelle injonction contradictoire pour les femmes: “Il faut faire des efforts, mais qu’on embête personne avec le temps, l’énergie, la charge mentale et l’argent qu’on aura dépensés. Les féministes assimilent la beauté avec les tâches domestiques depuis des décennies: une activité un peu honteuse qui se recommence à l’identique tous les jours, et qui s’efface en fin de soirée. Des activités qui permettent de circonscrire les femmes à l’éphémère et au futile. En vrai, avoir l’air naturelle demande énormément de boulot.” Pour Maïa Mazaurette, cela s’apparente à du “greenwashing à l’échelle humaine”. La beauté naturelle devient “un label bio apposé sur le visage et le corps des femmes, destiné à rassurer. Et ‘rassurer’, c’est important. J’ai l’impression que certains hommes se sentent menacés par des femmes ‘trop femmes’: elles s’assument, elles jouent de leur apparence, ce qui les rend moins contrôlables, un peu dangereuses, comme planquées derrière un masque.”
Superficielle et sournoise
Une imagerie du travestissement et de la tromperie qui entretient le glam-shaming et encourage le harcèlement. En témoignent les innombrables mèmes qui ridiculisent les adeptes du make-up. L’un des plus appréciés sévit encore aujourd’hui: #TakeHerSwimmingOnTheFirstDate, littéralement “emmène la nager au premier rencard”, histoire évidemment de pouvoir juger du “vrai” visage d’une femme, une fois le maquillage lavé par les eaux. La femme est ici une créature fourbe qui manipule son apparence pour parvenir à ses fins en trompant son adversaire, l’homme qu’elle souhaite séduire. Une vision misogyne qui se retrouve dans l’appétit narquois des uns pour les photos avec/sans maquillage de stars alors moquées et harcelées comme ce fut le cas pour Aya Nakamura récemment. Sans oublier le plaisir malsain des autres à vilipender celles et ceux ayant eu recours à la chirurgie esthétique.
Preuve que faut toujours draguer sous la pluie 😭😭😭
Aya nakamura 🙀🙀 pic.twitter.com/2ydgbpN8zo— Berto (@trandbert_silva) 20 août 2018
La beauté doit sembler innée. Amina, fleuriste de 26 ans, en sait quelque chose, elle qui entend des “tu n’as pas besoin de ça”, “Tu es tellement plus belle au naturel” à longueur de journée de la part de son entourage qui n’approuve pas ses fards à paupières et rouges à lèvres flashys. “Ce qui est drôle, c’est que ce sont les mêmes qui me disent ‘Tu as mauvaise mine’ si je les vois sans maquillage, déplore-t-elle. Pour eux ‘belle au naturel’ veut dire ‘gomme tes imperfections mais surtout n’en fais pas trop’. C’est l’idée qu’une femme maquillée n’est pas vraiment belle puisqu’elle triche, qu’elle s’aide avec des artifices.”
Une beauté naturelle irréaliste
Mais cette vision d’une peau parfaitement lissée, d’un teint éclatant et d’un regard reposé n’est pas une réalité comme le rappelle Aurélie Martin, cofondatrice du collectif Les nanas d’Paname et make-up artist: “Cette nouvelle beauté dite ‘naturelle’ ou ‘nude’ est encore une tendance que les femmes suivent pour ressembler à leurs stars préférées. Les techniques de maquillage ont évolué vers des techniques de transformation, comme le contouring de Kim Kardashian, et de dissimulation de nos soi-disant défauts. Je pense par exemple aux filtres Instagram ‘lissage de peau’ ou ‘amincissement du visage’. Avant on se maquillait pour montrer et affirmer notre statut et maintenant, on cache et on gomme”, explique Aurélie Martin pour qui le maquillage est une forme de liberté comme une autre. “Je suis libre de porter du maquillage ou de ne pas le faire. Certaines femmes utilisent le maquillage pour cacher leurs boutons ou affiner leurs joues et ainsi améliorer l’image qu’elles ont d’elles-mêmes, explique-t-elle, d’autres s’amusent des nouvelles tendances et revendiquent leur personnalité et leur état d’esprit en se maquillant tous les jours de façons différentes et très assumées.”
Si le port du maquillage est un sujet brûlant dans les sphères féministes, cette vision libertaire est partagée par Amina qui trouve dans le make-up une forme d’émancipation. “Je ne me considère pas soumise au patriarcat ou aux diktats de la beauté, je joue avec mon image parce que j’en ai envie”, déclare celle qui, malgré les critiques de ses proches, n’est pas prête de céder aux sirènes du maquillage naturel. Et de lâcher: “Le gloss, les paillettes, le mascara violet, la terracotta, l’eye-liner… J’adore ça, et je les emmerde!”
Audrey Renault
{"type":"Banniere-Basse"}