En quête d’autonomie et d’authenticité, les backpackers marchent dans les traces des routards des années 70. Issue d’une jeunesse privilégiée et bourrée de contradictions, cette nouvelle catégorie de voyageur·se·s en sac à dos a pourtant du mal à sortir des sentiers battus.
Un sac à dos plein à craquer, des chaussures de rando neuves, l’indispensable passeport, quelques images d’Into the Wild dans un coin de la tête et L’Usage du monde de l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier dans le fond de la poche, les backpackers se pressent de plus en plus dans les aéroports, gares routières ou ferroviaires des pays du monde entier. Treks au Népal ou dans la cordillère andine, virée dans les déserts de Namibie ou du Rajasthan, plongée sous-marine en Polynésie, road trip en mini-van à travers l’Australie, il y a fort à parier que les backpackers ont aussi envahi vos timelines Facebook et vos stories Instagram. Sur les quelque 1,2 milliards de touristes qui ont voyagé en 2016, selon l’Organisation mondiale du tourisme, impossible de savoir exactement combien ils et elles représentent; ce qui est certain, c’est que “le backpacking est une niche touristique plutôt en croissance”, relève Brenda Le Bigot, docteure en géographie et maîtresse de conférences à l’université de Poitiers.
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Le backpacking est formé des mots “back” -qui signifie “dos” en anglais- et pack -qui signifie “sac”. Les backpackers sont donc celles et ceux qui voyagent en sac à dos. Néanmoins, transporter sa maison sur soi ne fait pas de tout le monde un·e backpacker. Objet de curiosité des chercheur·se·s depuis les années 90, les backpackers forment une communauté qui possède ses propres codes et ses propres pratiques héritées “des routards des années 60-70, avec une recherche d’autonomie et d’authenticité”, analyse Gwendal Simon, sociologue à l’Université Paris Est Marne-La-Vallée. Pour la géographe Brenda Le Bigot, “l’Asie peut presque être qualifiée de berceau du backpacking. Par exemple, le premier Lonely Planet paru en 1973 est titré Across Asia on the Cheap. Dès les années 80, c’est par l’Asie du sud-est que passent les cheminements les plus structurants de ce tourisme routard”. S’il est toujours en grande partie réservé à une jeunesse privilégiée, disposant de temps et d’argent, le backpacking n’est plus l’apanage des Occidentaux: Coréen·ne·s, Japonais·e·s ou encore Chinois·e·s sont aussi beaucoup à prendre la route.
Des backpackers aux flashpackers
Massif et épandu à travers tout le globe, “le phénomène des backpackers n’est pas homogène”, note néanmoins Gwendal Simon. Leur profil, leurs motivations et leurs pratiques prennent en effet de nombreuses formes. Entre autres, il faut distinguer les adpetes du voyage de long et très long terme qui ont une “volonté de rupture assez nette, forte et qui peut parfois s’apparenter à une fuite” des “voyageurs à court et moyen terme qui recherchent une période de suspension, pendant leurs études ou leur travail”. C’est pour s’éloigner de sa vie parisienne qu’Edwyn Gielen, 33 ans, a décidé de prendre un congé sabbatique avec sa petite amie. “On s’est rendu compte qu’on se laisse complètement absorber par le boulot et le quotidien.” Après seulement quatre mois de préparatifs, le couple embarque pour 11 mois de pérégrinations en Amérique du sud puis en Asie du sud-est et en Océanie: “C’est une période plutôt longue au final et même avec une pause au milieu, tu te déconnectes de la vie d’actif en région parisienne”, note le trentenaire. Il fait partie de la catégorie des “flashpackers”, selon l’expression de Nicolas Poupard, l’un des trois fondateurs de la chaîne d’hostels Masaya, basée en Colombie et en Équateur. “Le flashpacker a la trentaine et voyage souvent en couple. Il a toujours l’esprit du backpacker et cherche encore l’ambiance d’un hostel (Ndlr: auberge de jeunesse), mais veut plus de confort et le prix n’est plus un obstacle. Ce type de backpacker est en train de monter en flèche”, observe l’entrepreneur français. L’industrie du tourisme ne s’y est pas trompée et n’a pas tardé à s’emparer du phénomène du backpacking pour le proposer à de nouveaux publics: “Voyager dans des hostels est à la mode. Les hostels montent en gamme et même les hôtels classiques s’inspirent des hostels, comme le font les grands groupes AccorHotels et Hilton. Aujourd’hui, nous recevons dans nos hostels des familles ou même des personnes de 50 ou 70 ans”, explique Nicolas Poupard.
“Les backpackers forment une sorte de génération Erasmus un peu déplacée en territoire lointain.”
Pas de Club Med, ni d’hôtel 5 étoiles, les backpackers préfèrent donc les auberges de jeunesse/hostels, où ils et elles se regroupent la plupart du temps pour dormir, manger, boire et faire la fête entre une table de ping pong et un poster de Che Guevara. L’Asie du sud-est est peut-être l’endroit où le phénomène est le plus palpable: “Ce type de voyageur·se·s se retrouvent assez facilement dans une succession d’enclaves de backpackers, où ils sont finalement davantage entre eux qu’avec les locaux”, affirme la géographe Brenda Le Bigot, qui a étudié le phénomène à Bangkok.
La Plage, DR
Moins à cheval sur l’authenticité prônée par leurs aînés routards et hippies, les backpackers ont “soif de rencontres cosmopolites, comme une génération Erasmus un peu déplacée en territoire lointain”, lance le sociologue Gwendal Simon. Hannah van der Wal, une Australienne de 28 ans, ancienne ingénieure industrielle dans l’industrie pétrolière, a voyagé en solo pendant neuf mois. Elle a trouvé dans le backpacking “une manière plus simple pour rencontrer d’autres voyageurs”, même si elle s’est toujours sentie “comme une touriste”.
Pas à un paradoxe près
Selon Brenda Le Bigot, “un des paradoxes du backpacker d’aujourd’hui est qu’il ou elle poursuit toujours cet idéal de se différencier des touristes et de se rapprocher du mode de vie local, mais se retrouve vite happé·e par le petit monde du backpacking.” Ce que confirme l’expérience d’Edwyn Gielen : “Le sac à dos permet de sortir plus facilement des sentiers battus mais au final, beaucoup de lieux incontournables sont devenus par la force des choses très touristiques.” Le périple du backpacker est ainsi souvent pavé de bonnes intentions mais aussi de contradictions, comme par exemple des convictions écologiques qui se heurtent à un bilan carbone élevé, à base de trajets en avion et de bus rouillés et polluants.
Parfois, le ou la backpacker décide de poser son sac quelque part à l’autre bout du monde pour y monter un business ou y fonder une famille. “Une partie de la population mondiale, notamment celle qui possède le bon passeport, qui est issue des pays dominants, a la possibilité de se créer un chez-soi un peu partout dans le monde, sans difficulté, remarque Brenda Le Bigot. En quoi ne pourrait-on pas les appeler des ‘migrants’? Parce que cette communauté de voyageurs a un accès privilégié à la mobilité.” Indice suprême de cette position de force: on continue d’appeler les backpackers exilé·e·s des expatrié·e·s.
Juliette Marie
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